Il Vignetto di Napoli, le vignoble de Naples

C’est sûrement l’un des vignobles urbains les plus spectaculaires au monde : la Vigna de S.Martino à Naples présent sur 7,5 ha en plein centre ville, face à la baie. En comparaison, le Clos Montmartre à Paris compte 0,15 ha.

Et sans doute l’un des plus anciens : il a été  fondé au 14ème siècle en même temps que la Chartreuse du même saint. Et sur ce tableau dénommé la tavola Strozzi, qui représente le retour de la flotte aragonaise après la victoire à Ischia le 7 juillet 1465, les cultures et les vignes sont évidentes le long de la colline.

Il est conforme à la règle selon laquelle les vignobles urbains doivent rester cachés ou du moins peu accessibles au public : j’en veux pour preuve celui de Montreal au Québec perché sur le toit du Palais des Congrès !

mais où se cache-t-il ?

Dans cette ville sous haute tension alors qu’elle vient de remporter la coupe d’Italie face à Cagliari, cinq jours plus tard c’est toujours la fête ! Les Napolitains déambulent en famille l’esprit bon enfant, T-shirt bleu de rigueur, des cornes de brume à la main.

Une marée humaine bien paisible qui déambule sur la Via Toledo, à des années lumières des débordements footbalistiques parisiens. La police ici aussi est présente, mais en retrait. Elle participe à sa manière aux festivités.

Je me hisse sur la colline de Vomero par le funiculaire. C’est l’un des quartiers les plus napolitains, c’est à dire épargné par le tourisme de masse.

Et je pars en direction du vigneto, le vignoble. Pourtant il est invisible depuis le Corso Vittorio Emanuele. Il n’y a aucune entrée matérialisée pour y accéder. Après avoir exploré les cours, les arrière-cours des bâtiments qui l’entourent, je me dirige vers ce vieux monsieur de retour du marché, lourdement chargé de cabas remplis de verdure, de légumes. Buongiorno signore, lei sa dove si trove il vigneto? Le napolitain me considère de haut en bas Da dove viene? Et je lui réponds sans mentir Da Francia! Ma réponse vaudrait-elle laisser passer ?

Nous cheminons de concert sur le trottoir pendant qu’il fronce les sourcils et m’explique : è molto complicato le vignoble n’est pas accessible au public sauf pense t-il à prendre un rendez-vous avec l’association gestionnaire. Nous voici arrivés devant chez lui, il pose ses sacs, sort la clé de sa poche pour ouvrir une grille et, devant mon hésitation, me dit : ma andiamo, vieni pure il vigneto è in fondo al giardino! Venez donc le vignoble est au fond du jardin !

préservé des promoteurs

Incroyable, me voici au milieu d’un espace pur et sauvage où, mis à part le chant des oiseaux, règne un silence inimaginable dans l’une des villes les plus bruyantes et polluées au monde ! Ici en plein Centro Storico à quelques encablures des belvédères du Castel Sant’Elmo où s’agglutinent des rangées d’autocars, pas un bruit.

Je progresse pas à pas sous 30 degrés, une couleuvre verte, signe de prospérité et de bon augure dans la Rome antique, traverse le chemin sans s’inquiéter plus que ça de mon passage.

Me voici juste en dessous de la première terrasse : le lieu est magique et rassemble des jardins d’oliviers et d’orangers. Une bonne odeur d’herbe sèche parfume l’air ambiant. Nous sommes ici en pleine agriculture urbaine et durable car la main de l’homme y apparait si peu.

Encore quelques dizaines de mètres à parcourir et je me trouve enfin face aux premiers rangs de vigne, dont les pieds ne sont pas si vieux que ça d’ailleurs : j’apprendrai plus tard qu’ils ont été plantés pour certains à partir des années 90 : ici on trouve des cépages autochtones comme le  falanghina et le catalanesca  tous deux des cépages blancs et l’aglianico et le piedirosso des cépages noirs très répandus en Campanie, la province de Naples.

L’enherbement est de rigueur et visiblement aucun engin ne passe entre les rangs. La vendange est sûrement manuelle et les bonnes volontés ne doivent pas manquer !

Toute l’histoire du monde

A l’ombre d’un olivier, devant ce décor sublime qui embrasse toute la baie de Naples, je me prête à imaginer la vie sur cette scène millénaire ponctuée par les éruptions  du Vésuve : les chaloupes grecques venues de la Mer Egée pour y fonder la cité de Parthénope, les goélettes catalanes chargées de denrées ibériques pour les besoins du quartier espagnol,  Garibaldi et ses troupes défilant sur les quais et cette rumeur qui monte : le soulèvement populaire de Naples, seule ville à s’être libérée toute seule de l’occupant allemand sans l’aide des Alliés…

De retour, je retrouve mon vieil ami napolitain adossé à la porte de son logement. L’ha trovato? Cosa ne pensa? Qu’en pensez-vous ? Je le remercie chaleureusement. Il me raconte alors l’histoire récente de la Vigna de S. Martino : La renaissance du vignoble sauvé par Giuseppe Morra, galieriste napolitain qui l’a racheté en 1988 à une famille milanaise qui l’avait abandonné. Ah ces polentoni (expression peu amène pour désigner les Italiens du Nord) !

Couvert de ronces, de broussailles, il aura fallu des années pour remettre en ordre et à l’identique l’œuvre des moines qui, pendant six siècles, l’avaient modelé avec des terrasses, des murs de soutènement, des canaux…

La vigne produit aujourd’hui bon an mal entre 5 et 6000 bouteilles.

C’est un lieu qui s’ouvre de temps en temps à des visites pédagogiques pour les enfants, avec des ateliers d’apiculture, d’horticulture, de vendanges, des déjeuners, des apéritifs face au Tramonto, le coucher du soleil,  des soirées musicales et artistiques…

l’accueil napolitain

Et pour sans doute me récompenser de mon écoute, il rentre un instant chez lui et ressort deux verres à la main ! Oggi non potra assagiare… Aujourd’hui vous ne pourrez pas gouter le vin de S. Martino, il ne se déguste que lors des portes ouvertes du vignoble mais vous le Français que dites-vous de ce Greco di Tufo? Il est produit pas loin d’ici à 500 mètres d’altitude…

Naples est pleine de bonnes surprises et cet instant ne le dément pas. Ettore puisque c’est son prénom, comme mon grand père, me sert un vin  jaune paille. Son nez est riche en notes de fruits blancs et jaunes. Le goût est minéral, plein, équilibré et légèrement épicé à l’image des Napolitains! Dans de telles circonstances comment ne pas l’apprécier ?

François

Image à la Une : Tavola Strozzi de Francesco Rosselli (?) -1472- Museo San Martino

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Réalisateur documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : Italie

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