Après avoir parcouru les origines des tannins et leur présence historique dans notre environnement et nos traditions alimentaires, je vous propose de mettre en pratique cette substance d’origine végétale, composée d’un ou plusieurs phénols et qui adore se précipiter avec des protéines.
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Rendez-vous à Templeuve dans la banlieue lilloise chez Lydie qui a créé récemment une sublime cave « Autour d’un verre », véritable caverne d’Alibaba pour ravir les papilles de toutes et tous et qui plus est, offre un bar à vins joliment décoré à l’arrière, histoire de tester quelques belles bouteilles avant de repartir achat en mains.
Je vous propose de créer une équipe de minimum trois personnes afin de comparer les ressentis en bouche et favoriser la discussion autour des tannins, ces molécules complexes et omniprésentes de notre environnement. N’oublions pas que nous avons en nous 25 récepteurs pour détecter l’amertume, une saveur causée justement par ces molécules de tannins, contre 1 récepteur pour les autres saveurs (sucré, salé, acide, umami).
Notre panel de dégustation est ainsi constitué de quatre personnes : deux hommes et deux femmes à l’éducation et culture française : Lydie de la cave Autour d’un verre et Romain son alternant, Eric Dugardin, sommelier-conseil depuis 30 ans et créateur des cours en ligne Les secrets des bouteilles et moi-même, Audrey, formatrice et consultante en vins et spiritueux et passionnée par les sciences autour de l’œnologie !
peur de rien
Pour réaliser cet exercice des tannins en bouche et les saveurs associées, nous avons sélectionné une bouteille de vin rouge de la rive gauche de Bordeaux avec du cabernet sauvignon afin d’assurer la présence de tannins en bouche. Nous commençons par une dégustation seule de ce Médoc Cru Bourgeois du Château La Roque de By 2018 pour calibrer notre palais.
La règle d’or de cet exercice sera ici de n’utiliser que son palais pour mieux apprécier le ressenti en bouche et les différentes textures de surface. Le nez sera banni pour éviter de mélanger nos sens et créer toute confusion possible. Le vin offre des tannins présents, une texture fine et souple. Nous avons tous les quatre une sensation de verticalité lorsque le vin entre en bouche avec des tannins aux jolis grains.
Le décor est planté, nous pouvons maintenant associer nos tannins.
Nous avons pour cela : du thé noir de Ceylan, lui aussi équipé de nombreux tannins, du citron pour tester l’acidité, du miel pour tester le sucre, du lait pour tester les protéines lactiques et le controversé accord « fromage-vin rouge », des sardines pour tester ce célèbre désaccord « poisson-vin rouge » et de l’alcool.
qui sera l’élu de son cœur ?
Tout d’abord, nous dégustons le thé noir seul en laissant longuement infuser ce dernier, histoire de basculer dans l’extrême du côté de l’astringence : celle-ci est invasive en bouche, dure et en effet très tannique.
Exercice N°1 : Un verre de Bordeaux + un sachet de thé noir de Ceylan
Alors que nous dit la règle tannins sur tannins dans la pratique ? L’amertume devient ici acidulée. Nous ressentons tous les quatre une sensation de picotements à l’avant de la bouche. Les tannins renforcent l’amertume.
L’astringence devient prédominante et surtout persistante. Sur la longueur, nous ne ressentons plus que cela…
Un effet additionnel stimule les autres textures et l’acidité. La perception de l’alcool est en revanche diminuée au profit de l’amertume.
Cela confirme ce que nous pensions de cette règle : éviter les tannins sur tannins. La teneur en tannins du chocolat (environ 6%) explique alors l’incompatibilité de l’accord avec le vin : conflit de tannins oblige, les tannins du cacao l’emportent sur le vin et le rendent insipide.
Il vaut mieux opter pour un vin avec une sucrosité (à tester ensuite) comme un Porto ou un Maury.
Exercice N°2 : Un verre de Bordeaux + du lait
L’amertume s’efface et adoucit le lait. Le vin garde son volume en bouche avec une belle charpente. Nous sommes impressionnés par l’onctuosité développée… Cela confirme la règle que les tannins adorent se lier aux molécules des protéines de lait. Ces dernières créent un véritable effet de diversion, détournant l’attention des tannins de notre film salivaire et réduisant ainsi la sensation d’amertume en bouche.
Mais alors pourquoi dit-on que l’accord fromage-vin rouge n’est pas bon ? C’est vrai et faux à la fois… Les protéines de lait du cœur du fromage s’entendront bien avec les tannins, qui adorent s’associer ensemble.
Néanmoins, la diversité des fromages est là avec des degrés d’affinage différents : les croûtes de certains fromages sont parfois pleines d’amertumes, riches en tannins…
Et là, nous rebasculons sur l’exercice précédent de « tannins sur tannins », incompatible, CQFD ! Ou alors, retirez les croûtes de votre fromage si vous n’avez d’autres choix que le vin rouge…
Exercice N°3 : Un verre de Bordeaux + l’acidité du citron
Le citron versé dans le verre de vin pour moi adoucit ce dernier et le rend plus fruité.
C’est plus nuancé pour notre expert Eric qui trouve que le citron ne rend pas le vin plus fruité.
En revanche, nous nous accordons tous sur le fait que l’acidité rend le vin plus rond, avec une sensation de velours si l’on comparait le ressenti à un tissu.
Le vin présente plus de largeur, créant une véritable confusion sur l’origine du terroir (notez que pour les amateurs de dégustation géo-sensorielle, l’horizontalité et le volume en bouche sont des caractéristiques de sol argileux).
Exercice N°4 : Un verre de Bordeaux + des sardines
Nous entendons souvent que les acides gras insaturés du poisson mêlés aux tannins créent une sensation métallique en bouche comme si l’on goûtait notre propre sang…
Dans cette pratique, nous sommes tous surpris par l’accord : peut être que notre cerveau avait anticipé cet effet et se trouve déçu ?
Car oui, nous sommes agréablement surpris : les deux ingrédients coexistent. Ce n’est pas un accord sublime mais ce n’est pas non plus un désaccord.
Bien sûr, la sardine est un aliment puissant et a tendance à prendre le dessus.
Pour autant, elle respecte le vin, voire même le fait paraître un peu plus frais…
Exercice N°5 : Un verre de Bordeaux + le sucré du miel
L’acidité diminue clairement dans cet accord, nous salivons moins. Le grain en bouche des tannins devient plus rugueux, avec une astringence dominante. Nous ressentons un fruité plus marqué du vin, souligné peut-être par le fruité du miel ?
Exercice N°6 : Un verre de Bordeaux + une eau-de-vie (l’alcool)
Le mésaccord connu d’alcool sur alcool se confirme ici, créant un déséquilibre et un effet brûlant en bouche. Les tannins à l’inverse deviennent plaisants et intégrés. D’ailleurs, sur le triangle de l’équilibre, les tannins sont les seuls éléments à garder leur identité, effaçant tout le reste (acidité, fruit). Il ne reste plus que la structure tannique dans le vin, tandis que la salivation s’affaiblit (baisse d’acidité).
Des retours d’expérience
Pour Eric Dugardin : « C’est une belle expérience d’associer des ingrédients alimentaires bruts à un vin tannique. Cela complète, confirme ou remet en cause des acquis connus. On sait par expérience que les meilleurs accords sont d’abord de couleur car nous sommes influençables visuellement. Il n’en est point question ici. On additionne, on juxtapose des composants typés et rien n’est acquis ! Ce qu’il en ressort en majorité pour moi est la belle cohabitation des identités accomplies comme le thé noir, la sardine. » Pour Lydie, l’enthousiasme est de taille : « Merci à Audrey et Éric d’avoir choisi Autour d’un verre pour cet exercice sur les tannins. On enrichit toujours nos connaissances pour mieux vous conseiller. »
Pour ma part, je réalise par cet exercice de groupe qu’il existe un écart entre la théorie et la pratique. Encore une fois, nous pouvons constater que d’autres facteurs peuvent intervenir dans nos accords comme la patte et le style du vigneron, le climat, le terroir, l’effet millésime… Nous n’avons pas fini d’apprendre sur le vin et de l’expérimenter.
Audrey