Fiefs vendéens, l’AOC turbulente

On aurait pu l’appeler AOPC pour désigner une Appellation d’Origine Peu Connue. Une trouvaille dont la paternité revient à Willy Kiezer bloggeur vin talentueux et grand amateur de jeux de mots à découvrir sur Ni Bu Ni Connu. Peu connue cette toute jeune appellation est déjà bien turbulente. Nous avions raconté sa courte histoire il y a quelques années : Vins de Vendée, on y revient !  Aussi nous ne reviendrons pas sur son origine gallo-romaine suivi de la marque du Cardinal Richelieu enracinée dans les drames et convulsions de l’histoire vendéenne.

Comme l’écrit l’auteur Jean-Claude Bonnaud (VINS mille lieux sous la Loire, JCF 2016), A coups de colères et de travail, d’utopie aussi, la Vendée a émergé du passé avec la seule volonté de se forger un avenir. Combats intenses qu’elle a également menée dans le domaine viticole pour obtenir enfin la labellisation en appellation d’origine contrôlée en février 2011. »

Une chose est sûr à ce jour, les Fiefs Vendéens sont rattachés, arrimés même aux vins de Loire, son slogan n’est-il pas « très Loire, très Vendée » ? InterLoire leur a fait une (petite) place dans sa gigantesque palette de 50 appellations, dénominations et IGP réparties sur 43 000 hectares et 14 départements ligériens, de la Vendée au Puy-de-Dôme.

Que pèse dans la galaxie des vins de Loire cette AOC lilliputienne de 350 hectares aux 13 vignerons qui produisent bon an mal an, quelques 2,5 millions de cols ? Une goutte d’eau mais qualitativement c’est une autre histoire.

UN DÉCOUPAGE CHIRURGICAL

Les autorités viticoles en accordant l’AOC aux vignerons ont pris grand soin de l’inscrire dans l’histoire du vignoble, de ses cépages et de ses terroirs et savoir-faire.

Intention fort louable qui a donné lieu à un découpage géographique chirurgical, éclaté en cinq terroirs distincts qui deviennent par magie des sortes de crus communaux : Brem, Chantonnay, Mareuil, Pissotte et Vix.

Et ce n’est pas tout : trois de ces fiefs ne sont exploités que par un seul vigneron. C’est un peu comme en Bourgogne, nous avons nos crus « monopole » me glisse avec humour le sablais Christophe Bondu, conseil œnologique et grand connaisseur des vins d’Amérique (voir : Le vignoble mexicain, le plus ancien du Nouveau monde).

LES ABSENTS ONT TOUJOURS TORT

Les vignerons des Fiefs avaient organisé un petit salon pour « se faire encore mieux connaître des pros ». Le château de la Chevallerie, un splendide logis du XVIIème, petit trésor de Vendée à Sainte-Gemme-la-plaine, accueillait l’événement. Merci à TV Vendée pour son reportage vidéo.

Un public jeune et ravi était là pour honorer des vignerons trop peu nombreux. Disons-le tout net : les cadors de l’appellation étaient absents. Dommage, car j’aurais été heureux de saluer Thierry Michon, domaine Saint Nicolas, lui qui porte la renommée des vins de Vendée aux 4 coins du globe, de la Californie au Japon. Ou Éric Sage de Brem-sur-Mer, un vigneron talentueux que m’a fait connaître Gaétan, de l’Arbre à Bouteilles mon caviste nantais.

Ouest France, sous la plume de Nicolas Cossic a tenté de comprendre pourquoi des vignerons se détournent de l’appellation. Il est clair que le cahier des charges de l’AOC approuvé il y a près de 15 ans par les vignerons et l’INAO est mal foutu. Pour le dire autrement, il ne correspond plus à la demande des consommateurs ni aux souhaits des vignerons. Thierry Michon y va direct : L’AOC favorise une uniformisation, une standardisation du produit, avec des assemblages de cépages normés dont on ne peut pas se défaire. On gomme l’aspect terroir !

Bastien Mousset, à la tête de l’Orée du Sabia, à Brem-sur-Mer, pousse dans le même sens : avec le monocépage, on peut affirmer l’identité d’un terroir, sur un millésime et une parcelle. Sur ses dix cuvées, une seule est commercialisée en AOC Fiefs vendéens. Jérémie Mourat, un des plus gros producteurs du département, basé à Mareuil-sur-Lay-Dissais tempère : Il est important de garder une liberté. L’AOC est à la fois très bien, nous protège, mais elle oblige à rentrer dans des cases.

UN PETIT BRAS DE FER ?

Ce débat sur vins d’assemblage versus vins de cépage semble dérisoire à une période si difficile pour la viticulture frappée par les dérèglements climatiques, les surproductions, l’explosion des coûts, les arrachages et la déconsommation. Mais il s’inscrit dans un mouvement de ras-le-bol plus large. C’est par dizaines que les demandes de modifications de cahiers des charges incluant l’introduction de cépages hybrides, de cépages anciens, de densité de plans, etc, s’empilent sur les bureaux de l’INAO, l’autorité souveraine en la matière. Faudra-t-il attendre 5 ou 10 ans avant que les choses bougent ?  Un petit bras de fer avec les autorités ne ferait sans doute pas de mal à la notoriété de l’appellation !

Est-ce le projet de Vincent Orion, le nouveau président du syndicat de l’AOC Fiefs Vendéens ? Ce qu’on sait, c’est qu’il appelle à l’unité.

Ce quadra séduisant au regard franc et direct a pris les rênes, avec son frère Alban, du domaine de la Barbinière, créé par leur père Philippe, il y a 40 ans. Une belle histoire vigneronne, ce domaine parti tout petit qui aujourd’hui s’étend sur 30 hectares en agriculture biologique.

Et la plus belle transmission qu’un entrepreneur puisse rêver : donner les clefs de la maison à ses fils. Il avait bien choisi son terrain, le père, à Chantonnay sur une veine carbonifère, quartz et silex qui s’étire jusqu’en Anjou. Du travail, du travail, me glisse-t-il, avec le sourire de l’homme qui a peut-être rentré en 2023 l’une de ses plus belles récoltes.

La vieillesse a une belle âme dit le sage.

PAS QUE LES TOURISTES

Les rabats-joies, eux, diront : avec 5 millions de visiteurs en 2022 – top 3 des départements touristiques-  la Vendée n’a pas trop de mal à écouler ses vins. Un propos guère apprécié par Vincent : on ne fait pas que des vins pour les touristes ; vous savez nos vins accompagnent les cartes des grands restaurants de la côte atlantique.  Et là je suis pris en flagrant délit de méconnaissance gastronomique.

Quoi, vous ne connaissez pas LouLou le phoque ? Elsa, la sommelière de LouLou Côte Sauvage, un étoilé des Sables-d’Olonne (La Chaume) avec vue sur mer m’invite à venir très vite déguster son hommarus gamarus accompagné d’une bulle d’O brut de la Barbinière.

D’une main, j’attrape le verre que Vincent me tend aimablement et découvre un bel effervescent en « méthode traditionnelle » assemblage de chenin/pinot, harmonieux, au fruité gourmand.

Une bulle qui se marie fort bien avec le petit dessert bien vendéen concocté par le traiteur local : «tranche de brioche perdue à la crème à la pistache. »

ATTENTIFS AU PORTE-MONNAIE

Du coup, on parle moins des soucis de l’appellation et plus de vin. A la Barbinière, nous sommes présents dans les trois couleurs : 40% en rosé, autant en rouge, 20% en blanc et quelques pourcents en effervescent. Un bel équilibre qui correspond aux goûts d’ici, plutôt traditionnels. Voilà un des traits de caractère de l’AOC vendéenne : solidarité au plus près du terrain : nos retraités sont toujours au rendez-vous pour les vendanges.

Les Silex, dans les trois couleurs sont les best-sellers de la maison (8 à10€). Normal, en ces temps d’inflation on fait gaffe à l’addition. Le rosé à base de pinot noir/gamay/négrette est fruité, gourmand à souhait. Et là, je dois reconnaître que l’obligation d’assemblage propre à l’appellation n’est peut-être pas si ringarde que ça.

Poussant la logique du terrain, de la proximité, Vincent me dit quelque chose qui fait réfléchir. On vend tout sur place. L’export, non c’est trop loin et c’est pas bon pour le bilan carbone, il ne parlait pas au nom de l’AOC évidemment. Mais en jetant un tel pavé dans le marc, le voilà à contre-courant de l’immense majorité des AOC françaises qui ne jurent que par l’export pour pallier la baisse des ventes nationales, quel paradoxe !

VINCENT ET LES AUTRES

Je m’aperçois que je ne parle que des vins de la Barbinière, alors que j’en ai goûté beaucoup d’autres, notamment ceux de Mercier Vins, du domaine des Granges, des Vignobles Jard, du domaine Coirier, de Fabien Murail, de l’Orée du Sabia et j’en oublie probablement. Tous ces vins étaient bons et très accessibles, sincèrement.

Les vignerons des Fiefs me font penser à ces vignerons italiens installés dans des régions viticoles (DOCG) peu connues à l’international comme l’Ombrie ou Basilicate. Si vous voulez connaître leurs vins (délicieux), allez sur place !

On va dire pareil pour la Vendée.

Jean-Philippe

Image à la Une : crédit le Dico du vin

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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