les 100 fleurs de Bordeaux

Alors que la situation de la Chine était au plus mal, Mao Zedong lança en 1956 la campagne des 100 fleurs : laissez 100 fleurs s’épanouir. 70 ans plus tard, qui n’est pas estomaqué par la puissance de la deuxième économie mondiale ? La comparaison avec Bordeaux paraît osée mais quelque part la métaphore de la floraison des initiatives et des nouvelles idées est séduisante et surtout encourageante.

Soyez rassuré cher lecteur, on ne va pas dérouler ici les « cent fleurs » en une litanie barbante, mais juste « repiquer » les premières fleurs, celles qui nous semblent les plus prometteuses.

PLUS DE RICHES

La première fleur nous vient d’Amérique. L’étude World Wealth Report de Cap Gemini récemment publiée indique que « les États-Unis enregistrent la plus forte croissance, avec 562.000 millionnaires supplémentaires, soit une augmentation de 7,6%.

Le pays compte désormais 7,9 millions de millionnaires. » Voilà une bonne nouvelle pour les grands crus classés.

Pour les Américains, Bordeaux reste la capitale mondiale du vin, rien de remettra en cause ce statut. Nos bordeaux font la moitié de nos références en vins étrangers, me disait Anne, la bordelaise chief tasting au TotalWine de North Miami (voir l’article). Les clients me racontent leur croisière en Atlantique avec l’escale à Bordeaux, c’est souvent le plus beau souvenir de leur vie !

Les croisières premiums connaissent un succès grandissant.

Près de 100 000 passagers ont fait escale à Bordeaux en 2024, embarqués sur une soixantaine de paquebots de petite-moyenne taille, plutôt luxueux, qui accostent au Port de La Lune, en plein centre de la ville historique – les plus gros bateaux, eux, sont dirigés vers le Verdon ou Bassens.

Le site Seagnature recense les dizaines d’offres proposées, preuve d’un marché très dynamique. Nos clients croisiéristes sont fidèles à Bordeaux et aux bordeaux pour la vie ! conclut Anne, pas peu fière de contribuer à la prospérité de sa ville.

NARRATIF D’ATMOSPHÈRE

La deuxième fleur a su trouver un terreau favorable pour s’épanouir : celui du récit.

Le narratif d’atmosphère autour de Bordeaux a pris un virage radicalement différent- bien plus combatif- depuis que Mathieu Doumenge, la quarantaine intrépide, a pris les commandes éditoriales de Terre de Vins (42000 abonnés, groupe Sud-Ouest) au printemps 2025 avec son collègue Yves Tesson.

Mathieu, journaliste girondin d’adoption a posé son sac à Bordeaux en 2011 où il rejoint très vite l’équipe rédactionnelle Terre de Vins.

Aussi bon à l’oral (Vino Veritas) qu’à l’écrit, il met son talent au service de « l’art de vivre et les plaisirs de la table, avec une curiosité grandissante pour le vin ». Mais pas que, car le journaliste de l’art de vivre est aussi l’auteur du grand Larousse de référence VIN/20 (2024).

Le vieil adage : c’est la fonction qui fait l’homme se trouve une fois de plus vérifié à la lecture de l’accroche signée Lucie de Azcarate. …le meilleur dans les feuilletons, ce sont les rebondissements. Avec la saga des vins de Bordeaux, nous sommes servis. Impossible en effet de traverser les siècles sans surmonter les crises, et pas des moindres, hier comme aujourd’hui…. la suite à lire dans Terre de Vins.

On se réjouit de voir le magazine se recentrer sur son ADN bordelais, ses personnalités fascinantes, ses constellations d’assemblages et de cépages, ses vins mondialement convoités, son histoire universelle, sa capitale mondiale et ses paysages incomparables inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco.

ON ACHÈTE LES PRIMEURS

La troisième fleur ressemblerait à un tapis de jonquilles qui a envahi le sous-bois voisin au petit matin. Dring, dring le printemps est arrivé ! Le printemps de Bordeaux, ce fut la vente en primeur du millésime 2024. Un millésime d’équilibriste, un millésime de combat disent les spécialistes.

Les notes des dégustateurs sont en baisse mais les prix encore plus en  baisse pour les quelques 300 châteaux qui ont participé aux ventes en primeur. Précipitez-vous d’acheter les Grands Crus Classés, selon l’adage toujours confirmé : dans les petits millésimes, on achète les grands crus.

Voyez-donc, Château Margaux 2024 (100 000 bouteilles) 1er Cru Classé 1855 est proposé par Cavissima à 386,40 €. Le Figaro le note 95-97/100 et le qualifie de vin majestueux. Pour mémoire, le primeur 2023 est à 513€ et le « magnifique 2022 » est à 870€ chez Millesima. Y-a-t-il plus beau cadeau pour une année de naissance qu’une bouteille de château Margaux ?

Pour les impatientes ou les intrépides prévoir de faire un selfie en 2027 (date de livraison) sous les iconiques colonnes néo-palladiennes du château. « Et s’il n’en reste qu’un, je serais celui-là » disait déjà Victor Hugo.

PLACE AUX JEUNES

La quatrième fleur est une récompense. C’est le label 4 fleurs décerné à la Ville de Bordeaux par le Conseil National des Villes et Villages fleuris à l’automne 2024. Cette reconnaissance nationale de notre travail renforce notre volonté de préserver le patrimoine végétal tout en développant la biodiversité » précise l’adjoint au maire (source Sud-Ouest).

Il rejoint les objectifs de l’Union des Grands Crus de Bordeaux qui voudrait exiger de ses membres une certification écologique. L’association qui œuvre pour le rayonnement mondial de ses 132 châteaux adhérents organise chaque année son Week-End des Grands Crus.

Pour l’édition 2025 l’accent a été mis sur la transmission et la place des jeunes avec de nombreuses écoles d’hôtellerie-restauration invitées (Ferrandi Paris, lycée Albert de Mun, lycée d’Occitanie à Toulouse, lycée de Gascogne à Talence, et d’autres), sans oublier le concours du meilleur jeune sommelier de France remporté par Louis Le Conte. 

Alors que la génération Z semble se détourner du vin, quoi de plus important que de miser sur ces jeunes professionnels pour devenir influenceurs-influenceuses avec la noble ambition de faire partager le patrimoine culturel du vin.

NÉO-VIGNERONS

Il est une fleur qui symbolise le renouveau, le printemps, c’est bien la rose trémière dont le parfum évoque « une fragrance subtile de jardin fleuri et des bouquets frais ».

Je crois voir Matthieu et Laura, nos jeunes amis vignerons londoniens en balade dans les ruelles de la citadelle de Bourg sur Gironde sous les frondaisons de lilas qui masquent l’entrée de leur caveau.

Ils vont rejoindre leurs 3 hectares de vignes, objet de tous leurs soins, comme ils nous l’ont raconté dans l’article : « reprendre un vignoble bordelais abandonné ». Vont-ils presser leurs premiers raisins en 2025 ?

POURQUOI L’APPELLE-T-ON IMMORTELLE ?

Cette fleur jaune a la particularité de fleurir très longtemps et de jamais faner, symbolisant la persévérance dans le langage des fleurs. Ici à Bordeaux, en langage viticole, la persévérance signifie «l’esprit d’entreprise ».

Il existe depuis le 18ème siècle avec les Anglais, les Irlandais, les Flamands regroupés aux Chartrons.

Plus tard, ce sont les Corréziens- les Moueix, Janoueix, Pecresse et tant d’autres – qui descendaient la Dordogne pour s’installer autour de Libourne, à Fronsac, Pomerol ou Saint Émilion. Rappelons que l’entrepreneur c’est celui qui prend les risques avec ses deniers personnels. Il est appelé propriétaire à Bordeaux. Le mot a une connotation ambiguë car les Français imprégnés de traditions socialo-anarchistes se méfient des méchants propriétaires qui «tondent la laine sur le dos des ouvriers ».

Dans les pays anglo-saxons, c’est tout le contraire : the owner est la personne la plus respectée. Le propriétaire incarne son vin et le monde l’attend, dit Alain Château, propriétaire du château Yon-Figeac, un grand cru classé de Saint-Émilion.

Il en sait quelque chose ce septuagénaire qui a baladé sa haute silhouette aux 4 coins de la planète pour faire briller l’étoile des 85 grands crus classés de Saint-Émilion. Une AOC est un bien commun, nous disait-il dans l’Art du Vin en Saint-Émilion . Le propriétaire à la vision du temps long, quand il a racheté Yon-Figeac en 2005, tout était à refaire. Et en plus on a perdu le classement l’année suivante.

20 ans plus tard, tout a été reconstruit, rénové, replanté, redéployé, redynamisé, réenchanté.

PERSÉVÉRANCE ET FIDÉLITÉ

Point de repos pour le propriétaire toujours inquiet de la météo, du végétal, des marchés, du personnel, des finances, de l’export. La persévérance se retrouve dans sa passion pour le travail de la vigne (24 hectares) et du vin (80-100 000 bouteilles). Longtemps snobé par la critique, la médaille Platinium avec la note de 97/100 décernée par le magazine Decanter – après un 96/100 l’année précédente-  pour le millésime 2020 confirme que la persévérance paie.

Tout comme la fidélité envers son conseiller œnologique et ami Denis Dubourdieu, puis à Christophe Ollivier son adjoint. Fidélité encore envers Christophe Massie, son architecte. Et fidélité toujours à ses principes de gestion forgés dans une vie antérieure : pas de dette (ou très peu). A l’heure où le marché des grands vins tout comme celui des terres viticoles sont en état d’apesanteur, cette situation fait des envieux sur le plateau de Saint-Émilion. L’entrepreneur a-t-il vocation à créer une dynastie ? Alain Château écarte la question. Le destin en a voulu autrement. On crée de la valeur pour Saint-Émilion, on joue collectif, et puis un moment on lèvera le pied.

LA GAGNE REVIENT

Le laurier terminera cette litanie florale, ou plutôt la couronne de laurier car il s’agit d’un sacre. Celui de l’UBB- Union Bordeaux Bègles– qui vient de remporter la Coupe d’Europe de rugby à XV en s’imposant face aux Anglais de Northampton.

Attendez, ce n’est pas fini ! Le bouclier de Brennus (Top 14) est à portée des Bordelais s’ils parviennent à s’imposer face aux Toulousains. Quand Bordeaux redresse la tête dans le sport, la fierté revient dans les cœurs comme dans le vignoble.

Jean-Philippe

Image à la Une : crédit Ville de Bordeaux

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : domaines et châteaux

Commentaires:

  1. Desbureaux dit :

    Bonjour à vous !
    Petit clin d’œil Toulousain en cette matinée marquée par les souvenirs d’une grande soirée de rugby marquée par la victoire des.. rouges et noirs…
    Une très belle équipe Bordelaise qui aurait pu mais à qui il a manqué ce petit supplément d’âme.
    Félicitations néanmoins à cette belle équipe, conduite par d’anciens Toulousains, qui un jour soulèvera « le bout de bois »….
    Un avant propos respectueux de vos écrits que je suis assidûment mais pour lequel je m’interroge sur l’approche du renouveau de et des Bordeaux !
    Certes les « Grands » sont vecteurs d’images mais c’est l’arbre qui cache la forêt et celle ci est bien malade
    Le mal est ailleurs et les « fortunes » des grands n’ont pas su anticiper et s’adapter à une évolution générale des marchés où la « base » Bordelaise subit depuis trop longtemps leur dictat.
    Il n’est pas une semaine où la rubrique « faits divers » relate des catastrophes économiques et humaines.
    Que font les « Grands » pour inverser cette tendance ?…pas grand chose me semble-t-il, il y a et il y aura toujours des riches et même de plus en plus pour acheter leurs cuvées !
    La demande s’oriente vers des vins frais, souples, de consommation jeunes….ce n’est pas L’ADN « des Grands ». Ne pas voir cette tendance, ne pas aider la base à aller dans cette direction est à mon sens une erreur grave et irrespectueuse du reste du vignoble et de ses acteurs.
    Pourquoi ne pas remettre au goût du jour les  » Claret » qui ont contribué à la valorisation du vignoble, certes voilà longtemps mais n’oublions pas que les cycles se renouvellent régulièrement. 8
    ….la force d’une équipe est tributaire de son maillon le plus faible, quel que soit l’activité, économique, sportive…
    Belle continuation à vous et au plaisir de lire vos prochaines publications.

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