Fleur de moutarde et vins d’auteur

Nous sommes loin d’imaginer cette région comme étant véritablement viticole, alors qu’elle produit des vins dont on ne saurait décrire le style…

La Charente est plutôt connue pour ses eaux-de-vie, le cognac, un vin distillé donnant un spiritueux aux arômes floraux et fruités. Elle est aussi réputée pour son célèbre Pineau des Charentes, une boisson obtenue par mutage du moût de raisin frais (non fermenté), mistelle avec une eau-de-vie, stoppant toute fermentation.

Pourtant, j’ai rencontré Julien Desrante il y a deux ans au cœur de ses vignes charentaises à Graves Saint Amand. Il avait un projet entre les mains pour implanter ses arbres fruitiers. Amoureux de la nature, la mise en place des techniques d’agroforesterie lui était venue naturellement. Aujourd’hui, ses vignes sont belles et saines, les herbes poussent volontiers entre les rangs.

Des pieds de moutarde

Là, entre quelques rangs de mourvèdre, la moutarde grandit à foison. Oui, la moutarde porte plein de vertus en agriculture : c’est un engrais vert utile mais aussi un couvert végétal idéal pour conserver l’humidité pendant les étés caniculaires.

La moutarde permet de briser les mottes d’argile, de supprimer les mauvaises herbes, de piéger les nitrates et l’azote pour une meilleure dépollution des eaux et une amélioration de la santé du sol. Son système racinaire profond aide à décompacter et à aérer le sol.

Quant à ses fleurs jaunes, elles attirent les pollinisateurs, contribuant ainsi à la biodiversité.

Le vignoble est entouré de grands arbres, le protégeant des vents.  Le paysage affiche un panaché de verts qui plairait à de nombreux peintres. Il s’agit du domaine La Part aux Groles. Pourquoi ce terme « Groles », accompagné d’un dessin d’oiseau comme symbole ?

Pour Julien, l’idée initiale était de ramasser le restant de grappes pour faire du vin, un peu comme des corbeaux qui tournent pour ramasser les restes. Groles signifierait corbeau dans la région.  Si on recherche son origine, le mot « grolles » est évoqué dans le dictionnaire du 17ème siècle et désigne un oiseau du genre des corneilles au long et gros bec et aux pieds noirs distinctifs.

la Charente version « nature »

Et puis, cette idée a bifurqué vers un autre chemin : après neuf ans de recherche, il trouve un domaine déjà converti en 2014… En 2021, il prend le relais et se consacre à l’élaboration de vins d’auteurs où « nature » est le maître mot. 

Il est l’un des rares vignerons charentais à proposer du vin naturel : vendanges manuelles tout comme l’éraflage, du pigeage aux pieds entre amis et famille, une vinification sans intrants, une mise en bouteille sans collage ni filtration ainsi qu’un choix de méthodes « douces » autant que possible.

Julien a osé la plantation d’autres cépages que ceux connus en Charente parmi les traditionnels ugni blanc, colombard et merlot. La gamme est large et les étiquettes l’affichent avec exubérance et couleurs. Les notes colorées et les dessins expriment les messages du vigneron Julien : la Charente casse les codes classiques pour laisser place aux jeunes et aux idées que le terroir a tout du bon à offrir !

déguster le vin naturel

Nous commençons la dégustation par les premiers jus encore troubles de gros et petit manseng, de jeunes vignes à l’essai, tout juste quatre ans ! Ces cépages se plaisent habituellement un peu plus dans le Sud sur les terres du Béarn, de Gascogne où ils donnent des vins très vifs et parfumés et les vins moelleux de la renommée appellation Jurançon.

Ces deux frères pyrénéens semblent apprécier cette remontée dans la partie la plus septentrionale du Sud-Ouest, la Charente à la frontière avec le Poitou plus au Nord.

Et le résultat pour cette cuvée 2024 sans fermentation malolactique ? Un nez charmeur, une belle fraicheur et une vivacité en bouche, signature des frères manseng. Une aromatique encore discrète qui se révèlera certainement sur les prochains développements : l’amande, les agrumes et le citron jaune.

Poursuivons la dégustation avec une version 100% colombard, autrefois vinifié en Pet Nat’. Cette fois, Julien est resté sur un vin blanc sec tranquille qui offre un nez jeune, fruité avec une salinité prononcée renforçant son caractère tendu et une bouche très vive. Il est fluide, léger, très citronné, l’idéal pour accompagner un plateau de fruits de mer.

Il est temps cette fois de sortir des codes avec la gamme « Cannibale ». Le premier, « Blouge », contraction de blanc et rouge, est constitué de 20% de gamay éraflé à 100% et 80% de muscat de hambourg en grappes entières, le tout en macération carbonique pendant deux semaines.

C’est osé et c’est une explosion de fruits en bouche ! Bref un délice… Le nez est gourmand, très fruité aux notes exotiques tout en gardant en bouche une structure légèrement tannique, les rafles du muscat étaient bien séchées. Et le tout n’affiche que 10% d’alcool. Merci le muscat de hambourg, ce raisin de table et non pas un raisin prévu pour la cuve, qui offre moins de sucre et donc un taux d’alcool moindre. Voilà une piste à creuser pour offrir aux consommateurs un vin léger ?

La seconde cuvée est un Cannibale 100% gamay en macération carbonique, des vignes âgées de 25 ans. Il offre un nez fruité avec un peu de verdure et de branches fraiches d’arbustes apportant une belle fraicheur.

Un autre blanc complète la gamme, pour répondre à la soif d’été des épicuriens avec un sauvignon blanc rappelant les vins sud-africains avec ces notes gourmandes de fruits exotiques comme la mangue et la papaye. Un cépage avec beaucoup de vigueur pour un vin généreux et élégant de l’année 2023.

Terminons par un rouge 100% merlot vinifié en grappes entières en 2023 également pour un nez très épicé et bien mûr, poussant même jusqu’aux fruits noirs à l’eau-de-vie (le taux d’alcool est ici plus élevé… 14%), à consommer avec viandes et charcuteries !

Audrey

Ecrit par Audrey DELBARRE
--------------------------------------------------------------- Passionnée par l’écriture, Audrey est une amatrice de vin joviale et enthousiaste, guidée par la richesse du contact humain ! C’est à l’Académie du vin du Cap en Afrique du Sud qu’elle affine ses connaissances dans les vins puis développe son inspiration à partir de ses rencontres et voyages dans les vignobles du monde.... Titulaire du diplôme WSET 3, elle se consacre à l’organisation de séminaires et formations sur le développement des sens et des émotions grâce à l'œnologie.
Catégories : domaines et châteaux

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