Les Hauts de Talmont, vignoble entre terre et océan

Passé le dernier rond-point qui tourne le dos à Royan, vous empruntez une route étroite : elle traverse un ancien marais devenu une lande. Par temps gris et avec quelques moutons on se verrait bien en Ecosse. Et puis, sans crier gare, au bout d’une courbe infinie, vous réalisez que le fleuve et la mer se sont invités par surprise : vous êtes en train de longer l’estuaire de la Gironde ! Magique et grandiose par son étendue : 11 kilomètres d’une rive à l’autre où se fondent les eaux de la terre et de l’océan.

Et voici l’église Sainte Radegonde (XIIème siècle) qui s’aventure vers le milieu de l’estuaire, comment ne pas être sous le charme de la presqu’ile de Talmont sur Gironde aux confins de la Charente Maritime. L’un des 164 plus beaux villages de France qui reçoit plus de 500 000 visiteurs par an…Mais n’essayez pas de vous garer dans le village : les ruelles à angle droit sont si étroites que j’y ai laissé une portière et un bas de caisse !

se penser une nouvelle vie

C’est à nouveau la curiosité qui m’amène : comment un rêve peut-il se réaliser ? Souvent dans la vie, c’est une histoire de rencontres. Nous sommes au début des années 2000. Un jour, à Talmont sur Gironde, Michel Guillard fait la connaissance de son nouveau voisin : Jean-Jacques Vallée. Tous deux sont en fin d’activité. Ils se plaisent à imaginer une nouvelle vie. Ils se lancent le défi de de créer un domaine viticole de toute pièce.

Stomatologue le premier, homme de marketing le deuxième, rien ne les prédisposait à se jeter dans cette aventure, si ce n’est une passion pour le vin : chez Michel, elle l’avait même conduit à lancer au début des années 80 avec Jean-Paul Kauffmann la revue L’amateur de Bordeaux. Elle aura été une référence pendant près de trente ans.

Chacun son métier…

Ces deux personnalités résolues ne tardent pas à trouver le partenaire idéal en la personne de Lionel Gardrat, jeune vigneron installé à quelques kilomètres de là, à Cozes sur le domaine familial. Il se prête vite au jeu : « Bon c’est vrai c’était des Parisiens, mais leur niveau d’exigence et leur érudition inspirait le respect. » Sans parler du réseau de connaissances que Michel Guillard apporte avec sa revue !

L’équipe se répartit les rôles : à Lionel le soin de produire un vin typique, avec du caractère – de ceux qu’on n’oublie pas- destiné aux restaurants gastronomiques et aux touristes éclairés. A Jean-Jacques, l’identité du domaine, le positionnement de la gamme et sa commercialisation. A Michel le soin de faire connaître leur projet à travers son carnet d’adresses.

la pépite de Talmont

Reste à trouver des terres. Très vite ils mettent la main sur une première parcelle de 2,5ha située sur un site unique constitué de craie blanche : la falaise du Caillaud, à deux pas de la presqu’île de Talmont.

De type océanique tempéré, le climat local bénéficie d’hivers doux avec de rares gelées, des étés secs et ensoleillés, tempérés par la brise marine. Les précipitations y sont faibles et c’est le meilleur ensoleillement de tout le littoral atlantique. Des conditions idéales pour la vigne.

Notre trio commandite une étude géologique : l’analyse des sols confirme que ces terres sont argilo-calcaires et révèle une veine de calcaire dit « campanien« . Sa présence permettra de retenir l’excès d’eau des précipitations et de la restituer à la vigne en cas de fortes chaleurs.

Sur ce qui va devenir bientôt le domaine des Hauts de Talmont, les trois associés décident de planter du colombard. Un cépage autochtone -l’un des plus vieux cépages charentais- mais pas facile à exploiter. D’ailleurs après la crise du phylloxera, les producteurs de cognac lui préféreront l’ugni-blanc plus productif et plus résistant.

des conseils en or

Denis Dubourdieu, le célèbre oenologue aujourd’hui décédé, le pape du blanc, viendra lui-même conseiller Lionel Gardrat pour produire « un blanc sec et vif  » selon la RVF. Mais ses avis très tranchés auront du mal à passer. La première vendange aura lieu en 2005.

Viendra s’ajouter au vignoble naissant une parcelle de merlot pour produire rosés et rouges. Cette fois c’est l’oenologue Jean-Claude Berrouet, artisan du château Petrus, qui conseille les Hauts de Talmont pour tirer la quintessence de ce cépage.

Au fil des ans, le domaine s’accroit jusqu’à comporter aujourd’hui  près de 8 ha de vignes plantées perpendiculairement à l’estuaire pour restreindre la prise aux vents dominants.

Avec une production d’environ 30000 bouteilles.

être différent pour ne pas tomber dans l’indifférence

En 2011, l’équipe souhaite aller encore plus loin : elle décide de passer en bio et dans la foulée en biodynamie. Un défi quand on possède des vignes au dessus de la mer ? Lionel Gardrat : « Oui et non,  il y a toujours un léger courant d’air dans l’estuaire, donc ça limite l’impact du mildiou. Mais si vous avez une petite attaque, il ne faut surtout pas la sous-estimer car tous les matins il y a une ambiance un peu plus humide du fait qu’on est au dessus de la mer. » 

Preuve d’une conversion en biodynamie réussie et du respect du sol : le retour des orchidées sauvages au bord des vignes. Comme pour saluer le retour des mycorhizes.

Le domaine bénéficie maintenant d’une triple certification : Bio, Biodyvin et Demeter. Un sérieux atout pour se distinguer de la concurrence.

Aujourd’hui avec le domaine de Bellevues de David Ramnoud, les Hauts de Talmont sont les seules exploitations certifiées en biodynamie pour toute la Charente Maritime !

Un sujet de curiosité pour d’autres vignerons ? Lionel Gardrat est plutôt amer sur ce sujet : « Pas vraiment : le dernier collègue qui est passé ici c’était il y a 3 ans ! »

Les Charentes et la certification, ça fait deux !

Quand on visite le site des Vins charentais on peut décompter 116 domaines. 18 sont certifiés bio ou en cours de conversion, 15 en HVE, 8 en ISO 14001 et...2 en biodynamie. Les autres domaines sont en conventionnel ! Bien en dessous de la moyenne nationale qui est des 17% de vignes françaises certifiées bio. Et encore, la moitié des vignes charentaises certifiées est concentrée sur l'Ile de Ré et l'Ile d'Oléron. "Normal remarque Lionel Gardrat, eux comme nous pratiquons la vente directe. Nous avons les clients en face et nous avons notre responsabilité vis à vis du consommateur !"

Pourquoi si peu d'intérêt pour la cause environnementale alors que la plupart des régions viticoles françaises s'y sont collées ? Une première raison qu'on pourrait évoquer c'est celle d'une population de vignerons vieillissante qui préfère laisser aux repreneurs le soin d'apporter au vignoble les modifications qui s'imposent. Une aubaine pour des jeunes installés qui valorisent aussitôt leur acquisition comme par exemple l'ont fait Marine Houtemonne et Simon Pitoizet du domaine Arica, une exploitation passée tout en bio à la Couarde-en-Ré.

Une autre raison qui n'efface pas la première c'est que la majeure partie de la vigne est réservée au cognac : son succès à l'export (export spiritueux : +30,1% par rapport à 2019)  encourage ses producteurs à faire "pisser la vigne" pour répondre à la demande. Bon c'est vrai, il existe aujourd'hui une certification Cognac et HVE, portée par les maisons de Cognac et qui se veut encadrer l'usage des phytos. Green washing pour rassurer les marchés à l'export ?

Pourtant, en parallèle, signe que c'est possible, il existe bien un courant de cognacs vertueux et le label bio apparaît sur pas mal de bouteilles maintenant : la RVF en a tenu une liste il n'y a pas si longtemps. D'aucuns vous diront aussi que le cognac est issu de vieux assemblages qui a l'époque n'avaient pas été produits en bio...

Toujours est-il que cette image de productivisme ne bénéficie pas aux IGP charentais. "Pendant longtemps les vins des Cognaçais étaient cachés sous l’escalier, ils n’en étaient pas fiers" nous confiait l'an passé Yves Lageat du domaine Pique Russe.

Lionel Gardrat regrette que les Vins Charentais n'aient pas pris le virage du bio il y a dix ans."On avait les moyens de le faire : les Charentes sont une région où les les gens vont bien. Aucune exploitation n'est en mono-culture ou en vin de pays, ils ont tous le cognac à côté qui génère des revenus convenables."

Laisser du temps au temps

Le domaine a bientôt vingt ans et s’est agrandi au fil de l’eau. Créé from scratch, il est devenu une référence dans la région et si Michel Guillard et Jean-Jacques Vallée ont la fierté silencieuse, Lionel Gardrat, lui qui n’avait pas besoin de ce projet pour vivre sa vie de vigneron, n’hésite pas à dire : « ce qu’on a fait ici n’est pas ridicule ». Il reconnait d’ailleurs que les Hauts de Talmont lui ont servi de laboratoire d’essai et qu’il a reproduit à Cozes des solutions mises au point à Talmont. Il a ainsi converti en biodynamie une première parcelle de ses 50 ha de vignes bio.

le souci du détail

Peur de rien, en 2013 les associés se sont lancés dans un nouveau chantier : la construction d’un chai sur le domaine pour pouvoir vinifier sur place. Une aventure administrative et juridique celle là. Pour faire aboutir ce projet pourtant soutenu par l’Architecte des Bâtiments de France et la Communauté d’Agglomération de Royan, il a fallu ferrailler sept années durant, contester au tribunal les arrêtés municipaux et purger les recours des riverains.

En 2020, les Hauts de Talmont ont pu inaugurer un nouveau bâtiment signé par l’architecte alsacien Christian Biecher avec une cuverie, une salle de dégustation, une réserve et un préau pour la livraison, le pressage et la mise en bouteille ainsi qu’un chai à barrique.

Huit cuvées, deux cognacs

C’est étonnant comme une gamme de vins peut refléter la personnalité de son équipe ! On y retrouve à la fois un souci de précision et une volonté d’authenticité, à travers une offre de vins monocépages.

A commencer par deux blancs. Le premier a bénéficié d’une fermentation malolactique et pas le deuxième. Autant Le Colombard Expression N°1 est un vin plaisant, minéral et bien équilibré mais sans vraie surprise, autant le Colombard Expression N°2 avec sa robe jaune paille est vif, sec et fruité. Il surprend par autant de notes d’agrumes qui persistent en bouche ! Inutile de rajouter un filet de citron sur vos huitres : il est livré avec. Une vraie trouvaille.

Le rosé et le rouge sont issus de merlot, le rosé a un nez très délicat et plaira aux amateurs de Clairet tant il en est proche. Quant au rouge, lui aussi issu de la biodynamie, il arbore dans mon verre une robe grenat profond, un nez de mures sauvages et de cannelle, c’est un régal ! Il a la texture et la profondeur d’un grand cru de la rive opposée mais il ne tombe pas dans les travers de ces merlots bordelais trop amples et trop boisés qui ont perdu leur public.

Ajoutez à ces vins tranquilles deux “méthode champenoise traditionnelle”, un blanc et un rosé, deux vins mutés à la façon des pineaux des Charentes, et depuis peu, deux cognacs très surprenants, des cognacs de l’estuaire, un XO et un VS : ils ont la particularité d’être des single colombards et d’être millésimés. Une différence majeure avec les cognacs traditionnels, produits d’assemblage, qui affichent rarement l’année de récolte et de distillation.

Seul le Cognac Very Special est encore disponible et servira de base en cocktail ! Bien sûr, la gamme des cognacs est elle aussi en biodynamie !

 

un piano dans les vignes

Et comme s’il manquait une touche finale pour asseoir la réussite de ce projet -une note artistique et culturelle- Les Hauts de Talmont sont devenus partenaires du festival Un Violon sur le Sable et organisent un récital off : Un Piano dans les Vignes. Ils accueillent tous les ans sur leur vignoble plus de 1000 personnes pour le concert d’un grand pianiste : François-René Duchâble, Alexandre Tharaud, Bertrand Chamayou, Nicolas Angelich, David Kadouch et récemment  Khatia Buniatishvili.

Moralité : il n’y a pas d’âge pour bien réussir dans les affaires et pas de date de péremption pour se lancer dans le vin : clin d’oeil à mon ami et associé Jean-Philippe !

François

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : domaines et châteaux , France

2 commentaires

  1. Dugardin dit :

    Bel article, intéressant et original

    1. Francois SAIAS dit :

      Merci pour ce commentaire. Nous nous efforçons de mettre en lumière ces vignerons qui cherchent à tirer leur région vers le haut !

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