Le 40ème anniversaire du Concours Mondial de Bruxelles est passé à peu près inaperçu dans la presse française du vin. La dernière fois que la RVF a parlé du Concours, c’était en 2004, pour ses 20 ans et encore parce que les Bordelais avaient raflé une grosse brassée de médailles. Il est temps de rectifier cette lacune informationnelle.
C’est au dernier WineParis que j’ai découvert le Concours Mondial de Bruxelles. Leur stand imposant était un lieu d’échange activement fréquenté, on y parlait de multiples langues autour de tables ornées de bouteilles médaillées; le tout dégageant une impression de puissance et un grand professionnalisme.

Lorsque je lui demande si le Concours est une branche de l’OIV, l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, il me répond sans ambages :pas du tout, le Concours mondial de Bruxelles n’est pas une institution, c’est l’émanation d’un groupe media-communication belge Vinopres qui appartient à la famille Havaux depuis plusieurs générations.
Une petite recherche me confirme l’attachement du fondateur Louis Havaux au monde du vin et particulièrement de Saint-Émilion puisqu’il fut chancelier de la Jurade en Wallonie.
COMMENT FONCTIONNE LE CONCOURS ?

Le CMB ne se réduit pas à un seul concours mais une série de campagnes qui se déroulent dans des lieux différents tout au long de l’année.
En 2024, ce fut la Croatie pour les vins rosés, l’Italie pour les effervescents, le Mexique– celui qui nous intéresse – pour les vins rouges et blancs, et enfin Bruxelles à l’automne pour les vins doux et mutés.

Voyez un peu la logistique à mettre en place, avec en plus l’obligation absolue de l’anonymat. Saluons ici l’organisation impeccable conduite par Thomas Costenoble, le directeur du Concours.
LE CONCOURS AU MEXIQUE
C’est la première fois que le Concours franchit l’Atlantique, me précise Benoît qui animait la délégation française composée de 22 professionnels du vin : des acheteurs, des délégués d’interprofession et de réseaux de cavistes, des journalistes comme Bernard Burtschy et des startupers.

Notre ami-rédacteur Christophe Bondu nous l’avait fait découvrir dans son article enthousiaste : le vignoble mexicain, le plus ancien du Nouveau monde.
Les jurys étaient composés d’un panel de 5-6 professionnels toujours de nationalités différentes.

La table n’a pas chômé avec quatre dégustations de 12 vins au programme, les lots étant regroupés par territoires viticoles, par exemple : blancs de Loire, rouges du Piémont, vins mexicains, etc.
Y-A-T-IL UN GOÛT STANDARD MONDIALISÉ ?
Le dégustateur professionnel prend une distance par rapport à ses goûts personnels et s’efforce d’analyser les aspects techniques des vins. Il va être guidé par le recherche de l’équilibre me précise Benoît, même si l’argument me laisse un peu dubitatif. Il y a forcément dans nos gènes et dans notre culture œnologique une attirance pour telle ou telle saveur, tel ou tel arôme presque inconsciemment. Il est vrai que le collectif va rééquilibrer les perceptions personnelles pour couronner une sorte de « goût sans défaut».

Les perceptions aromatiques et commentaires renseignés par le dégustateur seront agrégés pour délivrer le profil gustatif de chaque vin dégusté. C’est la startup bordelaise WineSpace présidée par Julien Laithier qui pilota l’opération avec son produit logiciel Tastee AI qui « transforment les commentaires textuels de dégustation en données numériques ».
Que son échantillon soit primé ou non, le compétiteur dispose d’un retour des dégustateurs, sous la forme d’une « rosace des arômes » comme celle du Château Le Bonalguet 2023.
ET LA FRANCE ?
Pas moins de 1400 échantillons de vins français furent présentés au Mexique sur un total de 7500 échantillons. On parlera d’un « millésime moyen » au regard du ratio de médailles obtenues. La France a décroché au Mexique quatre Grandes médailles d’Or sur 26 – pas terrible !- mais se rattrape sur l’ensemble avec 387 médailles obtenues, soit 28% du total. Le CMB comme tous les concours français ou internationaux respecte la règle des 30% de vins médaillés.
RENCONTRE AVEC UNE GRANDE MÉDAILLE D’OR

Elle exploite avec son mari Alexandre une quinzaine d’hectares de vignes plantées essentiellement en merlot, malbec, cabernet sauvignon et sauvignon pour les blancs à Saint-Germain du Puch, au cœur de l’Entre-Deux-Mers.
Le domaine produit autour de 100 000 bouteilles ou équivalents par an, dans les 3 couleurs en AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur dans une gamme de prix de 7 à 9€.

Un choix économique aussi quand on sait que l’inscription d’un échantillon peut vite monter à 300-400 € en incluant l’achat des macarons.
L’expérience d’Agnès est irremplaçable pour repérer les bons et les moins bons concours ; des moins bons concours ? Un nom lui vient à la bouche que je ne citerai pas mais certains auront compris. Elle insiste sur la régularité dans l’inscription de ses vins aux différents concours, année après année. Alors, les médailles se font plus nombreuses et l’Or convoité revient plus souvent. Un vin régulièrement primé, ça dit quelque chose.
Nous choisissons les concours en fonction de la composition des jurys. Des professionnels pour le CMB, Sauvignon Sélection ou les Vinalies Internationales, des jurys mixtes pour Paris (Concours agricole), Lyon, Bordeaux, Macon, Francfort, des jurys féminins pour les Féminalie ou ELLE à Table. Et Los Angeles ??? Si, si nous avons un importateur américain qui a été très fier de notre médaille. Sans oublier le retour d’expérience, les commentaires des dégustateurs qui permettent d’améliorer les assemblages.
J’ai l’impression de participer à une Masterclass sur les stratégies concours. C’est évident, si vous exportez il faut fournir des arguments à vos distributeurs sur place. Les Japonais sont friands des vins médaillés. Attention au côté « plastron de général soviétique » si vous en collez trop sur la bouteille !

Je ne peux m’empêcher de penser à la situation dramatique que vivent de nombreux vignerons du Bordelais quand la surproduction de vin rouge n’ouvre d’autres perspectives que l’arrachage ou la distillation. On le voit, il existe d’autres chemins, d’autres voies car « vivre sans espoir, c’est cesser de vivre » dit le Sage.
PRISE DE RECUL
L’exploration des résultats sur le site tient de la chasse au trésor pour l’amateur curieux.

Ne voit-on pas que la diplomatie tient un rôle majeur sur la planète vin, il y va de la fierté nationale mêlée aux intérêts commerciaux bien légitimes.
C’est une conviction partagée par Philippe de Cantenac, l’organisateur du Championnat du monde de dégustation à l’aveugle qui regroupait une trentaine d’équipes nationales, en Provence à l’automne dernier – Génération Vignerons y était. L’équipe roumaine victorieuse a fait la Une des médias de Bucarest et reçu un accueil digne d’un médaillé olympique.
BRUXELLES SI PROCHE, SI LOIN….
Quel contraste entre la France, forteresse inexpugnable de son vin national et Bruxelles ouverte à tous les vents de la mondialisation.
Le Concours a l’immense mérite de nous ouvrir les yeux sur la scène internationale de la vigne et du vin. Un monde multipolaire, longtemps dominé par les « puissances » (France, Italie, Espagne), puis partagé avec le Nouveau monde et ses viticultures expansionnistes. Aujourd’hui émerge une viticulture originale, méconnue issue de petits États des Balkans ou d’Asie centrale.

Les « puissances » ont répandu partout dans le monde leurs cépages dits internationaux, mis en lumière les secrets des terroirs, les vinifications bourguignonnes et les assemblages bordelais. Aujourd’hui elles diffusent les savoir-faire scientifiques des œnologues diplômés de Changins, Dijon, Montpellier, de Coimbra, Valence ou Bologne.
Ces nouveaux winemakers sont à la manœuvre en Croatie, en Georgie, au Montenegro, en Macédoine du Nord et même en Tunisie comme Génération Vignerons l’a constaté récemment. Ces spécialistes sont recrutés par des investisseurs avisés qui font le pari (gagnant) de créer sur place des complexes agrotouristiques modernes et séduisants.
Eux ne rateront pour rien au monde un épisode de la saga du Concours mondial de Bruxelles.
Jean-Philippe