Génération Vignerons s’est demandé comment une région viticole pouvait « se vendre » auprès des candidats à l’installation ? Bien sûr il est possible d’interviewer les responsables des interprofessions, des Chambres d’agriculture, mais la démarche n’est pas très satisfaisante parce qu’on bloque toujours sur le discours officiel des institutions. Aussi a-t-on voulu tenter quelque chose de différent.
Lorsque nous avons évoqué ce premier choix pour le Centre-Loire, des regards se sont faits interrogateurs, mais c’est où ? Évidemment vous connaissez Sancerre. Et là l’ambiance se détendit pour passer à la bienveillance totale. Ah ! le village préféré des Français en 2021. Pas de soucis, comptez sur nous pour vous rendre visite.
FIN CONNAISSEUR
Benoît Roumet, fondateur et ancien directeur du BIVC, « fin connaisseur du terroir et des mentalités sancerroises » a accepté de nous éclairer sur les atouts de cette destination viticole, qu’il en soit ici remercié.
Il reconnaît naturellement que l’identité administrative du vignoble n’est pas son point fort mais on ne refait pas l’histoire. Si le nom pêche, l’image brille par son audace. Regardez ce nouveau logo proche d’un hiéroglyphe égyptien, la Loire a remplacé le Nil.
Ce vignoble mal nommé recèle tellement de beautés cachées. La première n’est-elle pas l’attachement viscéral que lui portent ses habitants, les vignerons en tête ? Les voilà qui veulent faire inscrire au Patrimoine mondial les collines et le paysage viticole du Sancerrois. Le piton de Sancerre qui domine de ses 313m les rives de Loire fera-t-il de l’ombre à la tour Eiffel ?
PERSPECTIVE HISTORIQUE
On revient de loin me dit Benoît Roumet. Au sortir de la guerre, la région est en grande pauvreté, le vin se vendait une misère au négoce. Alors les vignerons décidèrent de monter sur Paris avec la camionnette pleine de bouteilles, ils faisaient la tournée des bistrots et redescendaient à vide. Année après année, le vignoble s’est renforcé, s’est développé graduellement, régulièrement comme ça, sans à-coup, sans crises. Vous pouvez les compter sur les doigts d’une main les vignobles français qui connaissent une aussi longue période d’expansion.
REVUE DE DÉTAILS
On parle d’une vigne gallo-romaine puis médiévale plantée autour de l’abbaye de Saint-Satur et du fameux piton sur des sols de caillottes, silex, d’argilo-calcaire et de silice.
Le vignoble a traversé le fleuve à Pouilly/Loire, pour descendre plus au sud à Menetou-Salon. Le long de la vallée du Cher à Quincy, Reuilly et plus loin à Chateaumeillant, sur les coteaux du Giennois, de Tannay et la côte de la Charité.
Pour fixer les choses donnons tout de suite les statistiques 2019 fournies par le Bureau Interprofessionnel : 5784 ha plantés, 8 AOP, 2 IGP, 330 000 hl/an, 55 % à l’export, environ 700 vignerons et une cinquantaine de négociants. Un petit vignoble par la taille -10% du Val de Loire- mais grand par la renommée. Ah ! Si vous souhaitez vous installer par ici, il faut aimer le blanc, le sauvignon, bien sûr ! Il est arrivé sur le tard après le phylloxéra pour rafler la mise avec 85% de la production.
CASSER LA TIRELIRE
C’est vrai, nous avons une bonne valorisation de la terre et des vins. Il y a un avenir pour les jeunes d’ici, les transmissions se font essentiellement dans les familles. Après, quelques vignerons locaux vont vouloir s’agrandir et investir dans les petites AOC, comme Chateaumeillant ou les coteaux du Giennois. Très peu de personnes extérieures au vignoble à venir s’installer. Ces dix dernières années, il y a eu deux gros rachats par des investisseurs déjà présents dans le milieu du vin : Ackerman Terreo qui a racheté le château de Sancerre et le rapprochement du négociant Villebois (Touraine) avec Fournier à Sancerre.
Quand on investit dans une région très connue on s’appuie sur quelque chose de fort, et forcément ça a un prix. Conséquence, le foncier s’envole : 200 000 – 300 000€ l’hectare à Sancerre, 10 fois moins dans les petites appellations, mais rien à vendre ou presque.
Rien de spéculatif, ici. Notre vignoble montre par l’exemple que le couple vignerons/ appellations fonctionne très bien. C’est l’énergie d’une poignée de vignerons qui a entrainé tout le monde. Prenez l’exemple d’Henri Bourgeois, il n’avait pas plus de 2 hectares, ici, dans les années 50.
Aujourd’hui propriétaire d’un des plus beaux domaines à Marlborough en Nouvelle-Zélande, la famille Bourgeois est l’un des étendards de la réussite sancerroise.
UN CÉPAGE MAGNIFIÉ
Sancerre est totalement associé au sauvignon blanc, c’est acquis, mais on oublie souvent que l’enjeu est mondial pour ce cépage, peut-être le plus planté au monde. Il y a tellement d’expressions différentes du sauvignon, rien qu’en France, entre le Centre-Loire, la Touraine, le Bordelais, le « fumé blanc » de Californie, les sauvignons de Marlborough, de Tasmanie, de Walker Bay en Afrique du Sud ou de Styrie, une province d’Autriche aux grandes ambitions viticoles.
A-t-on précisé que Benoît Roumet est aujourd’hui ambassadeur pour la France du concours mondial de Bruxelles ? L’objectif du concours est bien de mettre en avant le cépage et toutes ses expressions qu’on trouve dans le monde.
Pour se maintenir, Sancerre doit sans cesse investir et innover. Les vignerons font maintenant des vins d’assemblage, à partir de parcellaires. On va chercher la fraîcheur, le corps, la richesse, c’est un énorme travail au chai et à la vigne surtout. L’ADN de la région, c’est certainement cette capacité d’adaptation, toutes appellations confondues. Les vignerons, les négociants, les coopérateurs forment un collectif. Ils font tourner leurs maisons et travaillent bien ensemble. Le ciment qui a fait Sancerre, c’est l’humain.
Et ils investissent massivement depuis les années 80, bien plus que la moyenne des régions viticoles.
Quand l’investissement de base est fait, derrière, on est dans des logiques où on ne s’arrête jamais. Pour l’export, qui représente 60% de la production, les tuyaux ont été installés, les contacts avec les importateurs établis depuis longtemps.
La concurrence des sauvignons du Nouveau monde ne les a pas délogés, ni en Grande-Bretagne, ni aux USA. On essaie de faire ici à Sancerre, quelque chose d’unique, qu’on ne puisse pas faire ailleurs.
L’APPUI TECHNIQUE
L’atout maître du Sancerrois, c’est le SICAVAC, l’organisme d’appui technique interprofessionnel qui travaille pour les viticulteurs. C’est un labo extraordinaire géré par la profession qui a permis une montée en qualité à la vigne comme à la cave.
Vitisphère faisait état récemment d’une sélection massale de pinot noir commune à la Bourgogne et à Sancerre, visant à augmenter la diversité génétique du cépage pour qu’il tolère mieux les accidents climatiques et donne de meilleurs vins. C’est SICAVAC qui pilote.
ANTICIPER LA TRANSMISSION
On a vite compris que les domaines sont confrontés à des « problèmes de riches ». Les valeurs foncières ont autant augmenté que la zizanie dans les familles au moment des successions. On n’est pas encore en Bourgogne ou en Champagne, mais attention. Les fils ou les filles de vignerons se précipitent moins pour reprendre le négoce ou le domaine. On les voit arriver plus tard, après une vie professionnelle antérieure, souvent à l’international. Des changements sociologiques qui peuvent ouvrir des brèches pour un profil non-sancerrois. La région n’a jamais été fermée aux apports extérieurs.
LES BONNES RAISONS D’Y ALLER
Résumons-nous : vous êtes un professionnel de la vigne et du vin, très pointu techniquement. Vous vous êtes fait un nom quelque part en Nouvelle Zélande, en Californie, ou ailleurs. Vos investisseurs sont prêts à vous suivre. Le Centre-Loire est une option sérieuse.
Quelqu’un l’a fait avant vous, c’est Antoine Gouffier. Ce natif du Nivernais est revenu au pays (Pouilly/Loire) après 12 ans passé entre New York, la Californie, l’Argentine, l’Afrique et le Moyen Orient dans le commerce, le négoce et la restauration, il a repris en 2019 le domaine du Bouchot.
Peut-être serez-vous tenté par un coup de poker ?
Le pinot noir représente 15% des surfaces en Centre-Loire, on le vinifie en rosé et en rouge. Le prix à l’hectare est le même, le rendement est moindre (40-50hl/ha), il faut le passer en fût, c’est un cépage difficile, capricieux qui n’est pas bien valorisé.
Benoît Roumet ne me semble pas totalement convaincant dans ses dénégations. Et si dans le Sancerrois, on ne travaillait pas le pinot noir avec la même excellence que le sauvignon ? Quand on voit l’engouement des amateurs pour le pinot noir produit en bio par des jeunes vignerons, ça mérite réflexion. Il y a des opportunités foncières dans les IGP de la côte de la Charité et des coteaux de Tannay, connus pour leur ensoleillement. On se dit qu’il y aurait quelque chose à tenter dans ce vignoble du Centre-Loire qui sourit aux audacieux et…..aux travailleurs acharnés !
Jean-Philippe
Image à la Une : ©Serge Erard