La recherche en marketing nous apprend que le packaging est un élément essentiel du produit. Combinant une fonction de protection et d’information, il permet de faciliter la reconnaissance de la marque par le consommateur et d’influencer ses choix. Ainsi, le packaging fait partie intégrante de la stratégie des entreprises qui peuvent, grâce à lui, cultiver l’identité de leurs marques et mettre en avant à la fois la qualité de leurs produits et leur positionnement.
Dans le cas de produits traditionnels liés à une origine régionale ou à une appellation, le packaging revêt une dimension encore plus particulière. C’est notamment vrai pour le champagne, régulièrement associé au luxe et dont la dimension iconique en fait un marqueur social.
Partant de l’analyse de la composition de plus de 100 bouteilles de champagne brut sans année (catégorie très largement majoritaire en volumes) complétée par des entretiens auprès d’experts (institutionnels, producteurs, imprimeurs et infographistes, influenceurs), nous avons identifié dans une récente recherche des « codes champagne ».
« Roi des vins et le vin des rois »
En résumé, il s’agit de la présence systématique d’une coiffe, une bouteille verte de forme classique champenoise, une étiquette rectangulaire horizontale, l’utilisation de dorures (sur la coiffe, la collerette et/ou l’étiquette) et le recours à des illustrations (arabesques, blasons, logos, etc.). Les combinaisons entre ces différents éléments sont très variées, avec plus ou moins de dorures et/ou d’illustrations, par exemple.
On retrouve également un bloc marque composé de l’appellation « champagne » écrite en majuscules et située au-dessus du nom de marque, lui-même inscrit dans une taille de police supérieure. Selon les experts interrogés, ces différents éléments, et notamment la couleur dorée, représentent « cette petite touche de luxe qui fait que le champagne est le champagne, que le champagne est le roi des vins et le vin des rois ». Elle semble donc essentielle.
Outre la bouteille elle-même, les maisons de champagne multiplient souvent les emballages et suremballages pour affirmer leur positionnement haut de gamme. On imagine difficilement une bouteille de Dom Pérignon vendue sans son coffret !
De même, certaines bouteilles de champagne blanc de blancs ou rosé sont transparentes afin que le consommateur puisse apprécier la jolie couleur du vin. Or, le verre transparent n’est pas recyclé et, comme il ne protège pas son contenu de la lumière, ces bouteilles sont souvent vendues emballées dans un plastique protecteur. À l’heure où le champagne réalise une transition environnementale dynamique au niveau de la viticulture, quid de l’impact des « matières sèches » liées au packaging sur l’environnement ? Et quid de l’effet de leur potentielle réduction sur la perception du produit par les consommateurs ?
Une innovation dans une filière traditionnelle
Derrière ces questions, c’est à la fois l’identité et la capacité de la filière à créer de la valeur qui sont en jeu. L’innovation est souvent présentée comme un facteur de compétitivité, voire de survie des entreprises, dans un environnement en perpétuelle évolution. Or, pour les produits régionaux à appellation d’origine tels que le vin, symbole par excellence de produit de terroir, il semblerait que les consommateurs soient friands d’authenticité, ce qui peut freiner l’introduction d’innovations, notamment au niveau du packaging. C’est sans doute encore plus vrai pour le champagne, dont le packaging doit en plus traduire un positionnement haut de gamme/luxe au sein des vins effervescents.
Notre étude montre pourtant que les producteurs ont recours à différents leviers pour moderniser leurs packagings. Par exemple : les logos et dessins remplacent les anciens blasons génériques (et donc impersonnels) ; le nombre d’éléments graphiques sur les étiquettes diminue pour une lisibilité et une personnalisation accrues ; l’or reste présent mais il est utilisé en moins grandes quantités ; la coiffe est raccourcie ; la collerette disparaît ; la typographie devient plus lisible ; les encadrements et les arabesques diminuent ; certaines étiquettes sont désormais positionnées verticalement.
De manière générale, la modernisation des étiquettes passe souvent par leur simplification, ce qui est généralement bien perçu par les consommateurs.
Fourni par l’auteur
Sur la base de l’opposition entre tradition et modernité, nous avons pu identifier quatre stratégies principales d’innovation packaging en Champagne. Délibérément complexes, les packagings traditionnels multiplient les codes champagne afin d’attirer le consommateur, se substituant à toute action publicitaire ou promotionnelle. Affichant un degré de modernisation limité, les packagings patrimoniaux permettent de mieux communiquer sur la marque, tout en conservant de nombreux codes champagne.
Dans le cas des packagings transitionnels, l’innovation est plus évidente, avec un design résolument contemporain qui privilégie une esthétique minimaliste et améliore la lisibilité et l’élégance du produit, qui reste pourtant ancré dans son univers de référence. Enfin, les packagings disruptifs affichent une volonté marquée de différenciation en « cassant » les codes du champagne.
Ainsi, malgré la difficulté apparente, il est possible d’introduire de l’innovation dans le packaging du champagne, à des degrés divers selon la sensibilité du producteur. Reste l’épineuse question du respect de l’environnement, qui peut sembler incompatible avec certains éléments évoqués, tels que les dorures, collerettes métalliques, coffrets, étuis, etc.
Packaging, luxe et environnement
Selon les experts interrogés, même les producteurs bénéficiant d’une certification environnementale sont encore souvent réticents à adapter certains de ces éléments afin que le contenant soit aussi vertueux que le contenu. Ils auraient peur que l’utilisation de matériaux recyclés (papiers, encres), par exemple, ne déprécie l’image de qualité du produit. Ainsi perdurent encore aujourd’hui les étiquettes plastifiées qui seules résistent à l’épreuve du seau à glace.
Le Champagne Telmont fait figure de contre-exemple, avec son ambitieuse stratégie de transition environnementale qui va de la vigne au packaging, incluant l’arrêt des bouteilles transparentes ainsi que des étuis et coffrets, ce qui aurait permis de réduire de 8 % leur empreinte carbone selon Ludovic du Plessis, président de la maison. Leur campagne publicitaire « The best packaging is no packaging » leur a d’ailleurs valu la médaille d’or du magazine professionnel The Drinks Business pour la catégorie « Design et Packaging ».
Pour autant, leurs ventes sont en croissance et les cavistes et consommateurs se sont montrés très réceptifs à cette nouvelle stratégie. Selon Ludovic du Plessis :
« Ils comprennent tout à fait que la durée de vie d’une boîte cadeau, elle est de 30 secondes. Et nous, on fait du champagne, on ne fait pas des boîtes ».
La maison Telmont prouve ainsi qu’il est possible d’aller plus loin dans la stratégie d’innovation packaging en Champagne, en faisant du respect de l’environnement une priorité sans pour autant ternir l’image du produit.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.
Aurélie Ringeval-Deluze, MCF en sciences de gestion, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.