Acheter son vin chez un destockeur, vraiment ?

Comme d’habitude cet automne les foires aux vins ont pointé leur nez comme les champignons. Comme d’habitude LIDL a dégainé en premier avec des offres chocs qui -comme d’habitude- ont hérissé la communauté vigneronne : C’est nul de profiter de la détresse de la filière et de ses vignerons disait l’un d’eux tandis que le distributeur assumait crânement : Chez Lidl, nous croyons que le bon vin n’a pas besoin d’être hors de prix pour être exceptionnel. (Vitisphère 09/25)

La course folle aux petits prix

Carrefour qui n’avait toujours pas renoncé au catalogue papier, déployait son offre « sans alcool » sur une double-page chargée de 16 références. Une première qui frisait le grand n’importe quoi. Qu’on en juge par les intitulés des breuvages proposés : boisson aromatisée à base de vin désalcoolisé de cépage, boisson sans alcool aromatisée inspirée du vin, vin rosé désalcoolisé, boisson gazéifiée sans alcool à base de jus de raisin, boisson effervescente à base de vin désalcoolisé, boisson gazéifiée à base de jus de muscat, etc.

Ces manipulations chimiques vous ont-elles inspiré ? Évidemment ce n’est pas cher, comme ce Nozeco 0°à 4,45€. Non merci pas pour moi, je tiens à ma santé !

Dans la course folle aux petits prix, Génération Vignerons a identifié un autre filon encore plus surréaliste. Enquête dans le monde «au centime près».

LEADER EN EUROPE

Faut-il pousser un cocorico ? Le leader incontestable des magasins de déstockage en Europe, c’est le Français NOZ. Mais qui est-ce ?

Une sacrée saga celle de Rémy Adrion, natif de Mayenne, parti de rien qui lance en 1976 l’enseigne le Soldeur « 100% dégriffés, fins de séries, sinistres » à Laval. 50 ans plus tard, le siège est toujours en Mayenne, à Saint-Berthevin et monsieur Adrion est à la tête de la chaîne de distribution NOZ qui compte 330 magasins, 6000 collaborateurs et réalise 800 millions € de chiffre d’affaires. La famille Adrion figure dans le classement des 500 fortunes publié par le magazine Challenges. Faire fortune avec les invendus, quel bel exemple d’économie circulaire !

Le magasin NOZ de Saint-Herblain en périphérie nantaise n’a rien de séduisant. Juste un hangar aménagé derrière un parking riquiqui. Visiblement il y a du trafic, un va-et-vient de clients essentiellement multiculturels. A l’intérieur, c’est l’ambiance friperie qui domine, des îlots de vêtements-chaussures en vrac, mobilier, petits accessoires ménagers et l’alimentaire : du sec, bien sûr, des conserves, des biscuits, des jus de fruits et des bouteilles de vin, partout, partout !

L’ART DE BIEN ACHETER

Je m’approche d’un client qui scanne une bouteille avec son mobile. Échange de salutations, il m’explique : Je suis sur Vivino, dès que je vois un vin je flashe le QR-code et je récupère toute l’info : prix de vente, caractéristiques, opinions et notes de la communauté. Il me montre ce Cahors 2019 So Malbec, de la maison Bouey, vendu 3,99€. La note Vivino n’est pas terrible : 3,6 pour 315 avis avec un prix de vente à 8,40€. J’achète pas. Trop content de me dévoiler sa technique d’achat, J-C concède qu’il doit venir 2-3 fois par semaine pour réaliser de (très) bonnes affaires.

Et les vins étrangers ? J-C fait la moue. Attendez ! Il y en a des plus en plus ! je ne vais pas le contredire, peut-être un carton sur deux provient d’Allemagne ou d’Italie. Je vois au moins quatre références de riesling allemand (Deep Roots, Stockwerk, Traut Wein, Materne &Schmitt) et ce joli Loina Bardolino DOC, une appellation italienne réputée située près du lac de Garde. Jamais vous ne trouverez un tel choix de vins européens chez un distributeur « normal ».

TENTATIVE D’EXPLICATION

NOZ serait-il le seul distributeur à jouer la carte des vins européens ? À 3-4 euros la bouteille, il y a visiblement un marché pour ces vins venus d’ailleurs. Comment l’expliquer ? Je pose la question au chef de rayon qui passait par là : On a une puissance d’achat considérable. L’équipe des acheteurs vin est multilingue ; ils achètent partout en Europe, des stocks de magasins en liquidation, les sur-stocks du négoce, les fins de séries, les références obsolètes.

Voilà un chef qui a bien l’esprit maison, mais il ne me dit pas pourquoi il y a tant de vins étrangers. Il faut y voir deux raisons m’explique un ami négociant : d’abord, se débarrasser d’un stock de vin en bouteille coûte cher. C’est évident, qu’est- ce que vous faîtes des bouteilles étiquetées ? « Tiré-bouché » comme on dit dans le jargon. Vous n’allez pas les mettre à la benne…Il y a du recyclage, du nettoyage, des déclarations administratives, des droits à payer. Autant trouver un déstockeur qui vous achète le lot à 30 ou 50 centimes la bouteille, livré au dépôt central.

La deuxième raison que subodore mon ami négociant et qui expliquerait la sur-représentation des vins non-français est une question d’image. Les marques de riesling allemand ne peuvent pas être vendues chez des discounters allemands. Ça casserait la confiance dans la marque et déstabiliserait sa distribution. Alors ils tentent de les écouler discrètement chez nous. Quand on sait qu’il y a des sur-stocks de vin partout en Europe, le filon n’est pas prêt de se tarir.

UN ACHAT IMPROBABLE

Il y a un hic cependant, qui va acheter ces vins doux, ces rieslings très typiques de la Moselle ou du Rheinhessen ? Quelques clients amateurs entrevus chez mon déstockeur de Saint-Herblain mais c’est bien loin d’écouler la marchandise. Pas de réponse du côté de NOZ, alors je suppute que les non-vendus des invendus repartent quelque part. En Afrique peut-être ?

Ma curiosité me pousse à acheter ce Materne&Schmitt riesling 2022 Landwein der Mosel, à 3,19€ la bouteille. Un site internet impeccable nous apprend que ce vin est produit par deux femmes, Rebecca Materne et Janina Schmitt. L’entrée de gamme est proposée à 13,50€ et les cuvées parcellaires en riesling Qualitätswein sont vendues autour de 20€. Ce joli riesling peu alcoolisé, aux notes pétrolées avec sa tension acide sur fond de douceur est bien typique de sa région. Il me rappelle les villages viticoles des méandres de la Moselle allemande, de Trèves à Coblence, parcourus lors d’un fantastique voyage œnologique pour Génération Vignerons.

N’oubliez pas d’élargir le spectre aux vins étrangers qui présentent de formidables opportunités, tant sur le plan gustatif que patrimonial ! conseille Angelique de Lencquesaing (iDéalwine) dans un récent interview à BFM Business. Excellent conseil que NOZ a suivi à la lettre !

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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