La reine oubliée de Dracénie

Se rendre dans l’arrière-pays varois est toujours une promesse d’aventures viticoles riches en rencontres, en belles dégustations et en précieux souvenirs. Allez, c’est parti pour la Dracénie des collines ! À peine sorti de l’agglomération toulonnaise vous traversez Solliès-Pont, la capitale de la figue.

L’AOP QUI PROTÈGE

Depuis toujours le figuier a trouvé son terroir de prédilection dans la vallée du Gapeau «la tête au soleil et les pieds dans l’eau ». La figue de Solliès ayant obtenu l’AOP en 2011, l’appellation a changé la dimension de ce fruit d’automne au goût délicat, gourmand et légèrement sucré qui se marie si bien avec le fromage de chèvre.

Aujourd’hui les 800 tonnes annuelles de la « violette de Solliès » se vendent bien au-delà du cours Lafayette – le grand marché de Toulon-  faisant prospérer une centaine d’exploitations et transformateurs agricoles. Mangé cru ou cuit, frais ou séché ce fruit millénaire est une source d’inspiration pour les chefs créatifs membres de l’Académie du Goût.

Une source d’inspiration aussi pour les laboratoires de gemmothérapie qui proposent ses bourgeons en macérât aux mille vertus apaisantes pour le système nerveux et l’appareil digestif. Si je m’attarde un peu sur la figue de Solliès, c’est pour souligner qu’une AOP maîtrisée protégeant un fruit, un légume comme l’oignon de Roscoff ou un produit laitier installe un cercle vertueux au bénéfice du consommateur, du producteur et du distributeur. Les prix sont tenus, la qualité contrôlée et l’agriculteur retrouve sa fierté.

POURQUOI TANT DE VIGNES…

On prend du retard, me signale mon ami Eryck, grand épicurien devant l’Éternel, il ne faudrait pas faire attendre nos hôtes. Encore une cinquantaine de kilomètres sur l’A57 qui remonte la plaine des Maures. Une marée de vignes s’étend de part et d’autre de l’autoroute. Habituellement ce spectacle m’apporte une sorte de jubilation, mais là, la jubilation n’est pas au rendez-vous. Trop de vignes, trop de rosé IGP Var à 120 hectolitres l’hectare qui sera probablement bradé ou distillé au désespoir des viticulteurs et coopérateurs.

Pourquoi tant de vignes dans cette plaine fertile si adaptée à la polyculture ? Est-il encore temps d’éviter le spectacle désolant des vignes abandonnées ou arrachées en Languedoc ou en région bordelaise ? Ou le spectacle affligeant d’une marée de panneaux solaires dissimulant les vignes.

MONSIEUR PAGNOL

A Vidauban, le paysage change, le relief s’affirme autour de la riche vallée de l’Argens qui apporte fraîcheur et végétation verdoyante. Taradeau n’est pas loin, bordé par la rivière Florièye, le village est reconnaissable à sa tour de guet haut-perchée aux côtés de sa chapelle romane saint Martin du XIIème siècle.

Sur la place du village, vous rencontrerez peut-être monsieur Pagnol au bar-brasserie de la Tour ; à défaut, vous apprécierez comme nous le « sot-l’y-laisse » du jour servi par Angélique. Des panneaux indicateurs attestent de l’univers viticole haut de gamme : domaine Ott, château Rasque et château de Saint-Martin.

Quantité de raisons ont motivé notre visite au château de Saint-Martin. Il s’agit d’un cru classé des Côtes de Provence réputé et d’une référence en rosé. Le domaine a obtenu le prix de l’œnotourisme Terre de Vins pour ses Vino Spirit Expériences, autour de son musée interactif et sensoriel dédié aux spiritueux du monde entier. Tiens, un domaine viticole qui produit des liquoreux et spiritueux, pas banal !  En hospitalité, l’offre est séduisante : 5 chambres d’hôte de caractère sont proposées dans la bastide familiale du XVIIIème siècle, toutes décorées dans l’esprit châtelain de différentes époques très prisées des réalisateurs cinéma et de séries TV.

VIGNERONNES STARS

Il y a une autre raison plus délicate à exprimer. Celle de rétablir Adeline de Barry dans son statut de « Reine de Provence » que le journaliste Jacques Lesilinna avait injustement oublié. L’article paru dans les Echos Week-End en juillet 2024 titré Reines de Provence depuis trente ans débute ainsi : « Aujourd’hui viticultrices stars, Aurélie Bertin (château Sainte Roseline), Patricia Ortelli (château La Calisse) et Valérie Rousselle (château Roubine) se sont lancées dans les années 1990, à une époque où personne ne croyait aux rosés de Provence… ».

Loin de nous l’idée de retirer un quelconque mérite à ces viticultrices exemplaires que Génération Vignerons avait rencontré à Sainte-Roseline, lors du Championnat du monde de dégustation à l’aveugle. À nos yeux il y a une reine oubliée et peut-être la première d’entre elles….

AU FOUR ET AU MOULIN

Vous êtes une femme profondément ancrée dans les traditions familiales et dans le terroir. Vous êtes une femme moderne et ouverte sur son temps. Tels sont les mots prononcés par Hugues Parant, préfet des Bouches-du-Rhône, au moment de remettre la croix de la Légion d’honneur à Adeline de Barry, en 2011 (source RVF). Nous avons retrouvé une archive YouTube de cette cérémonie qui dévoile tant de belles choses sur la personnalité de cette femme d’action adulée par son équipe.

Loin de l’image d’une aristocrate bien sage, madame de Barry est la fondatrice du festival Rire en Vignes qui se déroule chaque année en juillet au château. Jean-Fi Janssens, Jérémy Ferrari, Éric Antoine, Olivia Moore ou encore François-Xavier Demaison sont passés par là dans une ambiance food truck, même ambiance pour les fêtes du village, les mariages ou les journées Nature.

Ne la croyez pas cantonnée à l’animation du domaine, non, son expertise culturale impressionne : « Nous travaillons beaucoup sur la sélection des plants, nous utilisons l’homéopathie pour lutter en particulier contre le stress hydrique et nous sommes en train d’expérimenter depuis avril 2022 l’utilisation de la physique quantique qui fonctionne comme une carte mémoire contre le gel, l’esca, la sécheresse et la diffusion de musique génodique pour renforcer les défenses immunitaires de la vigne » déclarait-elle à Terre de Vins en mai 2023, en présentant son domaine (50 hectares de vignes labellisées en HVE 3 et Terra Vitis, 500-600 000 cols/an).

La musique génodique, l’accord musique et vignes, ça nous parle à Génération Vignerons. Pour la physique quantique, promis on va s’y mettre !

MÉLODIE EN SOUS-SOL

Bonjour, je suis Angélique, c’est moi qui vous guide dans la visite du domaine – décidément le prénom Angélique est très prisée en Dracénie. On ne pouvait pas faire plus charmante introduction, d’autant qu’Angélique fait l’unanimité des avis recueillis sur TripAdvisor. Nous descendons tout de suite à la cave historique (XIIème siècle) pour laisser place à un groupe d’Américains qui démarrait une dégustation. Belle idée que d’aménager l’intérieur des grands foudres en cabinets de curiosité. On s’est amusé avec madame de Barry à fouiller dans les malles du château pour trouver tous ces vêtements d’époque. A noter que la cuverie creusée dans la roche par les moines de Lérins est toujours utilisée pour des vinifications parcellaires. Les installations techniques sont logées dans un vaste bâtiment moderne à l’aspect disons….inachevé. Quand il fut terminé madame de Barry a trouvé magnifique la couleur de ses briques nues, elle a refusé qu’on les enduise, nous précise Angélique.

MÉLODIE À L’ÉTAGE

On passe de la cave à l’étage par l’escalier de pierre pour découvrir le petit musée « interactif & sensoriel » qui leur a valu le Prix de Terre de Vins. Vous défilez devant une série de tableaux ou plutôt de showcases évoquant l’Arctique (vodka), les Tropiques (rhum), Marseille (pastis), l’Écosse (whisky) ou Londres (gin), j’ai conscience de mal décrire la scène, mais l’ensemble est plutôt sympa et rigolo – pour enfants et parents. Mon esprit était concentré sur cette alliance surprenante entre vins & spiritueux.

DES ESPRITS PARFUMÉS

Le « coupable » n’est autre que Renaud de Barry. Cet entrepreneur diplômé d’HEC, époux de madame depuis un quart de siècle a fort bien réussi dans les affaires. Un prince consort en quelque sorte, en recherche d’un investissement industriel qui le rapprocherait du domaine. Il l’a trouvé en rachetant en 2017 la Liquoristerie de Provence, de tradition centenaire labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV): le P’tit Bleu, pastis de Marseille, ça vous parle peut-être. La liquoristerie a depuis quitté Venelles près d’Aix en Provence pour regrouper l’équipe et l’alambic à Taradeau.

Et là, on fait tourner à fond les savoir-faire et la communication pour magnifier l’art des macérations et infusions de plantes, herbes, fleurs, fruits, racines. Et créer une magnifique gamme autour des sirops, liqueurs, apéritifs, spiritueux, absinthes et vermouths ; les arômes synthétisés étant bien entendu bannis.

LES FEMMES AU POUVOIR

Pour nous, ça sera 3 vins et 3 liqueurs. Angélique, tout sourire, entame son va-et-vient de bouteilles déposées sur le plateau d’un tonneau. On questionne, on échange, on s’agite, il me semble qu’il y avait beaucoup plus à déguster.

La gamme des vins décline de jolis noms de baptême, allant des aristocratiques Comtesse de Saint-Martin, Comte de Rohan Chabot ou Éternelles Favorites jusqu’au Rosé&Roll en passant par Carpe Horam et d’autre ; nul doute qu’il y a la patte de Madame dans ce répertoire composite associant culture, clins d’œil et lignée nobiliaire.

Ma préférence est allée à la cuvée Génération 11, cru classé Côtes de Provence 2024 ; un Rosé en assemblage carignan, cinsault et grenache déployant fraicheur et vivacité. Le Figaro Vin lui attribue un 90/100 en qualifiant sa bouche de « tonique et juteuse, elle évoque le bonbon arlequin et la pêche de vigne ». Son nom évoque l’aventure familiale des onze générations de femmes qui ont précédé Adeline de Barry depuis 1740.

LE CHOC EN BOUCHE

Et puis vinrent les liqueurs. Je flashe direct sur les mignonnettes de 10cl (9€) aux noms évocateurs comme ces fleurs d’Angélique, de thym, de figue, de lavande ou Mélopépo (melon et amande).  Ces liqueurs goûtent joliment bien, attention quand même à certaines fleurs qui titrent 40°C : est-on toujours dans la liqueur ? Le choc en bouche est bien présent.

L’envie de cuisiner avec ces liqueurs me titille. Il y avait toujours à la maison une bouteille de Madère ou du Cointreau pour relever le goût des plats et desserts et puis «l’alcool de cuisine » est passé de mode.

On pourrait remplacer les brins de thym désagréables en bouche par quelques gouttes de liqueur pour sublimer l’épaule d’agneau à la farigoule ? 

Si quelqu’un a essayé, qu’on nous le dise.

TROP N’EN FAUT

Quand Eryck hésite entre deux flacons, il prend les deux, ce qui lui vaut de solides amitiés vigneronnes. Avec une conséquence directe sur son volume d’achat qui commence à prendre une taille démesurée sur le comptoir. J’aperçois le pastis du liquoriste, un autre le Pointu, Ziga-Zaga la vodka, le magnifique vermouth Belmuse, les bouteilles de Génération 11, une poignée de mignonnettes et d’autres encore comme le whisky Singlar en boîte carton.

Ma commande est plus modeste, essentiellement des mignonnettes accompagnées du vermouth et des jolis cols Génération 11.  Revenez quand vous voulez ! la séparation fut émouvante et le coffre de la voiture débordant. Nous regagnons le littoral délestés de quelques centaines d’euros mais le cœur joyeux d’avoir entre-aperçu la reine oubliée de Dracénie.

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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