La naissance d’ un domaine viticole est toujours un événement heureux car il exprime de la confiance et de l’espoir en l’avenir de la vigne et du vin. Et Dieu sait combien nous en avons besoin aujourd’hui ! Aussi lorsque Stéphane Gautrot nous a présenté son projet d’article centré sur le « pacte d’associés » qui a donné naissance au domaine Puech Roques en AOP Gaillac, Génération Vignerons a applaudi des deux mains, d’autant qu’un renouveau du vignoble est actuellement en marche. Le « plus ancien vignoble de France » (Roger Dion) avec sa cohorte de cépages millénaires qui se déploient sur les rives du Tarn entend bien nous montrer ses grosses ambitions pour revenir dans le peloton de tête des plus belles appellations françaises.
Jean-Philippe
Cette petite histoire est l’histoire d’Arnaud, 37 ans, ingénieur agronome et œnologue, et de Christine et Stéphane, mariés, 55 ans, en quête d’une vie nouvelle après un parcours de cadre et dirigeant d’entreprise.
Nous ne nous connaissions pas il y a 9 mois. Nous avons été mis en relation par la Safer Occitanie en mars 2024 et avons décidé de franchir le pas ensemble : nous nous sommes associés pour reprendre en juin un petit domaine certifié en agriculture biologique sur les coteaux au nord de Gaillac. Nous l’avons baptisé Domaine Puech Roques, du nom du lieu-dit sur lequel nous sommes installés sur la commune de Montels.
POURQUOI GAILLAC ?
Le choix de Gaillac s’explique par la proximité de Toulouse, où nous avons tous des attaches, mais aussi par la richesse de cette région, parcourue de bastides et cités anciennes, et par l’originalité du vignoble, avec ses nombreux cépages autochtones, tels que le braucol, le duras, le prunelart, le mauzac ou le verdanel, qui donnent de multiples possibilités : blancs, rosés, rouges, sur le fruit ou plus tanniques, secs ou moelleux, en vin tranquille ou effervescent.
« Nous nous sommes vus quelques fois et avons confronté nos points de vue sur le vin, sur le métier de vigneron, sur les rôles des uns et des autres tels que nous les imaginions si nous devions travailler ensemble, sur les limites également que nous voulions nous donner. Nous avons bien sûr partagé nos visions du domaine que nous recherchions et de l’évolution que nous souhaitions à 5 et 10 ans. Des échanges qui ont permis également de vérifier que nous pourrions nous entendre. Après, comme dans toute association, on ne peut écarter le risque de mésentente ou de désaccord majeur. Cela aussi nous l’avons évoqué.
TOUS LES TROIS PATRONS
L’originalité de notre association, rendue possible par la complémentarité de nos parcours et de nos compétences (et de nos âges aussi), réside dans l’engagement que nous avons pris les uns vis à vis des autres : Arnaud apporte toute son expérience de la vigne et de la cave, Stéphane et Christine apportent un capital, mais aussi leur capacité de travail et leur expérience de la gestion d’une entreprise.
Stéphane : il ne s’agit pas pour nous d’un investissement financier mais bien d’un projet auquel nous voulons pleinement prendre notre part au quotidien. Et Arnaud n’est pas un salarié auquel nous demandons des comptes, nous sommes tous les trois patrons. Nous prenons toutes les décisions ensemble.
C’est important pour Arnaud puisqu’il est amené à reprendre seul le domaine à moyen terme. Nous avons aussi clarifié nos rôles respectifs. Sans surprise Arnaud pilote la production, Christine gère les comptes et pour ma part je fais avancer les sujets marketing et communication. Bien sûr nous aidons Arnaud à la vigne et à la cave. Et cela marche plutôt bien jusqu’ici.
PROJECTION À 10 ANS
Le domaine sera en effet transmis à Arnaud, à des conditions financières définies et avantageuses pour lui, dans très exactement 10 ans. Cet engagement est formalisé à travers le pacte d’associés déposé à la création de la société, avant même la signature de l’acte d’acquisition du domaine.
Ainsi chacun aura pu dans quelques années réaliser ses objectifs : Christine et Stéphane se faire plaisir et apprendre un métier nouveau, loin des bureaux et des salles de réunion, et Arnaud accéder à son rêve d’acquérir et développer un domaine viticole, sans avoir nécessairement le capital de départ et en minimisant le risque financier pour sa jeune famille. Gagnant-Gagnant !
Aujourd’hui nous sommes heureux. Nous réalisons notre première récolte et sommes confiants dans la qualité des vins que nous pourrons produire, malgré un millésime difficile.
– Ils apprennent plutôt vite pour des gens de la ville, s’amuse Arnaud !
– Les dos tirent quand même un peu après une matinée d’effeuillage ou une après-midi de décuvage, reconnaît Stéphane.
– Moi, je découvre plein de choses, tout n’est pas facile, mais c’est ce que nous recherchions, chaque jour nous apprenons des choses nouvelles, et Arnaud est un très bon professeur, ajoute Christine.
UNE DYNAMIQUE NOUVELLE À GAILLAC
Nous avons hâte de pouvoir commercialiser nos premières bouteilles et avons plusieurs idées pour faire des choses originales que nous pourrons proposer tout au long de l’année 2025 … C’est aussi l’un des intérêts de notre association.
Nous discutons beaucoup des profils de vins que nous souhaitons réaliser, chacun ayant sa propre compréhension des attentes des consommateurs.
Une dynamique nouvelle s’est créée aujourd’hui au sein de la communauté des vignerons de Gaillac. Notre ambition est clairement d’y prendre part en apportant notre point de vue et nos idées dans une période que l’on sait difficile pour le vin. Il y ici un gros potentiel et nous avons tout pour le transformer en réussite, à condition d’être à la fois rigoureux et entreprenants.
Nous sommes conscients que la difficulté pour un domaine en création est de vendre sa production intervient Arnaud. Nous devons créer notre réseau de commercialisation en partant d’une feuille blanche. Le marketing et la communication sont clés, comme pour toute entreprise. Stéphane nous aide sur ce plan-là en venant du monde de l’industrie et des services et en ayant dirigé sa propre entreprise. Et bien sûr Christine et Stéphane apportent leur réseau personnel, forcément plus étoffé quand on a 55 ans et quand on a été cadre dans des grandes villes comme Paris et Toulouse.
À condition toutefois d’être capable de produire les profils de vins que l’on a définis, et de reproduire un même niveau de qualité tous les ans. C’est ce qu’Arnaud rend possible, compte tenu de ses compétences et de ses expériences dans de multiples endroits, en France comme dans plusieurs régions viticoles hors d’Europe, qui lui ont fait connaître un grand nombre de pratiques différentes, précise Stéphane.
UN RÉSEAU D’AMBASSADEURS POUR NOS VINS
Au-delà de l’horizon court terme des prochains mois, nous avons également construit ensemble un plan de développement sur les 6 années à venir, pour nous amener à un domaine de 10 ha doté d’installations renouvelées et pleinement engagé dans une démarche responsable et durable. La première étape de ce plan est engagée avec le lancement dès 2025 d’un projet avec Terra Hominis pour nous permettre de planter 4 hectares de vigne et de développer un premier réseau de véritables ambassadeurs de nos vins.
Par ailleurs les projets d’extension et de rééquipement de la cave sur lesquels nous travaillons nous permettront dès 2026 non seulement de travailler plus efficacement et dans de meilleures conditions mais aussi d’accueillir les particuliers au domaine.
Car nous avons la chance d’être dans un très bel endroit, vallonné, au cœur d’une région magnifique, avec de multiples activités possibles. A terme le vin ne doit pas être la seule raison pour laquelle des personnes viendront nous rendre visite.
Ce plan est raisonnable et financé. À nous de le piloter et au besoin de l’adapter pour ne pas mettre en danger le domaine que nous voulons transmettre à Arnaud. Nous en assumons en tous les cas le risque financier, explique Stéphane.
ÇA DÉMARRE PLUTÔT BIEN
Les vendanges sont terminées depuis quelques jours. Beaucoup de fatigue mais aussi une très grande joie et encore plein d’images, de sourires et de rires dans la tête. Pour tous les trois, c’était bien sûr une première grande satisfaction d’avoir pu partager ces journées avec nos parents et amis venus nous aider.
En attendant, on l’espère, d’autres satisfactions lorsque nous proposerons à nos premiers clients, particuliers ou professionnels, nos premiers vins.
La date de la première mise en bouteille est fixée. Ce sera le 6 décembre, soit 9 mois après notre première rencontre, un joli clin d’œil et une belle performance tout de même ! Nous proposerons avant les fêtes de Noël une première gamme, avec les trois couleurs et un effervescent, que nous complèterons en avril par une deuxième gamme de trois autres vins et aussi par la sortie en cours d’année 2025 de deux cuvées surprise qu’Arnaud bichonne tout particulièrement.Pas si mal pour une première année !
L’INTER-GÉNÉRATION VIGNERONNE : UNE SOLUTION
Nous percevons que notre projet est considéré par beaucoup comme original, si l’on en croit notamment les réactions des personnes du milieu viticole auxquels nous le présentons. Il est dommage qu’il n’y ait manifestement que peu d’exemples similaires. Dans d’autres secteurs d’activité, comme l’industrie ou les services, ces formes d’association se rencontrent à présent régulièrement. Nous sommes en tous les cas convaincus que ce schéma est intéressant et c’est la raison pour laquelle nous souhaitions le partager.
En espérant qu’il pourra être repris par d’autres, jeunes vignerons aujourd’hui en difficulté pour acquérir un domaine et quinquagénaires passionnés de nature et de vin en quête d’un nouveau (et probablement dernier) challenge professionnel.
Stéphane