C’est Vitisphère qui lève le lièvre en titrant : un prix d’appel à manifester pour le vignoble girondin. Une bouffée de colère me saisit, quelle indécence, quel mépris pour les vignerons bordelais qui pour beaucoup vivent un enfer au quotidien. Où est leur juste rémunération ? A ce prix-là, il n’y a même pas 60 centimes de valeur de vin dans la bouteille, moins cher que le soda. C’est sûr, je vais boycotter Lidl. Comment cette grande marque qui ose afficher le slogan racoleur : « le vrai prix des bonnes choses » peut-elle se rendre aussi détestable ? Les Carrefour, Leclerc, Auchan ou Intermarché doivent se frotter les mains ! Pas si sûr….
LE MARKETING DE LA DÉTESTATION
L’offensive publicitaire de Lidl Vins en cette rentrée n’est pas passée inaperçue. Presse quotidienne régionale, radios, mobilier urbain se réjouissent d’accueillir un gros annonceur après un été de disette. Curieusement, l’édition du Figaro du 4 septembre est envahie par Lidl, comme un banc de méduses débarquant un matin sur une plage provençale. Des demi-pages, des onglets, des triangles, vous n’avez pas pu passer à côté du jaune poussin Lidl, aussi intrusif dans nos vies que peut l’être Comme J’aime ou Carglass.
Certes, il s’agit du lancement de leur foire aux vins, mais s’accaparer une édition du Figaro, c’est un peu bizarre. Les publicitaires se seraient-ils trompés de cible ? Ou bien les clients de Lidl se recrutent ils maintenant chez les conservateurs seniors? Lidl France, 1600 magasins, 50 000 salariés ciblent depuis longtemps les consommateurs « riches et malins » sans trop le dire. Ces consommateurs plutôt bourgeois urbains ont un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne mais par principe ne veulent pas payer le prix. Dis chérie, j’ai acheté 3 bouteilles de champagne chez Lidl pour 45 balles, génial, non ? Pour ce prix-là, tu pouvais acheter 6 bouteilles de prosecco, répond madame pour qui le radinisme est un style de vie.
A y regarder de plus près, les pubs du Figaro n’invitent pas forcément à aller en magasin mais incitent à vous rendre sur Lidl-vins.fr pour « profiter » de leur foire aux vins en ligne.
OK, on y va. Et là vous entrez dans un univers visuel surchargé type Amazon, vous fléchez les vins et vous vous retrouvez sur des pages qualitatives avec de très jolis produits comme ce château Dauzac, Margaux 2017 à 42€ ou ce champagne Gosset Blanc de Blancs à 64,99€.
Explication : pour les vins et spiritueux, les marges de la vente en ligne seraient trois fois supérieures aux marges de la vente en magasin, selon Kepler-Consulting.
Donc, en résumé, on se montre odieux avec des prix indécemment bas pour choquer le consommateur et agacer Michel-Édouard Leclerc et on se rattrape sur les marges de la vente en ligne.
FAUT-IL BANNIR LIDL ?
S’il existait en France un tribunal de la Bonne Parole, Lidl-Vins serait certainement condamné, mais la liberté d’expression est une heureuse conquête de 1789. Voilà un discours publicitaire qui fait tâche dans un océan de bienveillance, d’apitoiement et il faut bien le dire d’hypocrisie dans ce monde du vin où bien souvent les malheurs des uns font le bonheur des autres.
L’article de Vitisphère a suscité un flot de commentaire émanant de professionnels cachés derrière des pseudos ; l’un d’eux Bill &Boule est certainement celui d’un initié. De l’avis de tous les courtiers et négociants rencontrés à Bordeaux la semaine du 26 août ce n’est qu’un début. Et leur avis est confirmé par un des six mandataires liquidateurs opérant sur la région. Les coûts de production du 2024 sont à la hausse , il n y a pas eu de transactions de vente de vin majeures et les banques se refusent à octroyer les prêts de trésorerie adéquats. Comment s’étonner dans ces conditions que les petits châteaux dos au mur, se résignent à brader un ou plusieurs lots à la grande distribution.
Et que deviennent ces lots bradés ? N’allez pas croire qu’il s’agisse de mauvais vins, ni même de petits vins sans intérêt. A l’exemple de ce Fort du Roc AOP Médoc 2023 l’une des propriétés d’Adrien Bertaillan, encensé par le site de vente TWIL : Adrien Bertaillan, un producteur de vins renommé situé dans la région prestigieuse de Bordeaux, incarne l’excellence et la tradition viticole française. La passion et le savoir-faire transmis de génération en génération se reflètent dans chaque bouteille qu’il produit. Bon, mais que s’est-il passé pour que sa bouteille soit vendue- plutôt bradée- à 2,79€ chez Lidl ?
Est-il quatre fois moins bon que son voisin le château Lousteauneuf AOP Médoc 2022 vendu 10,90€ la bouteille chez E.Leclerc (source Le Point Spécial Vins) ?
Il peut exister des bons vignerons pas forcément bons gestionnaires et il y a aussi des malchanceux, chaque jour plus nombreux, victimes de cette déconsommation des vins rouges. Pour beaucoup d’entre eux les portes se ferment, excepté celles de Lidl.
La casse du prix du vin est un danger mortel. Quand une région, une appellation est engagée dans la spirale infernale de la descente aux enfers, comment voulez-vous l’arrêter ? Mais d’un autre côté quel est le vrai prix d’un médoc, du Saint-Émilion Grand cru ou d’un Sancerre ? Il faut une entente parfaite entre les producteurs et l’interprofession pour que les prix soient tenus, je pense ici à l’appellation Saumur-Champigny. Une entente – aïe ! le mot est déjà illégal- qui devra résister aux coups de butoirs de la grande distribution qui fait son beurre et sa Une publicitaire avec une appellation prestigieuse à prix cassé. Qui l’emportaient au Moyen-Âge, les assaillants ou les assiégés ?
MAIS QU’EN PENSE JACQUES DUPONT ?
Il est ma boussole, l’oracle de la Pythie que je consulte chaque année à la sortie du Point spécial Vins. Le 25ème édito de Jacques Dupont intitulé : Vin qui rit, vin qui pleure… est loin de m’apporter ce sursaut de confiance en l’avenir viticole que j’attendais secrètement.
La nostalgie a pris le pouvoir de sa plume, nous sommes surement nombreux à l’avoir remarqué. « Le goût des choses est affaire d’initiation, d’approche, de transmission. C’est ainsi que cela se faisait naguère…l’apprentissage du vin figurait souvent le passage de l’enfance à l’âge des grandes découvertes. Et aujourd’hui, qui s’en préoccupe ? Où, dans quel milieu ?…
Les grands vins sont devenus inabordables pour une très forte majorité de foyers français ». Ce n’est pas une découverte mais il est important de le redire. «La difficulté principale reste l’alcool. Comment revenir à des rouges ou des blancs pesant 11 ou 12°? »
That is the question M. Dupont, question que vous évoquiez déjà, il y a 10 ans, dans INVIGNEZ-VOUS ! (Grasset) votre pamphlet bien torché, votre pavé dans la mare sur la bien-pensance et l’hypocrisie ambiante destructrice de notre civilisation du vin. Hélas, vos inquiétudes d’hier sont devenues les désastres d’aujourd’hui.
Aux chiottes le vin qui pleure ! quand on se plonge avec ravissement dans le Point Spécial Vins. Le travail de sélection, de classement, d’interviews et de découvertes que vous avez réalisé cette année encore avec votre collègue Olivier Bompas me redonne la joie du vin. Merci à vous.
Jean-Philippe