On a un goût prononcé, chez Génération Vignerons pour le vocabulaire et les expressions du vin. Elles sont pleines d’images : vin de soif, vin de paille, de glace, vin de vigueur, vin de voile…
Regardez, il y a pas si longtemps nous vous parlions du goût de lumière : on est tenté de chercher une explication ésotérique ou une métaphore…Mais cette belle expression est à prendre au sens propre pour qualifier un …défaut majeur de vieillissement du vin. Quand technique et poésie se rejoignent…
Vin de voile, vin jaune et tant d’autres !
Alors non ! le vin de voile n’est pas un vin de bord de mer, ni celui qu’embarquaient les marins au long cours. D’abord on parle ici d’UN voile, un voile de levures qui se forme à la surface du vin lorsqu’il est élevé en milieu oxydatif. C’est à dire au contact de l’air. Tout le contraire du vieillissement traditionnel où l’on évite l’oxydation à tout prix pour éviter la « piqure acétique ». Habituellement le vigneron ouille le vin dans la barrique, c’est à dire qu’il remplit avec du vin le vide d’air dû à l’évaporation : la part des anges, tiens encore une belle expression !
Dans le cas du vin de voile donc, le vigneron laisse le vin en barrique et n’y touche plus pendant…longtemps. Prenons par exemple le vin jaune, parangon, comme le xérès, du vin de voile : ce vin du Jura issu du cépage savagnin est élevé sous un voile de levures* qui va former un filtre entre l’air et le vin. C’est ce voile qui va empêcher la formation de la piqure acétique.
Il est élevé en fût de chêne pendant au moins 75 mois, temps minimum réglementaire légal. Ce que nous confirme Pierre Martin au Domaine de la Pinte à Arbois, un domaine passé en biodynamie en 2009 : Les savagnins destinés à produire du vin jaune restent au minimum 6 ans et 3 mois dans le même fût sans aucun remplissage. Pour ce faire, nous travaillons essentiellement avec des fûts de plusieurs vins qui ne « boisent » plus les vins. »
Pas un fleuve tranquille
Car le voile n’est pas la seule particularité de l’élevage du vin jaune : comme pour beaucoup de vins oxydatifs, le vigneron va chercher à favoriser les chocs thermiques en l’élevant dans des caves, greniers ou des hangars dont on ouvre les portes pour faciliter les échanges de températures avec l’extérieur.
A noter qu’on fait la même chose avec certains vins doux naturels comme les Banyuls traditionnels : on les place dans des bonbonnes de verre -des dames jeanne- qu’on laisse au soleil, au froid pendant des semaines, des mois. Au fil du temps, les arômes de fruits murissent puis cèdent le pas à un complexe aromatique très riche de fruits secs, tabac, cuir, épices… C’est ainsi qu’apparait peu à peu l’arôme rancio caractéristique de cet élevage et dont Génération Vignerons vous parlait la semaine dernière lors de notre périple en Roussillon !
Le rôle des abbesses de Château-Chalon : un fake ?
Mais qui peut bien avoir eu l’idée d’un élevage si long, sans contrôle ? La tradition attribue aux abbesses l’acclimatation du cépage Tokay de Hongrie sur les coteaux de Château-Chalon : ce serait l’origine du savagnin. La tradition tourne cependant à la légende puisque l’ampélographie moderne rattache le savagnin à la famille des traminers : il serait une adaptation du « weißer traminer » allemand…
Alors si on penchait plutôt pour un accident : un tonneau oublié et redécouvert des années plus tard avec une très bonne surprise à l’intérieur…Sacrebleu !
Qu’importe le flacon ? pas sûr…
A l’arrivée, au terme de cette très longue période d’élevage, le vin est conditionné dans des bouteilles caractéristiques de 62cl – des clavelins – au lieu de 75cl, ce qui correspond à la partie évaporée dans la barrique. En bouche, ce vin de garde développe des arômes complexes : pomme, noix, curry, amande, pain grillé, miel, cannelle…nous confie Pierre Martin. En entrant en contact avec l’air, la structure du vin est également bouleversée : l’acidité diminue tandis que les tanins se fondent. La couleur, elle, s’intensifie…
« le goût caractéristique du vin jaune n’est pas apprécié de tous. Ce n’est pas lié à un défaut du vin mais à des habitudes de consommation. Ce n’est pas naturellement que l’on apprécie un Bordeaux ou un Bourgogne, on en fait l’apprentissage. C’est la même chose pour le vin jaune on apprend à l’aimer » nous dit Florent Schepens, sociologue.
Malheureusement l’élevage sous voile n’est pas contrôlé car il reste le plus souvent naturel, pondère Hervé Alexandre professeur en microbiologie et œnologie à l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de Dijon. On laisse faire la nature. Mais dans la nature il y a des levures capables de former des voiles, comme d’autres d’altérer le vin. Parfois le voile ne se développe pas et ce sont les bactéries acétiques qui vont prendre le dessus…
Et oui, l’élaboration du vin jaune n’est donc pas garantie tous les ans.
La part…de chance ?
François
Photo à la Une : © Stéphane Godin / JuraTourism
*Des levures pour quels arômes ?
question technique posée à Hervé Alexandre. Au cours du développement du voile, parallèlement à la consommation d’éthanol, les levures produisent de l’éthanal et d’autres composés aromatiques. L’éthanal est produit par les levures à des teneurs de 300, 400 milligrammes par litre, ce qui confère des notes de pommes et de noix au vin. Un des arômes emblématiques des vins Jaunes avec la noix, c’est la note de curry. Celle-ci est liée à l’apparition d’un composé appelé Sotolon, qui se forme spontanément à partir de deux composés de la levure libéré pendant le vieillissement…
Cet article s’appuie sur le contenu du MOOC OWU2 de l’Université de la Vigne et du Vin
Le cousinage entre les vins jaunes et les Rancios secs du Roussillon est très frappant, et voilà une composante commune :
« Le rôle essentiel du sotolon, découvert en 1976 dans les vins jaunes, a été mis en évidence dans les travaux de doctorat de Mme Cutzach-Billard en 1999 pour les Rancios Secs, caractérisé par son odeur de curry et de noix. »