J’ai fait la connaissance de Florence Monferran lors de la première édition de WineParis 2019, pendant une conférence sur “la viticulture et le changement climatique”. Loin du chant des cigales, dans une salle hyperclimatisée, elle était drapée dans une écharpe sans doute inspirée des Iris, le célèbre tableau de Van Gogh.
l’autre côté du miroir
Florence avait interpellé l’un des intervenants de Supagro Montpellier sur la collaboration entre les racines des arbres et celles de la vigne, ce que j’avais appelé à l’époque d’un ton moqueur la solidarité par les pieds !
J’avais été vraiment impressionné par la précision de ses questions et l’attention qu’elle portait à bien noter les réponses.
En discutant à la sortie, Florence m’avait appris alors qu’elle était vigneronne installée dans l’Hérault près de Sète aux Clos de Miège et préoccupée de redonner vie à des parcelles de muscat à petits grains, un cépage autochtone. Mais, sa modestie aidant, elle ne m’avait pas précisé qu’elle était historienne, chercheuse à l’Université Jean Jaurès à Toulouse : une historienne qui passe de l’autre côté du miroir, sur le terrain, les mains dans les souches et la tête en Grèce ou en Italie pour reprendre ses mots.
un projet derrière la tête
Puis nous nous sommes retrouvés quelques années plus tard avec mon vieux copain Luc Plissonneau aux vendanges du Mas des Justes dans les Cévennes.
Au cours du pique-nique je lui ai proposé de republier sur Génération Vignerons quelques uns de ses articles parus dans l’hebdo Le Point. Florence m’a alors répondu qu’elle les réservait pour une publication dans un prochain livre.
Sur le coup, je l’ai pris pour une réponse polie mais dilatoire…Jusqu’il y a pas si longtemps, lorsque Florence m’a confié qu’elle mettait la dernière main à un prochain ouvrage composé de “chroniques parues au fil des jours, au plus près du vivant, au cours de la décennie 2012-2022.” Un history telling pour reprendre ses mots.
Que peuvent bien raconter une trentaine d’articles mis bout à bout ? J’imagine l’amalgame que pourraient donner les 600 et quelques sujets de Génération Vignerons rassemblés dans un même ouvrage…
des racines et des raisins
Et bien pas du tout. Loin d’un inventaire à la Prévert, on est surpris par la permanence, la cohérence et l’enchainement de sa pensée sur une dizaine d’années.
A travers ses observations quotidiennes qui consignent l’accélération du temps de 2013 à 2022, les changements climatiques, l’expérimentation de pratiques qui se veulent d’excellence, Le vin par tous les temps questionne la notion de temps dans ces différentes acceptations : le temps géologique, le temps météorologique, le temps qu’on prend, l’histoire et la nuit des temps…
Il est ici omniprésent à travers l’attention particulière qu’il faut porter à la plante. Les observations nécessaires pour choisir le moment opportun, la bonne météo, les lunes et les vents favorables pour travailler…
Car La vigne est en évolution perpétuelle, nous rappelle Marc-André Selosse dans sa préface.
ça ne tourne plus rond
Dans le livre de Florence, le travail à la vigne est mis en perspective sur dix ans comme dans un livre de bord et à travers cet éclairage on comprend mieux les changements qui s’opèrent : 2013, retard de maturité, mais les conditions sont remplies tant en degré, sucre qu’en qualité sanitaire pour une belle récolte. 2016, une grande sécheresse, de très fortes chaleurs et la grêle: peu de jus dans le petit grain mais une concentration très rapide. 2018, l’année marquée du sceau du mildiou qui ravage l’ensemble du vignoble français le muscat à petits grains n’y échappe pas. 2019, un coup de feu s’est abattu sur les vignobles feuilles et grappes brulées, la vigne s’est mise à l’arrêt, comme en hibernation pour se protéger. 2021 ce sont les étourneaux qui vendangent des raisins à peine mûrs. 2022, début des vendanges le 25 juillet à Fitou, l’écart par rapport à ma première vendange en 2013 est quasiment d’un mois…
apprendre à faire le vin autrement
Vinification et élevage doivent aussi s’adapter au dérèglement climatique. A partir de 2021, Florence opte pour des macérations carboniques : les grappes sont conservées entières en cuve, sans pressurage pendant 10 à 15 jours. Ce choix motivé par l’état du raisin (peau épaisse donc peu de jus) se pratique très peu sur les blancs. Pourtant la méthode conserve la qualité du raisin intacte.
Changement aussi dans les méthodes d’élevage en barrique de plusieurs vins pour lutter contre la présence d’une microflore vivace en année chaude. Les tannins du bois neuf, sans contamination, offrent une protection naturelle aux moûts, qui plus est non sulfités.
Et puis citant Héraclite, Florence nous rappelle qu’ on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve…ni dans le même vin.
Alors il faut se rappeler que l’ancienneté de la viticulture nous confère une responsabilité particulière : rechercher les voies d’un futur possible. Et à mon tour pour paraphraser Saint Ex. nous avons un devoir de transmission pour les générations qui suivront.
L’ouvrage de Florence Monferran -plutôt desservi par une couverture fade qui essaye de tout dire- s’inscrit dans cette lignée d’écrivaines professionnelles du vin qui cherchent à partager leur passion et leur vision : je pense à Laure Gasparotto revenue à l’écriture après une vie de Vigneronne. Et ce n’est pas par hasard si elle figure parmi les 100 vigneronnes qui font la différence dans les vignes de France de Chacune à sa façon apporte en toute modestie, au delà de son expérience et de sa richesse, cette intuition de ce que l’avenir nous réserve.
François
Image à la Une : crédit OT-Sete-Agglopole-Mediterranée
Je te remercie, François, pour cette chronique nourrie de pièces à conviction de mon ouvrage. Nous partageons beaucoup de centres d’intérêt, et par-dessus cette passion pour la vigne, les vigneronnes et vignerons qui la font grandir.
Merci pour ce commentaire Florence, de ton côté continue à écrire, j’aurai toujours autant de plaisir à te lire !