L’oenotourisme à la papa, c’est fini !

Douze millions. Ce chiffre m’interpelle : l’an passé la France a reçu 12 millions d’œnotouristes soit une progression de 20% en presque 10 ans. Alors que sur la même période, la consommation de vin a baissé quasiment dans les mêmes proportions…Comment expliquer cela : l’engouement et la désaffection ? Les châteaux bordelais auraient-ils pris le pas sur les châteaux de la Loire ? Le vignoble s’est-il muséifié au point d’en oublier sa raison d’être principale, faire du vin ? L’ouverture des chais au public est-elle devenue la nouvelle scène culturelle ? Peut-être un jour des chercheurs se pencheront sur ce nouveau french paradox…

Pour autant ne boudons pas notre plaisir : c’est avant tout une consécration pour tous les acteurs et particulièrement les vignerons qui ont su profiter de cet engouement.

Alors comment transformer l’essai et développer la tendance ? Voici plusieurs pistes éprouvées avec succès par trois jeunes vignerons, comme l’usage astucieux des réseaux sociaux,  aller à la rencontre de son public, le recours malin aux nouvelles technologies. L’objectif final étant bien entendu de développer la vente directe.

Château Mauvinon : la love (loft ?) story

Sur le compte Instagram de Château Mauvinon, (@chateau_mauvinon), près de 7000 followers suivent le quotidien de la famille Tribaudeau. 7000 ça peut paraître peu au regard des 35000 followers du compte du Rouge aux Lèvres : le record dans le secteur du vin (pour comparer Killian MBappé a plus de 123 Millions de followers!). Mais quand on n’est pas influenceur, qu’on a peu de temps à part le soir quand les enfants sont couchés, c’est énorme !

On y découvre la vie de tous les jours de ce petit domaine bordelais bio de 6,5 ha en appellation Saint Emilion Grand Cru : les travaux dans la vigne, la lutte contre le gel la mise en bouteille, la présence sur les salons, mais aussi -et surtout- la vie de la famille, la saga familiale, comme aime à la décrire Caroline Lagière, l’une des enfants du domaine, œnologue de formation, l’experte maison en réseaux sociaux.

Ils vivent un petit bout de notre vie et quand ils viennent au domaine, ils arrivent en visiteurs et ils repartent en amis !

Les visiteurs  connaissent toute la famille avant même d’y mettre les pieds !  En arrivant sur le domaine, ils retrouvent les personnages qu’ils ont likés et commentés. Rare sont ceux qui m’ont dit : j’ai vu votre panneau sur la départementale et je me suis arrêté, ça c’était il y a 20 ans au début de l’œnotourisme ! Pas de mise en scène, pas de parcours imposé, ils vont croiser notre fils dans le jardin, je vais encaisser les clients avec mon bébé dans les bras…

Cette communauté de 7000 followers n’est pas apparue d’un coup. Il m’a fallu 6 ans pour la construire. Un investissement temps considérable pour un budget heureusement raisonnable. Et une stratégie de petits pas à la mesure de la taille du domaine. En quelques années On est passé d’avis sur Tripadvisor à ceux donnés sur Google. Aujourd’hui quand on tape « dégustation à St Emilion » on s’en sort bien !

Une fois les réservations effectuées, il faut tout donner à chaque visite pour obtenir en retour un avis à 5 étoiles sur Google. Le Graal ! Et les clients qui likent directement au domaine ont droit à un petit cadeau maison ! Résultat : en 6 ans, le chiffre d’affaire lié à l’œnotourisme est passé de 15% à 60%.

A terme, l’objectif de Caroline Lagière, c’est que 100% de ses clients viennent des réseaux sociaux. Mon rêve c’est un modèle où je connais chacun de mes clients, de pouvoir leur dire comment allez-vous ? Est-ce que votre fille a eu son bac ?… 

Une relation très privilégiée que Château Mauvinon entend développer pour assurer sa pérennité: On a des vins qui sont confidentiels, qui coûtent cher à produire, le bio, la biodynamie c’est risqué, aujourd’hui notre seule solution pour valoriser nos vins, c’est de connaître nos clients.

Champagne Lombard : le luxe on the road

Démarche diamétralement opposée pour cette maison de champagne qui fête cette année ses 100 ans et part à la rencontre des amateurs de champagne d’exception à travers un pop-up store implanté en plein Saint-Germain des Prés.

Depuis les années 2010, à la différence des maisons de champagne traditionnelles, la maison Lombard ne travaille plus seulement sur des assemblages, mais sur des cuvées parcellaires à l’aide de ses vignerons partenaires auxquels elle a proposé de vinifier et champagniser à part certaines de leurs parcelles soigneusement sélectionnées.

Thomas Lombard,  On a une approche très vigneronne avec nos partenaires. On fait avec eux des « reconnaissances terroir », on va sur les parcelles, on fait des prélèvements… L’objectif étant de mettre en avant la géologie, la pédologie, l’exposition, le vent, tout ce qui caractérise la parcelle et les raisins qu’elle va produire.

La maison sparnacienne offre ainsi une gamme de vins de terroirs en Brut nature qui permet de voyager à travers la Côte des Blancs et la Montagne de Reims et de comprendre les nuances de chaque parcelle.

Cette approche est déjà bien perceptible sur l’E-boutique ou chaque champagne est positionné sur une carte en relief de la région et identifié par une étiquette spécifique  : Lieu-dit « Chemin de Flavigny », Lieu-dit « La Croix Soleil » Lieu-dit « Les Ribauds »…

Mais pour aller plus loin Thomas Lombard dont la clientèle est principalement BtoB a souhaité aller au devant d’un nouveau public, les amateurs cette fois, en lui apportant au coeur de Paris l’offre œnotouristique qui explicite la démarche de la maison à travers une nouvelle conception du luxe.

Dans un décor de carton lui aussi brut nature les visiteurs pourront découvrir les différences entre terroirs et comprendre ce que ça implique sur le plan organoleptique grâce à des casques de réalité virtuelle. Ils pourront ainsi se repérer entre les cuvées en visualisant les parcelles lors des différentes étapes du cycle de la vigne, tout en partageant une coupe.

Des masterclass sont aussi prévues ainsi que des moments expérientiels comme des symphonies sensorielles…

On a vendu des biens, des services, aujourd’hui on vend une expérience. Une démarche pédagogique, intimiste aussi -car il ne s’agit pas de recevoir des autocars entiers- et qui passe par une conception d’un accueil réussi. Pour que nos clients riches de cette expérience deviennent nos ambassadeurs.

La maison Cardinale : à chacun sa visite

Ce qui prime à la Maison Cardinale ( anciennement Château Fleur Cardinale) c’est d’organiser pour chaque visiteur un parcours unique et sur mesure. Voila l’ambition de Caroline Decoster pour qu’un client qui a vécu au domaine cette expérience incroyable y soit amené à passer commande plutôt qu’à un autre domaine où la visite a été plutôt moyenne !

Pour y arriver, la Maison Cardinale a identifié six profils de visites : 1)Pour aller à l’essentiel, 2)Pour un beau moment en famille, 3)Pour les amoureux de la nature, 4)Pour les audacieux, 5)Pour les férus de connaissance, 6)Pour ceux qui ont déjà tout vu.

Le visiteur réserve sur le site de la Maison celle qui lui correspond le mieux et remplit un formulaire d’inscription assez détaillé. C’est le premier pas qui permet de récupérer de la data qui va alimenter le CRM (l’outil de gestion de la relation clientèle) de la maison. Caroline Decoster : Qui êtes vous ? Vos attentes ? Avec qui ? Quel type d’expérience cherchez-vous ? Déjà là on commence à se préparer à bien le recevoir. Et à mieux le connaître.

Aussi, le jour venu, lorsqu’il se présente au domaine, il est attendu et reçu comme il se doit.

Lors d’une première phase de partage, accompagné par un hôte de la maison formé à cet effet, il découvre le vignoble, peut manipuler une maquette de cep de vigne, suit les étapes de la viticulture à travers des casques de réalité virtuelle qui lui permettent en toutes saisons de se projeter dans la période des vendanges grâce à des images tout à fait réelles et tournées à 360° qui adoptent des points de vue inaccessibles au public.

Ensuite il va traverser un couloir immersif dans lequel sont diffusés des sons capturés lors des 4 saisons afin de le sensibiliser à ce métier qui s’exerce essentiellement dans la nature.

Puis une fois au chai, il découvrira la fabrication d’une barrique chez un tonnelier grâce au casque de RV.

Enfin, il pourra participer à une dégustation tout en musique. Et sans bouger de sa chaise, grâce à une tablette tactile, il pourra commander les vins qu’il souhaite et qui lui seront livrés au pied de sa porte à la date qu’il aura choisie. Un parcours dit « sans couture ». Caroline Decoster : L’enjeu c’est produire de bons vins mais aussi de bien raconter le vin ! Pour bien les vendre.

Une narration qui passera par un bon accompagnement : ce qui importe c’est que les clients soient bien accueillis. Il faut être capable en quelques secondes de comprendre ce qu’ils attendent. ce qui implique des équipes capables d’excellents relationnels et un très bon sens de l’humain. Les outils technologiques n’étant là qu’en appui.

François

Image à la Une : © Winevision, entreprise spécialisée dans la réalisation de visites virtuelles de domaines viticoles


Cet article est tiré d’une table ronde La Tech au service de l’Oenotourisme et de la vente directe à WineParis 2025 modérée par Pauline Versace La Vie Bonne

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Réalisateur documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : France , oenotourisme

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


L'abus d'alcool est dangereux pour la santé © 2025 - GENERATION VIGNERONS
Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
error

Ce site vous plait ? faites le savoir !