Au début nos vignerons étaient plutôt contents du changement climatique. On est dans une zone de chasse à la palombe et plus on vendange tôt plus on est tranquille pour aller chasser ! Et puis ensuite on s’est trouvé avec un problème, on avait des rosés qui montaient à 13,14, 15 même jusqu’à 16 degrés…Celui qui parle c’est Pierre Philippe, le Directeur général de la cave coopérative Vignerons de Buzet.
des vignerons durables
Située dans une région viticole à mi-chemin entre Bordeaux et Toulouse dans le Lot-et-Garonne avec 184 vignerons adhérents, une empreinte territoriale importante pour une surface de 1935 hectares, la cave représente à elle seule 95% de l’appellation Buzet.
Tous les vins des Vignerons de Buzet sont aujourd’hui estampillés sans engrais chimique, sans désherbant chimique résiduaire, sans produits cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques. C’est la 2ème entreprise agro-alimentaire française au plus haut niveau de la norme ISO 26000 pour son engagement RSE. C’est aussi la 11ème appellation en terme de présence dans les rayons de la GD.
Une conférence-débat sur le Changement climatique était organisée sur le nouveau Salon Wine Paris avec comme thème : quels impacts sur le vignoble français ; quelles adaptations possibles. Participaient à cette conférence Hervé Hannin de Montpellier Supagro, Jean-Marc Touzard de l‘INRA côté scientifiques, Bruno Locquet de L’AOC Languedoc, Dominique Girault du Domaine des Caillots et justement la personne qui nous intéresse : Pierre Philippe des Vignerons de Buzet, côté producteurs. En marge de propos assez prudents et de termes très mesurés au regard d'une catastrophe planétaire annoncée, nous avons eu envie d’approfondir le point de vue d’un personnage qui compte dans la profession et qui est connu pour ne pas garder sa langue dans sa poche. Quitte à déranger.
le changement climatique un problème de maths ?
Le réchauffement d’1,5°C/2°C annoncé par le GIEC ? Même eux ils n’y croient plus ! Pour Pierre Philippe, il y a une erreur d’analyse à la base : on s’est trompé sur la nature de la courbe du réchauffement. On a pensé qu’on était sur une évolution linéaire du système et qu’on allait pouvoir s’acclimater au fil de l’eau. Mais en fait on est sur une exponentielle. Effectivement ça a démarré lentement mais là c’est en train d’accélérer !
Du coup la difficulté c’est de raisonner sur une échelle de temps qui se réduit sans cesse : je ne peux pas changer le vignoble en un claquement de doigts dans sa conduite en terme de hauteur, dans son choix de cépages, de porte greffe, voire même dans certaines pratiques culturales puis qu’elles sont inscrites au cahier des charges de l’ODG. Tout ça ce n’est pas immédiat.
vers la révolution agricole ?
La préoccupation de Pierre Philippe, aujourd’hui, est autant sociale qu’économique et technique : comment faire pour résister et continuer à pratiquer la viticulture. Très clairement si, en 2030, il fait 41 degrés à Buzet, le merlot et le cabernet sauvignon ça va être compliqué…
On se retrouve pris dans un effet de tenailles entre un matériel végétal assez ancien qui produit ce qu’on lui a demandé -du sucre beaucoup trop- et une réadaptation du vignoble qui doit aussi subir les affres de l’Esca ou de l’Eutypiose ainsi que les contraintes climatiques océaniques avec des champignons etc.
Allez dire au vigneron en plus il va falloir que tu changes tout voire même que tu abandonnes ton métier…
le vignoble New Age
Alors comment assurer une transition qui va permettre d’amortir le choc du changement climatique et de maintenir la viticulture sur ce territoire sans passer des années à reconstituer un vignoble ?
Vous l’aurez compris, les Vignerons de Buzet ne sont pas du genre à attendre qu’on leur apporte LA solution. On s’est fait peur, on a imaginé le scénario de la catastrophe : il fait chaud, l’eau manque donc on ne peut pas irriguer, le personnel manque –car il y a un autre problème c’est que le personnel ne veut plus aller travailler dans les vignes, pas que pour des problèmes de chaleurs mais aussi de froid, les maladies, le fait que la société ne veut plus d’intrants dans les vignes…
Avec les moyens dont on dispose aujourd’hui, avec la science, comment on peut répondre à ce scénario catastrophe ? On s’est doté d’un outil : on est en train de planter un vignoble New Age. Un prototype en quelque sorte qui intègre des solutions comme la plantation de cépages méditerranéens et de nouveaux porte-greffes.
la maison brule
Mais il fallait aussi répondre à l’urgence qui est déjà là avec la mise en place de solutions plus immédiates pour répondre dès maintenant aux premiers effets de ce réchauffement climatique. Elles reposent sur deux leviers : le couvert végétal et l’agroforesterie.
Pierre Philippe : sur le premier levier on a à peu près 80% de notre surface qui est plantée avec des féveroles, de l’orge de façon à faire un paillage qui permet de garder au mieux la fraicheur des sols dans les moments les plus critiques.
Et pour le deuxième levier ? tout ce qui est en lien avec l’agroforesterie. Nous on a pas mal de bois, on a d’ailleurs pensé les irriguer dans un premier temps ça permet quand on est dans l’air dominant de pouvoir rafraichir les parcelles de vignes derrière.
Beaucoup de mes vignerons sont polyculteurs. On essaye de les conseiller aussi sur la continuité des cultures.
la solidarité par les pieds
Mais là où la démarche des Vignerons de Buzet est plus originale, c’est sur leur vision en profondeur de l’agroforesterie à partir des recherches menées par M.A. Selosse professeur au Museum National d’Histoire Naturelle sur la collaboration entre les racines des arbres et celles de la vigne : Elles vont chercher de l’eau dans des horizons beaucoup plus profonds que celles de la vigne. L’idée serait de mettre des trognes dans l’axe des rangs afin de favoriser la collaboration dans le sous-sol.
C’est une hypothèse de travail qui est disruptive, mais qui est adaptable rapidement…Mais là je n’en suis qu’au stade de l’intuition éclairée, je n’ai aucun chiffre à donner !
faire bouger les lignes
Au fond ce qu’on ressent au contact de Pierre Philippe c’est surtout une grande impatience face à une inertie collective où chacun aurait tendance à attendre que ce soit le voisin qui commence. Nous on joue les trublions dans cette histoire. Et puis au bout d’un moment les voisins se disent, tiens il parle comme ça et puis il a l’air d’être entendu, tiens il y a Michel Edouard Leclerc qui vient visiter ses vignes, tiens il y a Carrefour qui lui remet un trophée…
une position privilégiée
Oui j’ai la parole libre, en effet en tant que directeur. Les présidents de coopératives sont extrêmement prudents parce qu’ils sont élus, ils ne peuvent pas vraiment déranger.
Moi j’ai l’avantage d’être un directeur salarié et quand j’ai pris cette entreprise en 2007, elle allait très mal et je l’ai sauvée. Aujourd’hui elle va bien, j’ai ce crédit là.
D’accord je les embête des fois mais au bout d’un moment ils finissent par dire « il nous a emmerdés mais il avait raison quand même ! »
C’est comme ça que ça marche.
François
Photos : ©Vignerons de Buzet