Lire le paysage en Sardaigne

Me voici à explorer les territoires viticoles de la Sardaigne, un chapitre de plus à étudier pour mon prochain examen de sommellerie à Sienne en Toscane.

Et oui, je me suis lancée le défi de passer mon certificat de sommelier et le tout en italien. Et je peux dire que le niveau est élevé ! Des centaines de cépages à mémoriser (300 et +!), 477 appellations d’origine… c’est dire la diversité des vins que nous offre l’Italie. Surtout que les Italiens sont des amoureux de leur terre.

La lecture des paysages, la compréhension de leur influence sur le goût du vin et la connaissance de la géologie fait partie des bases de la sommellerie italienne, au contraire des Français bloqués sur l’aromatique et sur leur show au restaurant à l’aide d’un jargon technique pas toujours compréhensible… Cela laisse place à de l’amélioration: repenser la manière de parler aux clients ? Revenir les pieds sur terre… car tout commence au sous-sol, là où les racines se développent. C’est ce par quoi commence un sommelier italien: il vous décrit le paysage, il vous embarque dans un univers où vous vous projetez. Le vignoble, c’est avant tout un voyage ! C’est d’ailleurs la première étape des parcours oenotouristiques : marcher aux pieds de vignes.

Direction la Sardaigne, que l’on dit souvent le pendant de la Corse. Ichnusa cette île en forme d’empreinte de pas, est connue pour la beauté de ses paysages, ses plages de sables fins et ses eaux cristallines.

un territoire à part

Pas que… il y a aussi des montagnes, sur ces vieux socles rocheux de granite qui permettent d’apporter altitude et fraîcheur à la vigne.

Et on peut dire que la géologie sarde est remarquable car ses roches sont parmi les plus anciennes d’Europe dont la base date de la période précambrienne et plus précisément du début de l’éon protérozoïque (l’ère paléoprotérozoïque).

Il y a -100 millions d’années, la Corse et la Sardaigne ne formaient qu’un bloc, lui-même relié au continent français par la Provence ! En -35 millions d’années, un effondrement de l’écorce terrestre fera naitre deux îles sœurs : la Corse et la Sardaigne. En -18 millions d’années, ces iles entament alors une lente dérive en Méditerranée.

Partons une quarantaine de minutes au nord de Cagliari pour rejoindre les premières montagnes. Une colline nous offre une vue à 360 degrés sur tout le sud de la Sardaigne.

Là où la vigne poussait

Avant, ici il y avait des vignes explique la guide. Mais, les subventions européennes ont favorisé des régions viticoles italiennes plus prestigieuses comme le Piémont et le Veneto et son fameux Prosecco vendu aujourd’hui à plus de 600 millions de bouteilles chaque année. La viticulture s’est effondrée et les locaux ont commencé à arracher les vignes au profit de l’agriculture et notamment la production de blé, la céréale emblématique de l’Italie nécessaire à toutes ses spécialités gastronomiques (pasta, foccacia, pane, pizza…). Un retour aux sources car dans l’Antiquité, la Sardaigne était considérée comme le grenier de Rome. Pourtant son sol argilo-calcaire, avec une surface sableuse, est idéal pour la vigne qui y trouve les conditions optimales.

A deux pas de là, près de Sanluri, sur ses terres vouées à l’agriculture et à la vigne, Ernesto Pilloni produisait dans les années 50 les cépages nuragus et monica. Puis comme beaucoup, il s’est ensuite spécialisé dans le commerce des céréales et des légumineuses.

C’est Salvatore, le troisième fils, qui a fait renaître le projet viticole : En 2000, la famille Pilloni plante les vignes et fait sortir de terre un chai flambant neuf : la tenuta Su’entu. Aujourd’hui le domaine est entouré de 50 hectares de terres et de vignes. Oui ici tout est neuf !

Un vignoble d’altitude

La situation géographique du vignoble est idéale : des collines et une altitude de 350 m permettent de conserver la fraicheur des raisins et bénéficier d’un long développement aromatique grâce à l’amplitude thermique (pour les blancs surtout) tandis que les vents marins ne cessent d’apporter des brises salines (une salinité des vins d’ailleurs étonnante se retrouve en bouche) et assèchent le vignoble, évitant toute maladie.

On y retrouve des raisins sardes rouges : le bovale, un cépage teinturier à la couleur rubis très profonde, aux arômes de fruits noirs et des tannins bien présents et veloutés à la fois et le cannonau, également sarde mais beaucoup plus clair et aux notes de petits fruits des bois.

Et côté raisins blancs : le célèbre vermentino ainsi que le nasco, qui lui est souvent assemblé et passerillé car très difficile à cultiver. La famille tient à la tradition et assure les vendanges manuelles car selon la guide, les grappes et les baies sont de petite taille à cause du manque d’eau et donc difficiles à cueillir. D’ailleurs, si l’on observe bien, on aperçoit un dispositif ingénieux de goutte à goutte installé sur tous les rangs de vignes… Mais l’irrigation viendrait-elle gommer quelques peu l’effet terroir ? Non certainement pas nous rassure-t-elle. Mais nous devons faire face à la vérité : nous vivons un réel changement climatique. Nous utilisons ce système d’irrigation uniquement en cas d’urgence et cela doit être autorisé et enregistré auprès des autorités avant toute utilisation.

Les vents de la mer apportent une vraie sapidité aux vins. Tiens, à ce propos, voici que ce critère de la sapidité fait partie de la fiche de dégustation du sommelier italien, critère inexistant dans la version française qui privilégie davantage l’olfactif aux saveurs en bouche. Les Italiens ont un palais si développé qu’ils sont capables de distinguer les qualités gustatives des cuissons des pâtes, du type de blé ou encore de l’origine d’un pecorino (sarde ou de Pienza,…). Ils ont reçu l’éducation du goût en bouche et la distinction des saveurs avant tout. La sapidité est un critère recherché dans la gastronomie, souvent associée à la salinité.

Côté chais, les cuves en acier prennent la majorité de l’espace car l’esprit de la maison est de préserver le fruité des raisins. Au sous-sol, quelques cuvées vieilliront dans des tonneaux et/ou barriques en chêne italien de Bolzano tandis que d’autres iront dans des cuves ovoïdes en béton, préservant le fruit tout en apportant une micro oxygénation. Seule une cuvée blanche est un assemblage, le nasco avec le chardonnay et le muscat tandis que le reste de la gamme met avant tout en avant le cépage dans sa pureté, in purezza.

de la vigne au verre

La dégustation commence par un effervescent « Spumante Su’Bri » en méthode Charmat (cuve close) dans lequel on retrouve quelques notes herbacées de romarin et de thym, une belle acidité et sapidité (=salinité)… Dommage que ce soit encore une version Brut, la plus courante dans le monde des effervescents que je trouve malheureusement encore trop sucrée (la version brut autorise jusqu’à 12 grammes de sucre par litre) pour l’accorder avec les produits de la mer que l’acidité et la salinité auraient sublimé. A quand une version extra brut ou non dosée?

On poursuit avec le vermentino de la cuvée Su’Imari: 100% en acier pour préserver sa belle fraîcheur et ses notes herbacées de thym, de romarin mais aussi de fruits exotiques (banane, mangue) toujours sur ce fond salin. La vigne pousse ici sur une roche ferrugineuse.

Un rosé issu de baies de bovale et vermentino dont la peau a été directement séparée des jus offre une couleur pâle aux reflets brillants saumonés. Des notes fraîches de framboise et de mûre.

Et les deux rouges permettent de comparer facilement ces 2 cépages autochtones sardes au profil opposé : l’un clair, frais, épicé, aux fruits de sous-bois, de fraise, de rose, de pivoine (Su’Anima, cannonau) tandis que Su’Di Terra offre un bovale authentique, rubis sombre, avec un élevage d’un an sous bois pour adoucir ses tannins prononcés et qui vous embarque dans l’univers des fruits noirs et du chocolat. Le bovale vous donne chaud dès la première gorgée, invitant à un accord avec la viande sarde, évidemment !

Il ne reste plus qu’à vous programmer une visite sarde sur votre calendrier…

Audrey

Ecrit par Audrey DELBARRE
--------------------------------------------------------------- Passionnée par l’écriture, Audrey est une amatrice de vin joviale et enthousiaste, guidée par la richesse du contact humain ! C’est à l’Académie du vin du Cap en Afrique du Sud qu’elle affine ses connaissances dans les vins puis développe son inspiration à partir de ses rencontres et voyages dans les vignobles du monde.... Titulaire du diplôme WSET 3, elle se consacre à l’organisation de séminaires et formations sur le développement des sens et des émotions grâce à l'œnologie.
Catégories : Italie , oenotourisme

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