Bàrbara Mesquida Mora est vigneronne à Majorque, femme courageuse que je rencontre chez mon ami Pere qui tient cette auberge magnifique à Vilafranca de Bonamy. Il nous présente et tout de suite s’engage une conversation passionnante sur les vins de Majorque. Nous prenons vite rendez-vous pour une visite durant les vendanges. Déjà, alors qu’on est début août ? Et oui, les chardonnays sont prêts, je suis allé faire un tour dans les vignes… C’est le délire, il fait si chaud cette année !
Le domaine est près du centre de Porreres, qui fut autrefois un grand fournisseur d’abricots secs pour la Tunisie et de vins. La cour et le jardin sont écrasés sous le soleil de la Méditerranée, avec des températures qui frisent déjà les 34 degrés à 9h. Barbara fait partie de la 4ème génération de la famille à faire du vin, elle arbore un très grand sourire, sa démarche est rapide et le téléphone n’est jamais loin. Nous allons apprendre ce que c’est que de diriger une bodega seule. Aujourd’hui c’est la merde ! Il me manque un vendangeur. On va aller dans les vignes, ici c’est mon chai pour les vinifications. Avant c’était une étable.
Un diplôme pour vivre
Dès la fin des années 80 son papa fait des études en œnologie et se montre précurseur en incluant des cépages français comme le cabernet sauvignon avec le cépage local le callet cultivé sur l’île depuis toujours. Sa maman la prévient lorsqu’elle arrive dans la cave familiale : il te faut un diplôme pour vivre. Barbara relève le challenge. Elle va se battre, étudier l’œnologie et en 2012 vivre sa révolution en prenant un nouveau départ quoique risqué. La fermeture de la cave familiale était comme une mort. Il a fallu investir pour refaire un bâtiment, tout en retrouvant le concept de ferme. Il me fallait un toit et un sol, « sotill » et « trispol » en majorquin, qui ont donné le nom à deux cuvées de belle qualité.
Des ouvriers travaillent dehors pour terminer une jolie pergola en fer forgé qui servira pour abriter les visiteurs. L’œnotourisme se développe de plus en plus. Il y a eu un moment difficile où j’ai dû faire un choix. Mon frère qui m’aidait à gérer le domaine m’a ouvert les yeux il m’a dit « Barbara il est temps, il faut suivre ton cœur ». J’ai relevé le défi, je suis passé à la biodynamie sur l’intégralité de mes 25 hectares. Nous partons vers une des dernières acquisitions de Barbara, un triangle de vignes d’un voisin constituées de ceps très anciens posés sur un plateau avec quelques arbres fruitiers. Des vignes oubliées. Je ne suis pas encore certaine de ce que je veux faire avec cette vigne. Cela fait des années que je la vois quand je suis au travail en face là-bas dans notre vignoble. En effet très belle, cette vigne me semble figée dans le temps, prête pour le tournage d’un film d’époque.
Après quelques minutes de route nous parvenons aux plus grandes parcelles entourant un élégant moulin de pierre datant de 1850, un peu surélevé. Nous sommes à Son Porquer, devant 5 hectares de cabernet et de chardonnay. La vue est magnifique, les terrains sont bien orientés, le drainage est parfait, nous laissons les sols prendre l’herbe et fauchons avant les graines. En faisant du mulching qui fabrique un paillage, une protection naturelle contre la chaleur. Le labour est effectué avec un petit tracteur léger pour ne pas tasser les sols. Mais il faut se battre contre les moustiques le mildiou et l’oïdium.
Quelque chose vibre dans le verre
Les vendangeurs avancent dans les rangs sous la chaleur. Nous goûtons les raisins. Barbara m’explique : je recherche la fraicheur, il ne faut pas trop attendre pour récolter les grappes. Ils coupent tout après on fait le tri. Son chef des vignes encaisse les raisins que lui apportent les vendangeurs contrôlant la qualité des grains au fur et à mesure. J’organise des dégustations autour du moulin le soir pour des touristes. Il y a mes vins et des petites choses à grignoter. Dans la cuvée Accrollam, palindrome du mot Mallorca, le vin blanc nous étonne par sa minéralité, sa finesse aromatique. Il conjugue fraicheur empreint de buvabilité et longueur en bouche. Il y a ce « je ne sais quoi » qui transparait souvent dans les vins biodynamiques. Rien n’est plat. Le prensal et le chardonnay s’assemblent à merveille. Quelque chose vibre dans le verre.
Le résultat d’un travail sincère et généreux dans les vignes puis au cœur du chai. Le résultat d’une enfance heureuse passée dans les vignes, les barriques et les raisins ?
La gamme des vins va à l’essentiel. Synchronia est élevé 6 mois en barrique pour rester sur le fruit. C’est juteux à souhait. Trispol passe en foudre de 5000 litres. Assemblage de callet, cabernet et syrah bâti pour la garde, ses arômes complexes de fruits à noyaux et d’épices offrent une bouche généreuse. Mais les tannins sont majestueusement intégrés. Barbara espère passer sa production totale à 100 000 bouteilles, il y a des plantations en cours. Des projets pour un petit hôtel dans le centre… Qui sait ? La route est tracée dans ses grandes lignes. Et la philosophie de Barbara Mesquida Mora réside au cœur de cette devise-là : rien n’arrive par hasard, nous sommes le résultat de nos synchronismes…
Jean-Luc Poignard
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