Bruichladdich, une distillerie écossaise de whisky renommée, arbore fièrement son slogan :
« We believe terroir matters » (« Nous croyons en l’importance du terroir »).
La marque suggère ainsi que sa situation géographique joue un rôle déterminant sur la qualité de son whisky.
Cette philosophie rappelle celle du monde du vin, où l’influence du terroir est avérée et reconnue : la qualité du vin est dépendante de la vigne dont il est issu et les conditions de développement de la vigne sont intimement liées à la population microbienne de la terre du vignoble. Ce lien entre terre, vigne et vin explique la volonté des acteurs de la filière viticole de protéger la réputation de leur terroir via des réglementations et systèmes d’indications géographiques divers.
À l’instar du vin, le whisky écossais est soumis à plusieurs réglementations, notamment le Scotch Whisky Act et les Scotch Whisky Regulations. Ces textes de loi définissent cinq appellations géographiques distinctes : Campbeltown, Highland, Islay, Lowland, et Speyside. Chacune de ces régions est réputée pour produire des styles de whisky uniques, se distinguant par des variations de saveur, de caractère et de méthode de production.
Par exemple, les whiskies de Speyside sont reconnus pour leur élégance, leur complexité et leur vaste palette de saveurs. Quant aux distilleries d’Islay, dont certaines comptent parmi les plus anciennes d’Écosse, elles sont réputées pour des whiskies aux arômes marins, iodés et tourbés.
Ce type d’argument, qui ne manquera pas d’être mis en avant par les distilleries lors du Whisky Live Paris, rendez-vous qui se déroulera cette année du 21 au 23 octobre à Paris, fait globalement mouche auprès des consommateurs.
En effet, nos recherches récentes sur la réputation collective des appellations géographiques, reposant sur l’analyse de plus de 80 000 ventes aux enchères de bouteilles de Scotch single malt, indiquent que les acheteurs attribuent une importance significative à l’origine géographique du whisky, et ce même après avoir pris en compte d’autres facteurs que nous avons identifiés dans de précédentes recherches : l’âge du whisky, le titrage alcoolique, la distillerie, l’embouteilleur, etc.
En l’occurrence, les whiskies en provenance d’Islay sont généralement échangés à des niveaux de prix plus élevés que les whiskies originaires des autres appellations, toutes choses égales par ailleurs.
Garantie qualité
Les appellations géographiques regroupent des systèmes de protection et de certification visant notamment à prévenir la contrefaçon et à promouvoir des produits spécifiques liés à une région géographique particulière. En garantissant l’origine du produit, une appellation géographique permet au producteur de garantir à ses acheteurs un certain niveau de qualité, qui dépend étroitement des caractéristiques géographiques du territoire de production que du respect de certaines règles de production.
En effet, les producteurs bénéficiant de la reconnaissance d’une appellation géographique s’engagent à respecter un cahier des charges strict, que ce soit en termes d’étapes de production que d’origines géographiques des matières premières. Les produits bénéficiant d’une appellation sont alors souvent perçus comme uniques et de haute qualité, ce qui permet de les différencier et justifier des prix plus élevés tout en renforçant la confiance des consommateurs.
Dans l’industrie française du vin, les appellations d’origine contrôlée (AOC) imposent aux producteurs-récoltants de cultiver des variétés de raisin particulières sur le terroir de l’appellation et garantissent que les raisins ont été cultivés sur ce terroir. Les AOC permettent ainsi de différencier les vins en termes de caractéristiques gustatives, du fait des propriétés inhérentes au terroir (sol, climat, population microbienne) ainsi que des variétés de raisin utilisées.
En ce qui concerne le whisky écossais, la réglementation stipule que la seule et unique condition pour pouvoir utiliser une appellation géographique est de distiller et vieillir le whisky sur le territoire correspondant. En revanche, il n’existe aucune règle concernant le type de céréales pouvant être utilisé, l’origine géographique de ces céréales, ou encore des tonneaux, et il est fréquent que les distilleries importent ces intrants. Si les céréales proviennent du continent européen et que les tonneaux viennent de Bordeaux, on peut, à l’image de certains professionnels du secteur, s’interroger sur l’impact de la géographie du territoire écossais sur la qualité des whiskies et sur le bien-fondé de leurs appellations géographiques.
Ces appellations garantiraient-elles des conditions de vieillissement spécifiques, en exposant les tonneaux à des conditions climatiques propres à chaque territoire d’appellation ? Une simple visualisation de la carte des appellations permet d’écarter cette piste. L’appellation Highland regroupe par exemple des distilleries s’étalant sur plusieurs latitudes, certaines bénéficiant d’un air iodé du fait de leur localisation sur une île ou en bord de mer tandis que d’autres sont situées en plein cœur des terres, bien loin de toute influence marine !
L’enjeu des labels
Nos recherches permettent déjà de montrer que les consommateurs peuvent accorder une valeur plus élevée à certaines appellations même lorsque celles-ci ne permettent finalement pas de différencier la qualité des produits. Au-delà de ce simple constat, nos résultats invitent à s’interroger sur le contenu informationnel des appellations géographiques et sur leur lisibilité pour l’acheteur.
Ces interrogations sont légitimes tant pour le secteur du whisky que pour d’autres produits bénéficiant de labels de qualité mettant en avant le lien entre la qualité du produit et son territoire de production : vin, fromage, viande, etc.
Nous pouvons notamment déduire de l’analyse du cas du whisky écossais que des producteurs peuvent bénéficier de la réputation favorable d’une appellation, même lorsque celle-ci ne fournit que peu d’indications sur la qualité réelle des produits. En montrant que les consommateurs peuvent être sensibles à des labels ou signaux de qualité au contenu informationnel particulièrement limité, nos travaux corroborent d’autres recherches qui appellent à réduire le niveau de complexité de certains systèmes d’appellations.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.
Bruno Pecchioli, Professeur associé, ICN Business School et David Moroz, Associate professor, EM Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.