Ne boudons pas notre plaisir : le Chiffre d’Affaires à l’export du vin et des spiritueux a atteint en 2021 un record avec 15,5Md€ soit 28,3% de plus que lors de l’année de référence 2019 (avant les taxes Trump et avant la crise du Covid). L’exportation des vins et spiritueux conforte bien sa place de 2ème excédent commercial derrière l’aéronautique et devant le secteur des parfums et cosmétiques. Toutes les régions vinicoles en profitent. Champagne chez les exportateurs sur leur stand à Wine Paris 2022 !
On pourrait être tenté de conclure que tout est rentré dans l’ordre et que ça va continuer comme ça dans un monde qui bouge…Ce serait une erreur ! Si la crise du Covid tend à se calmer, les taxes US. ont bien été suspendues pour 5 ans mais le différent commercial autour d’Airbus n’est toujours pas réglé…Et d’autres signes bien plus profonds tendent à montrer que l’avenir n’est pas si radieux que tendraient à le démontrer les chiffres 2021 de la FEVS, la Fédération des exportateurs des vins et spiritueux de France.
Où sont les jus ?
Dans un avenir tout proche, qu’y a t-il dans les cuves à mettre sur le Marché après les périodes de gel qui n’ont épargné aucune des régions françaises. Une baisse moyenne de 27% de la production par rapport à 2020. La réponse serait dans la commercialisation de vins de cépages ou des vins au style semblable comme le laisse entendre Laure Azema, de la filière boissons chez Sopexa ? Encore faudrait-il que la chaîne logistique réponde à tous les besoins en matière sèche sans que les prix s’envolent…
la viticulture durable est-elle une option ?
Et puis ce cri d’alarme poussé aussi bien par Gerard Bertrand et ses nombreux domaines certifiés Demeter que par Bruno Kessler Président de Anivin de France : la pratique des traitements est encore trop généralisée. La France continue de perdre ses sols vivants soit 1% en 10 ans. soit 84 Tonnes de CO2/ha capturés en moins chaque année. Pas étonnant que le rendement baisse.
Comment peut-on encore parler de diversité des terroirs alors que nous ne faisons pas tout pour les préserver ? Tout le monde s’accorde à dire que le vrai défi, c’est la santé des sols.
Et que planter dans ces sols ? Des piwis, ces nouveaux cépages issus de la génétique ? ou des cépages rendus résistants par croisement -des variétés « Bouquet« – les plus proches de Vitis vinifera à plus de 99% ? L’objectif pour Gérard Bertrand qui défend les cépages Bouquet, c’est de garder en tête de faire de bons vins.
Dame Nature nous réservera t-elle d’autres surprises les prochaines années ? Quels investissements prévoir pour affronter les différents épisodes climatiques ? Contre le gel (10 000€/ha la tour anti-gel) ? Contre la grêle (10 000€/ha pour des filets anti-grêle) ? Contre la sécheresse (4000€/ha pour un goutte-à-goutte en Languedoc) ? Et contre les maladies (replanter avec des cépages résistants 4000€/ha) ? Le poker c’est une activité de petits joueurs en comparaison !
Rien de nouveau jusque là me direz-vous ! Tout la profession est déjà sensibilisée à ces options.
Réenchanter le vin ?
En France le marché est atone. Pour Samuel Montgermont, président de Vin et Société “Nous sommes entrés dans une phase de déconsommation avec 10% de consommateurs réguliers et 90% de consommateurs occasionnels”. Il faut développer la capacité à s’ouvrir à une nouvelle clientèle, élargir la palette des produits. Se réinventer, « comme a su le faire le monde de la bière il y a 10 ans ».
Et pour ça il faut comprendre les goûts de la génération montante, la “génération Z” (née entre 1997 et 2010). C’est elle en définitive qui consommera -ou pas- les vins de demain. Mais est-elle vraiment intéressée ?
Oui, à n’en pas douter quand on voit les scores obtenus par les vidéos d’Emile Coddens sur le réseau TikTok : « je désacralise le monde du vin à travers des vidéos courtes et ludiques. J’ai réussi à réunir 0,5 million de followers grâce à ça. » Et un million de vues en une soirée pour une vidéo sur la façon de cracher !
Il semblerait bien qu’il y ait une rupture avec les critères des générations précédentes : les contours qui se dessinent sont ceux d’un vin décomplexé, facile à boire, non traité et peu alcoolisé.
Alexis Zaouk, meilleur Jeune caviste de France 2020 le confirme : « les jeunes générations s’intéressent énormément à la transparence, à l’histoire derrière le vigneron plus que l’appellation, le cahier des charges, le terroir ou le degré alcoolique. Comprendre comment est fait le vin… »
Des labels à la pelle
Alors les certifications environnementales permettent-elles de répondre à ces interrogations ? Pas sûr : la multiplication des labels génère plutôt des doutes ou de l’incompréhension.
N’y aurait-il pas lieu d’harmoniser les certifications pour obtenir un standard international ? Anne-Laure Ferroir de Terra Vitis nous confie que des discussions seraient en cours autour d’un super label, un Sustainable Wine RoundTable. On n’en saura pas plus que ce que leur site veut bien nous en dire.
Les Bureaux Veritas, Ecocert ou Demeter vont-ils devoir lâcher l’affaire ? Voila qui nous laisse rêveur, à moins que ces organismes certificateurs upgradent leur offre. A suivre donc…
le Yuka du vin
En revanche des initiatives comme celle de l’application dansmabouteille qui propose, en scannant les étiquettes des vins, bières et spiritueux, des informations sur les ingrédients et additifs de ces boissons alcoolisées, va dans le sens d’une plus grande transparence : quels additifs, taux de sulfites, polyphénols, résidus pesticides…? Voilà un moyen de répondre avec ses propres outils aux questionnements de la jeune génération.
Questionnement légitime car n’oublions pas que le vin reste le seul produit alimentaire sur l’étiquette duquel la composition en figure pas. Oui aujourd’hui le public n’a pas le droit de savoir ce qu’il achète. Aurait-on des choses à cacher ?
des vins à quels prix
Alors ces vins, plus sains et respectueux de l’environnement sauront-ils faire face à la concurrence étrangère ? La France a une longueur d’avance dans ce domaine, il faut la conserver. Et pour Gérard Bertrand comme pour Robert Eden pionnier de la biodynamie et copropriétaire du Château Maris le salut passe par la premiumisation.
Mais il ne suffit pas de gonfler ses prix pour entrer dans la catégorie des vins premiums. Il faut travailler l’ensemble de la chaîne de la valeur depuis l’environnement de la vigne, les qualités organoleptiques du produit, son packaging (voir notre article sur les Hard Seltzers), sa communication et jusqu’au débouchage de la bouteille sans oublier les pratiques des fournisseurs.
Qui pour faire ces vins ?
Recruter pour aller tailler n’est pas chose facile. Même souci pour monter des équipes de vendangeurs. Or les modes culturaux vertueux sont demandeurs en main d’oeuvre. Une question qui devrait être bientôt résolue par la technologie, notamment grâce à la robotique qui va tirer les compétences requises vers le haut et permettre de réduire l’empreinte carbone.
Des tâches de plus en plus spécialisées et mieux payées qui pourront être prises en charge par ces citadins revenus à la campagne comme le pense Gérard Bertrand. l’agriculture de précision c’est bon pour le futur ! nous dit Robert Eden et il suggère de faire passer le message que travailler dans la nature « it’s a healthy profession ! »
Pour Marc Thibault, vigneron en Coteaux du Giennois il va falloir recruter des compétences spécifiques pour piloter ces machines. Avec des rémunérations qui vont rendre la viticulture plus attractive encore.
Mais à terme est-ce que ça ne pose pas la question de la survie des petits domaines qui ne vont pas forcément avoir accès à ces nouveaux outils ?
Le digital à tout prix ?
Le digital est entré de force dans la profession avec la pandémie. Et la première édition de l’ indicateur des usages du numérique de la filière Vin réalisé par Vin et Société éclaire cet aspect de la profession.
Elle suggère qu’il existe sans doute pas mal de zones grises dans la couverture du réseau car 49% des personnes interrogées ont une connexion internet seulement au bureau et pas dans leurs parcelles, ce qui limite le recours aux outils connectés. Et aussi à la viticulture de précision présentée bien souvent comme une solution de conduite de la vigne.
18% des acteurs n’ont carrément pas de site ! En tous cas parmi les acteurs qui ont déjà le leur, 40% ont un site e-commerce.
Le digital au service de la communication ? C’est indéniablement là que la filière vin en perçoit tout l’intérêt. Voilà ce que pointe l’étude : « Les acteurs sont présents professionnellement sur les réseaux sociaux : Facebook (69%); Instagram (53%); Linkedin (18%); Whatsapp (10%) ; Twitter, Youtube (7%) ». Pourtant un quart des acteurs de la filière n’utilise aucun réseau social.
Les réseaux sociaux permettent de mettre en évidence qu’il existe sans doute moins de différences de gout entre un jeune de Shanghai, un jeune de New-York et un jeune Français qu’il ne peut exister avec sa voisine de palier de 50 ans plus âgée. En somme une proximité de génération bien plus qu’une proximité géographique comme le constate Emma Bertrand, Trade Marketing manager des domaines éponymes. Avec la démultiplication des réseaux sociaux aujourd’hui et des contenus, les marques ont besoin d’être créatives d’innover tout le temps, c’est bien ça pousse à aller plus loin, chercher le petit truc qui va marcher…
A noter que le manque de temps apparaît comme le frein principal à la progression de cette digitalisation.
François
Les propos des différents témoins ont été émis lors des conférences du dernier salon Wine Paris