En cette période printanière, rien n’est plus fort que l’envie de renouer avec la nature. Bref, de se mettre au « vert » ! Et pour cela, la région du Jura en est le paradis… Paysages à couper le souffle, cascades, lacs, falaises calcaires jurassiennes, plaines où broutent les vaches laitières prêtes à vous offrir les fromages les plus fruités qu’il soit, coteaux de vignes et charmants villages en pierres, la déconnexion « nature » sera garantie !
Que diriez-vous d’un séjour oenotouristique sur un territoire unique, petit par sa taille et donc facile à parcourir sur ses 80 km de long mais grand par sa richesse et l’authenticité de son accueil? Rencontre avec trois familles de passionnés au cœur des vignobles jurassiens.
Le « poumon vert », « point vert sur la carte », « zone bio »…
Voilà des expressions de touristes étrangers partagées par des Américains visitant les vignobles locaux, témoigne un vigneron. Certains considèrent même la région comme le cœur de l’esprit agriculture biologique tellement les paysages environnants sont verts, immenses et variés, rappelant les codes couleurs des modes « bio » !
Il faut dire qu’à chaque avancée en voiture, à vélo ou en randonnée, les paysages changent tout comme les sols. On y trouve une accumulation de l’Histoire d’un bout à l’autre du territoire : entre les calcaires, les silex et les fossiles, les différentes ères* historiques ont créé la diversité des terroirs, ce qui se reflète aussi dans la diversité des vins (*Le Jurassique et le Trias datent de l’ère secondaire, période qui a 225 millions d’années et a duré 160 millions d’années).
Un terroir, un cépage
Ainsi, le cépage rouge local « trousseau » trouvera sa place idéale sur la « chaille », un mélange de silex et de graviers, au Nord d’Arbois, à Montigny-lès-Arsures.
Tandis que les blancs comme le savagnin et le chardonnay s’épanouiront sur une marne bleue « Trias » présente sur la commune et AOC de Château-Chalon apportant une grande finesse aux vins.
Ce n’est pas innocent si les moines ont longuement étudié les sols et leurs interactions avec les vins par l’analyse du lieu de salivation en bouche et de sa texture avant de définir les meilleurs accords cépages et terroirs !
Il n’y a pas que le climat qui influence le choix des vignes mais aussi et surtout les sols ! D’ailleurs le Jura regorge de sites clunisiens, c’est pourquoi le choix du terroir pour les vins y a toute son importance.
Au cœur d’un des plus beaux villages de France, perché sur une falaise, Château-Chalon est le berceau du célèbre vin jaune, ce vin jurassien à la couleur jaune dorée, élevé sous voile patiemment pendant 6 ans et 3 mois ! Riche en histoire et en gastronomie, petit par la taille avec quelques centaines d’habitants et grand par sa renommée, le village révèle de nombreux métiers d’art dont celui de vigneron.
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Les Credoz, le culte des méthodes naturelles
Et c’est chez Jean-Claude Credoz et son épouse Annie que nous démarrons notre visite. « J’ai créé le domaine en 1991, la pire année, touchée par le gel… et voilà que 30 ans plus tard, mon fils Valentin nous rejoint aussi en cette année de gel » nous explique Jean-Claude. Un signe ? Un parallèle en tout cas, père et fils.
Trente ans que la famille s’intéresse aux méthodes naturelles pour cultiver la vigne puisque dès les prémices, Jean-Claude travaille en culture raisonnée pour basculer depuis quatre ans en biodynamie sur ses 9 hectares dont 4.48 ha sous l’appellation « Château-Chalon » : « Toutes les vignes se situent sur un rayon de 5 km, dont 50% sur la commune de Menetru. »
La famille se voit surchargée de demandes depuis quelque temps avec la mise en lumière des vins du Jura par de nombreux sommeliers du monde : le domaine reçoit de plus en plus de visites de passionnés, de touristes belges, allemands, de bloggeurs et même de magazines et revues spécialisées. Dernièrement, leur importateur en Californie ne cesse de les solliciter pour ses clients américains.
Tel père, tel petit fils
Quant au fils, Valentin, il représente la cinquième génération et se veut au plus proche de la nature : il a instauré de l’engrais vert entre les rangs et mis en place de nombreux trèfles, ce qui génère beaucoup d’azote, un élément très nutritif pour la vigne. « Ici, c’est un projet de famille. Mon épouse est un pilier au quotidien, tant sur les aspects communication que commerciaux et Valentin se passionne dans les vignes et le chai avec l’aide de quelques employés. Il n’y a pas de patron, nous travaillons en équipe ! » souligne Jean-Claude.
Entourée de vieilles vignes, la famille tient à préparer la végétation en réintroduisant des pratiques ancestrales comme la taille du poulsard en V comme le faisaient leurs grands-parents. Cette taille permet de générer deux flux de sève et de limiter les risques (climat ou autre).
Sur leurs terres, le cépage « melon à queue rouge » a même fait l’objet de recherche par une équipe de Montpellier qui aurait estimé leur date de plantation entre 1900 et 1920.
La famille ferait partie des sept à huit vignerons possédant des vignes de cette époque dans le secteur. Les autres vignes (chardonnay, savagnin auraient 70 à 80 ans. Les vins plaisent tant qu’ils sont d’ailleurs vendus à 70% aux particuliers !
immersion dans le savagnin ouillé
Lorsque Valentin a souhaité rejoindre le domaine, Jean-Claude a décidé de laisser une parcelle de savagnin à son fils : « Tu en fais ce que tu veux. » Valentin relève le défi et tente l’aventure d’un savagnin ouillé. Nombre de proches et d’experts l’ont averti qu’il n’arriverait jamais à démarrer la fermentation avec les levures indigènes, car avec la forte présence de sucre, cela est trop risqué.
Jean-Claude se souvient : « Mon fils a passé 15 jours en cuverie jour et nuit. Toutes les 2 à 3 heures, il faisait son remontage. Il restait un peu de sucre résiduel. Le vin a fini sa fermentation à 14.5 % et le labo l’a finalement félicité car il ne pensait pas que ce premier essai aboutirait. Nous avons ainsi sorti la Cuvée Valentin, un vin sur le fruit et frais! Un beau vin! ».
La Cuvée Valentin vous offrira une très belle intensité de fruits jaunes cuits, de confiture de pêche, d’abricot cuit gourmand, de crémeux et d’amande. Il ira à merveille avec un gâteau local appelé L’écureuil, aux noix et noisettes, selon Annie !
Elevés sous voile
Dans la cave où reposent les barriques, nous observons, à l’ouverture de l’une d’entre elle, le joli voile de levure rappelant une couche épaisse farineuse blanche… Pour déguster le vin régulièrement, la barrique est équipée en-dessous du niveau du voile d’un « duiset ». Ici, les fûts de plus de 100 ans ont connu le grand-père Victor qui a lancé de nombreuses initiatives en ce lieu magique.
Le chardonnay sous voile est mis en fût de vin jaune pendant un an, lui apportant une douceur de noisette grillée sur fond de notes de pamplemousse jaune.
Le savagnin est -quant à lui- élevé sous voile quatre ans, provenant d’une terre typique du Jura, la marne bleue ‘Trias’ apportant une véritable finesse en bouche ! Au nez, appréciez les notes de pomme, de noix, de curry et de cumin.
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Pupilles et papilles à Pupillin
Un accueil chaleureux et en toute simplicité vous attend chez un cousin éloigné des Credoz : Jean-Michel Petit du domaine de La Renardière constitué de sept hectares depuis 1990. Les parents de Jean-Michel étaient aussi vignerons. Il a récupéré d’ailleurs un hectare de ses parents pour développer sa propre activité viticole dans la petite commune de Pupillin à quelques kilomètres de la célèbre ville d’Arbois. Petit à petit, les vins se sont fait remarquer et maintenant 50% d’entre eux sont destinés à l’export, 25% aux particuliers et les 25% restant aux cavistes.
Jean-Michel travaille lui aussi en famille avec son épouse et son fils Léo. Le domaine est passé depuis 2010 en biodynamie mais il utilise des levures indigènes depuis 1994 ! Léo a développé de son côté une brasserie avec la création de sa propre bière « Jurassique ». Jean-Michel nous fait visiter son chai : « Ici, les cépages ploussard (ou poulsard) et trousseau n’aiment pas la trituration. Donc on égrappe à la main. Ce sont des cépages super doux. D’ailleurs, le nom ploussard vient de la plousse qui est le fruit du prunelier, une prunelle acide et aigre cueillie historiquement après les gelées pour adoucir le fruit. »
Jean-Michel nous montre une grande jarre en grès dans laquelle il mène des essais pour ses vins blancs. Il trouve cette méthode « assez réductrice car, malgré tout, le grès permet beaucoup d’échanges avec l’oxygène.
Il vinifie l’ensemble de ses vins sans soufre mais : « C’est un débat un peu stérile le sujet du soufre. J’ai des vins dans lesquels je ne mets pas de soufre et au final j’en ai produit naturellement sous l’action des levures parfois plus que sur les vins dans lesquels j’ai ajouté un peu de soufre. Alors, allez savoir quelle est la bonne règle du développement du soufre dans le vin ?! »
De Bacchus, le caveau
Vincent Aviet est le fils de Lucien. Il nous accueille dans son Caveau de bacchus au coeur d’un petit village au Nord d’Arbois, à Montigny-lès-Arsures. Comme ses confrères cités précédemment, il a toujours travaillé en harmonie avec la nature. Pas de grandes études, dit-il mais toujours au plus proche de la plante.
Vincent est en culture raisonnée, utilisant le moins d’intrants possible et des levures indigènes. Ici, on ne dénature pas le raisin, on laisse s’exprimer les arômes primaires en laissant les jus dans des foudres uniquement.
Il a appris aux côtés de son père Lucien, surnommé Bacchus, le travail des cépages traditionnels. La famille ne fait pas de vin de paille, ni de Crémant, ni de Macvin et préfère se concentrer sur deux belles cuvées : la cuvée des Docteurs et la cuvée de la Confrérie (car le père avait développé une confrérie, la confrérie de Bacchus – c’était la bringue a la cave, se rappelle Vincent !).
« C’est une exploitation familiale et non pas un domaine » souligne Vincent. Nous ne démarchons pas, les clients viennent à nous : 25% part à l’export dans le monde entier ! Ici, le melon à queue rouge, ancêtre du chardonnay est sur une terre avec des souches plantées en 1919 par son père. Les cinq hectares sont répartis sur douze lieux différents.
Ce sont plus de cinquante années de sélection massale réalisée par son père, sélectionnée et replantée tous les 10 ans. De père en fils, la famille a toujours pratiqué la même méthode de vinification : pas de pigeage, pas de remontage et uniquement un élevage en vieux foudres !
Ici, c’est le terroir du trousseau sur un sol de « chaille », constitué de silex et graviers.
Je termine ce séjour par un petit café matinal le lendemain du retour, brochure touristique en mains, histoire de résumer cette escapade : « Dans le Jura, les petites exploitations familiales dominent : une originalité par rapport à la majorité du secteur viticole français. Passionnés, à l’image des Jurassiens dans leur ensemble, les producteurs sont proches de leurs clients : accessibles, ils échangent volontiers sur leur métiers et leurs crus. »
Voilà, tout est dit ! Dans le Jura, vous vous sentez comme en famille, pas de chichis, on vous accueille à bras ouverts, en toute simplicité et surtout en toute convivialité ! On prend le temps, chose rare et précieuse dans notre monde actuel, de vous transmettre les messages du terroir afin de vous faire vivre, à vous aussi, l’essentiel de la vie : « l’émotion » !
Audrey
Bravo Audrey, encore un article si bien rédigé.
L’émotion du quotidien, l’amour dans les vignes, la passion partagée, une vie pour le vin.
Félicitation à toi chère Audrey, si talentueuse en écriture.
Rosy Châu