Breaking news : l’IA plus forte que les dégustateurs !

C’est l’histoire d’un jeune entrepreneur de la tech qui voulait rentrer dans l’Histoire, la grande. Il a étudié à fond deux évènements qui ont marqué l’histoire de la viticulture et celle de l’informatique par l’énormité de leur l’impact. Et il s’est mis en tête de créer un troisième événement qui « sublimerait » les deux premiers. Pas très clair, tout ça ?

Voilà bientôt 50 ans- le 24 mai 1976 – le Jugement de Paris fut rendu. Moment charnière de l’histoire de la viticulture, cet évènement fut créé par le caviste parisien anglais Steven Spurrier et l’américaine Patricia Gallagher pour challenger la supériorité présumée des grands vins français. Contre toute attente, Il consacra la supériorité de vins californiens sur la fine fleur des chardonnays de Bourgogne et des assemblages bordelais. Le verdict fut rendu à l’issue d’une dégustation à l’aveugle d’anthologie qui mettait en scène onze dégustateurs représentant le meilleur de la sommellerie et de la haute gastronomie française (Grand Vefour, Taillevent, Tour d’Argent, Romanée-Conti, Gault&Millau, etc)

Il y a 28 ans, le 11 mai 1997, le champion d’échecs Garry Kasparov était battu par Deep Blue, le superordinateur conçu par IBM, aux termes de six parties achevées sur le score final de 3,5 points à 2,5. Une défaite historique infligée par l’intelligence artificielle à une intelligence humaine exceptionnelle.

Deep Blue et Deep Red

Et puis, Il y a quelques jours, le 15 mars 2025, un certain Théodore Tillement, patron-fondateur de l’entreprise M&Wine a convaincu Philippe de Cantenac l’organisateur des Championnats du Monde de Dégustation à l’Aveugle rencontré l’an passé par Génération Vignerons, de diriger une dégustation un peu spéciale.

L’évènement se passait à Apremont en Savoie, lors des éliminatoires du championnat de France-RVF. L’organisateur devait choisir onze dégustateurs avertis – un clin d’œil au Jugement de Paris – pour trouver : le pays d’origine, l’appellation, le cépage principal, le millésime et le producteur de douze vins sélectionnés, blancs, rouges, rosés et effervescents.

Auparavant le même exercice avait été confié sous contrôle d’huissier à DeepRed (en référence à DeepBlue le superordinateur d’IBM) un logiciel développé par la société lyonnaise M&Wine. Puis à la fin de la dégustation, nous avons comparé nos résultats avec ceux de DeepRed, apportés sous scellés par l’huissier, précise Philippe de Cantenac.

Et qui l’a emporté ?

PETIT RETOUR EN ARRIÈRE

Théodore Tillement et ses associés ont mis au point le logiciel DeepRed présenté au dernier Consumer Electronic Show de Las Vegas. C’est l’aboutissement d’un programme de recherche qui associe l’IA aux travaux menés par l’Institut Lumière Matière de Lyon et le laboratoire Ingénierie des Matériaux Polymères ; « une avancée majeure » pour l’industrie viticole précise le Centre.

L’équipe s’est intéressée aux 40 éléments minéraux que l’on retrouve dans le vin dont la quantité et la concentration permettent d’établir une signature unique pour chaque cuvée. « L’intelligence artificielle revèle l’origine des vins grâce à leur signature minérale unique » titre le communiqué de presse de l’Institut Lumière Matière CNRS qui parle d’un ADN minéral du vin.

Théodore Tillement donne des précisions à la Lettre Vitisphère (22/03/25).  Nous avons analysé les concentrations en 40 éléments minéraux de 12 vins anonymisés par huissier pour les intégrer à notre modèle prédictif chargé d’identifier les vins. Nous avons confronté ses résultats à ceux donnés par un panel de 11 dégustateurs avertis choisis par M. de Cantenac.

POUR QUEL RÉSULTAT ?

DeepRed a trouvé 100 % des pays, 83 % des régions, et 83 % des cépages quand les dégustateurs ont en moyenne trouvé 50 % des pays, 20 % des régions, et 50 % des cépages. Parmi ses rares erreurs, l’IA DeepRed s’est trompée sur le vin de Jura à base du cépage poulsard. C’est parce qu’elle n’y a pas été confrontée dans notre base de données de 35 000 signatures minérales de vins, explique Théodore Tillement, qui lance un appel aux domaines et caves coopératives pour perfectionner son outil.

VOUS AVEZ DIT MINÉRALITÉ ?

La percée de l’outil MWP – Mineral Wine Profil – a surpris beaucoup de monde dans les sphères scientifiques et œnologiques. Voilà le débat sur la minéralité du vin relancé.

Un débat souvent polémique – voir La minéralité un descripteur bidon ? Avec ses partisans notamment les défenseurs de la dégustation géo-sensorielle et ses détracteurs très sceptiques sur les goûts de « jus de pierre » associés au vin. L’affaire prend ici une autre dimension car l’IA ne reconnaît pas un goût sensoriel mais une structure physico-chimique propre à chaque vin.

Le profil multi-minéral du vin (oligo-éléments, minéraux, traces métalliques) est basé sur la teneur de 40 éléments représentatifs et illustré via un diagramme de Kiviat.

Cela n’empêche pas l’équipe M&Wine d’en tirer des conclusions en termes organoleptiques, comme pour ce Saint-Émilion Grand Cru anonymisé : « la présence d’ éléments trace de strontium et rubidium témoigne d’une recherche approfondie en matière de nutriments, ajoutant une dimension de complexité au vin. Les très faibles concentrations en sodium et en ions chlorures indiquent un vin peu salin, signe d’un sol bien drainé, ce qui contribue à sa pureté et à son équilibre ».

LA COURSE AU BIG DATA

La start-up, qui vient de réussir une levée de fonds de 450 000€, doit impérativement « monétiser » son invention, dans la foulée de son magnifique coup médiatique. Assurez-vous de l’authenticité de vos productions ! devient son étendard commercial.

Les domaines prestigieux sont la cible prioritaire. D’abord parce qu’ils ont les moyens de payer les tests et surtout ils sont confrontés à des contrefaçons sur les marchés internationaux. Ils avaient déjà la blockchain pour sécuriser leurs vins, les voilà qui disposent d’une protection supplémentaire. Pour Petrus, il n’y a pas de petites économies pour défendre l’authenticité de ses vins.

L’équipe de M&Wine est clairement engagée dans une course de vitesse à la massification de sa base de données. Et là on voit comment fonctionne l’IA, il lui faut sans cesse de l’apprentissage, il lui faut sans cesse identifier un maximum d’ADN minéral de vins pour accroître sa base de données et faire croître sa valeur.

L’entreprise renouvelle son appel aux domaines viticoles et aux appellations pour enrichir la base de données. Il nous faut collecter plus d’échantillons, l’IA apporte des prédictions exceptionnelles, mais elle n’est pas un outil magique; elle ne peut pas prédire une information qu’elle n’a jamais apprise. Passer de 35 000 signatures à 350 000 augmenterait massivement la probabilité de réussite et que dire si le chiffre du million était atteint ? Cela demandera du temps et des levées de fonds supplémentaires à moins que Théodore Tillement ne trouve (encore) une idée de génie pour mobiliser la communauté vigneronne dans sa croisade. On le lui souhaite.

Jean-Philippe

Image à la Une : crédit CNRS délégation Rhône Auvergne /M&Wine

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
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