Voilà le vigneron de Majorque qu’il faut rencontrer pour qui aime le vin authentique. Eloi Cedó Perelló ne pourrait laisser insensible qui que ce soit. Majorquin par adoption, il travaille pour la Bodega 4 kilos Vinicola et entretient leurs vignes tout en participant à l’élaboration des vins. Il vinifie à coté les très recherchés vins de son Cható Paquita dont la première cuvée est sortie en 2012. On peut l’apercevoir ici et là. Vous le retrouverez dans la bande dessinée Pur Jus de Justine ST Lô et Fleur Godart, parmi tous ces passionnés et anticonformistes amoureux des vins natures.
Retour aux cépages ancestraux
Une rencontre sur le terrain avec lui vaut une conférence sur le respect de la nature comme aucun ne pourrait vous l’offrir. C’est la pureté du bio. L’amour du cépage callet (prononcer cayette) qui porte ce nom du fait de sa noirceur, « noir » se disant callet en dialecte Majorquin. Avec ses vêtements usagés Eloi Cedó Perelló arpente torse nu, lentement, les rangées de vignes du domaine sur la commune de Felanitx au centre de l’île.
Lorsque nous le croisons il fait très chaud, près de 42 degrés mais il semble ne pas ressentir la lourdeur de l’air sec et brûlant. La culture bio devrait être obligatoire sur l’île de Majorque, au lieu de quoi nous ne sommes que 10 producteurs dans cette voie.
Avec les méthodes culturales d’Eloi on considère les vignes plutôt comme une forêt qu’un jardin. Les 7 hectares sont plantés pour laisser place à la nature. Certains cépages sont mélangés aux manto negro et carignan. Il y aurait même des cépages locaux un peu honnis des autorités viticoles comme le fogonel, sabaté, macabeo et baptista. Au milieu des vignes, on trouve des arbres qui règnent et impriment une atmosphère amicalement ombragée. On essaye de permettre à la plante de gagner en épaisseur de feuilles. Il n’y a pas de recettes, je décide ce qu’il faut faire au fur et à mesure. J’aimerais bien planter du carignan qui est adapté à notre climat chaud, mais c’est interdit !
Comme un scientifique dans son laboratoire
En jardinier éclairé et soigneux à l’écoute des plantes autour de lui, Eloi passe des heures à observer, à poser des diagnostics et chercher des solutions. Il s’adapte. Nous sommes étonnés de voir quelques lignes de vignes aux pieds très resserrés. On passe à peine entre les rangs. Aucune place pour l’utilisation d’un tracteur. On veut voir les interactions des racines des ceps entre elles, alors ces vignes sont une expérience. Les vignes peuvent-elles communiquer entre elles ? Il s’agit de raisins de muscats que les guêpes et une foultitude d’insectes se disputent. Je lui demande pourquoi il ne récolte pas alors que les raisins semblent mûrs ? Si les insectes se battent entre eux, il y aura moins de maladies dans la vigne. Ce millésime est pour eux, on passera voir plus tard s’il reste quelque chose.
Partage des connaissances
À partir d’une sélection massale on taille le pied en gobelets, 4 bras et 8 œillets, on obtient un petit arbre. Dans la famille d’Eloi on avait rien à voir avec le vin ? Est-ce cette liberté qui le guide à être aussi engagé et empirique dans sa viticulture ? Eloi est un passeur de savoir, inlassable.
Son credo n’est pas de vous étourdir de paroles mais de communiquer un art de vivre et une passion absolue. Il y a chez lui une énergie communicante qui n’est compréhensible qu’en laissant son nectar passer par votre gorge.
Sa démarche consiste avant tout à observer et expérimenter dans un monde où on cherche à vous vendre des poudres et arbustes taillés pour le rendement optimal. Les grosses bodegas de l’île cherchent à faire fructifier le capital. Il y a parfois un vague à l’âme dans les méandres de son discours. L’île va mourir d’ici 4 ou 5 ans. Est-ce à force de s’offrir au tourisme ? Un avion atterrit ou décolle toutes les minutes en été. Au-dessus de nous, le ciel est strié des fumées de jet liners.
Le nectar d’Eloi
Il faut 14 mois pour passer de la grappe à la bouteille ce qui implique un prix assez élevé. Pas de sulfite, je produis un callet facile à boire. Facile mais complexe en bouche !
Un vin tiré à 5000 bouteilles environ assez difficile à trouver. Mais qui se révèle très séduisant et qui tient la promesse de se laisser boire jusqu’à épuisement du contenu du flacon. Comment comprendre qu’en quittant les chais d’Eloi son prix soit multiplié par presque 6 chez les cavistes des grandes villes en Espagne ?
Nous goûtons ensemble, à l’ombre fraîche de la cave, d’abord les cuvées de 12volts, avec et sans élevage en barrique. J’avoue que je penche plus pour la pureté du fruit des cuvées hors barriques. 2013 était une bonne année, grâce à l’enherbement et la pluie l’acidité est parfaite et le fruité intact. Je veux faire des vins que j’aime boire, des vins que je veux produire en respectant les sols. Dans la cuvée Cható PQTA il y une majorité du cépage callet, du manto negro et du monastrell. Mon palais se tapisse de violette et de fruits rouges. Le cépage est à l’aise sur les sols argileux, sableux et de terra rossa de la région.
Avant de partir, Eloi nous conseille de prendre les petites routes sinueuses qui traversent les plaines de l’île, d’aller manger à l’auberge magique de Pere à Vilafranca de Bonamy. Nous allons visiter les villages de St Joan, Sineu, Inca Caimari et finir par Selva. Le parcours est sublime et laisse de côté les abords de la méditerranée absolument blindés de touristes. Que du bonheur !
Jean-Luc
Nota Chato PQTA est le sujet d’un des épisodes de la websérie déjantée d’Arte Punkovino
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