A l’heure européenne, les normes se durcissent… On entend parler de nutri-scores, de labels, d’éventuellement lister les ingrédients… mais personne n’aborde réellement la base : la plante qui nous fournit le fruit de notre consommation.
Derrière l’étiquette, quel plant de vigne ?
Retour en Alsace, une des régions viticoles les plus « bio » de France…
Cette fois-ci, ne parlons plus vin, ne parlons plus bouteille ou étiquette…
Avant le vin, il y a le raisin, et avant le raisin, il y a la plante… Peu de personnes considèrent avec importance cette partie : choisir ses pieds de vigne…
L’heure est à la mode de l’art de la dégustation avec la pléthore d’offres d’initiations et de perfectionnement disponibles sur le marché.
Le business de la pépinière
Et pourtant, le choix du pied de vigne est vital et sera facteur de réussite et de qualité pour votre futur vin. Si vous avez lu le livre co-écrit par Laure Gasparotto et Lilian Bérillon, vous comprendrez à quel point le métier de pépiniériste est devenu industriel au XXème siècle !
Tout ça à cause d’un foutu puceron, toujours le même… ce célèbre indésirable phylloxéra ! Jusque la moitié du XIXème siècle, les vignerons reproduisaient eux-mêmes leurs plants de vignes dans leurs propres parcelles.
Pas besoin de porte-greffe, les vignes se développaient au sein des parcelles au moyen de techniques anciennes comme par exemple le marcottage : technique qui consiste à sélectionner un sarment encore solidaire d’une vigne et de le planter sous terre pour qu’il développe de nouvelles racines, soit un système de multiplication de racines par rhizogenèse.
Mais face à cette crise et ce risque sanitaire trop élevé de perdre les vignes, il a fallu réagir et les vignerons ont perdu la main.
Lilian Berillon raconte d’ailleurs dans son livre comment il n’arrivait plus à se regarder dans le miroir, constatant l’évolution du métier de pépiniériste devenu industriel, toujours en quête de profit.
Sur le même sujet : Le jour où il n’y aura plus de vin
Les pépiniéristes leur balançaient des messages d’alerte tels que « ne reproduisez surtout pas vos plants vous-mêmes, nous vous proposons des plants greffés en toute sécurité. » Selon cet ancien pépiniériste, Lilian Bérillon, la vigne dépérit chaque année, réduisant peu à peu la diversité génétique.
Nous vivons dans un monde où l’uniformité est le maître mot : tout doit être parfait et identique. Pas de place à l’unicité. Aimeriez-vous vivre dans un monde où tout le monde vous ressemble ? Où tout le monde aime manger et boire exactement la même chose que vous ? D’un monde où la grande distribution nous sert d’un magasin du nord de la France à celui du sud exactement les mêmes produits, oubliant bien trop souvent les typicités locales.
au secours de la diversité
Si des milliers de cépages de raisins existent aujourd’hui, c’est bien parce qu’il y a eu cette évolution génétique naturelle des plantes, fruits du transport, d’évolution des terroirs, d’adaptation aux sols, aux climats…
Heureusement pour nous, il existe encore des artisans discrets mais passionnés défendant ces principes. Bienvenue au cœur de la pépinière familiale Hebinger à Eguishem. La visite démarre avec Christophe, dans sa 53e année de production. Chaque année, l’équipe produit 2 millions de plants de vignes destinés à toutes les régions de France. C’est une équipe de 40 personnes réunie par passion dans un des plus beaux villages viticoles alsaciens.
des plants sur mesure
Aujourd’hui, le marché est essentiellement français, un choix volontaire de se recentrer sur un volume plus raisonné et surtout qualitatif, après quelques années d’expérience à l’international, dans les pays de l’est et des marchés d’investisseurs. Christophe a pris conscience que l’industrie de volume n’était pas leur cœur de produit mais que leur spécialité est bel et bien le « sur mesure », par respect et par amour pour la plante. Il s’est recentré sur son souhait le plus cher de la quête du plant de vigne idéal, une philosophie reflétant d’ailleurs les orientations que prend la viticulture. Mon souhait le plus cher est : « la sauvegarde de la diversité ! » nous révèle Christophe lors de la visite.
En effet, selon ses propos, 95% des plantations aujourd’hui sont issues de clones, une pure création par l’Homme et notamment le monde pépiniériste, par peur que les vignerons se mettent à reproduire eux-mêmes leurs plants. Dès les années 1980, pour contribuer à l’industrie « pépiniériste », cette peur a trouvé réponse en véhiculant des messages sanitaires concernant les risques possibles pour les plants de vignes (risque de faible résistance au phylloxéra, risque de maladies…).
Sur le même sujet : Vignes malades : à qui la faute ?
C’est ainsi que les premiers clones arrivent pour répondre à cette peur sanitaire. Pourtant, jusque 1974, c’était de la sélection massale qui prédominait sur le marché et c’est en cette année que le premier clonage était officiel.
des vins plus dilués
Dès les années 1985, la plupart des plants en viticulture sont constitués de clones : nous assistons à un basculement du système massal à un système clonal. C’est une époque où tout le vignoble alsacien connait un seul type de clone de Riesling, deux types de Gewurztraminer, un type de Sylvaner…!
Pour complanter ou planter une nouvelle parcelle, les vignerons utilisent uniquement les clones.
Entre 1986 et 1987, des vignerons ayant planté des clones reviennent à la pépinière familiale et constatent des vins plus dilués. Ces derniers veulent revenir en arrière pour retrouver le goût du « vrai ». C’est à ce moment que l’Inra (aujourd’hui INRAE, institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) s’intéresse aussi à ce changement et à cette notion de diversité.
des mutations naturelles
Certains cépages ont tendance à développer moins de diversité génétique, comme le gewurztraminer par exemple. Mais, il faut avouer que cette diversité réduite est aussi due au volume de clones produits. Pour cela, les pépiniéristes en sont aussi responsables. Marquer les vignes, chaque pied, chaque greffon prenait du temps et donc de l’argent. De plus, cela encourrait le risque d’obtenir un profil de plant qui déplait au viticulteur. Les clones constituent une solution plus facile et économique !
Il y a un rapport certain entre la vigueur du pied et la taille du raisin. Les types de porte greffe peuvent aider à gérer cette vigueur. Ainsi, Christophe veille à une sélection dans la vieille vigne et l’implante dans un terroir. Puis, il va créer une parcelle conservatoire. Cela permet un rééquilibrage des vigueurs. Bien entendu, il réalise encore 20% de clones pour trouver un équilibre financier à son entreprise (malheureusement, l’existence d’une aide européenne pour la plantation de clones incite à ce type de reproduction de plants).
la sélection massale sur le podium
Christophe rappelle l’importance de la sélection de parcelles pour créer un conservatoire que plusieurs générations pourront exploiter : « On propose que quelques rares clones alors que les parasites continuent d’évoluer sur la plante et de se propager… ».
Quid de l’avenir ? Dernièrement, il a réalisé avec des vignerons des tests comparatifs par la dégustation de vins issus de sélection massale et d’autres de clones : c’est la sélection massale qui remporte la dégustation sur la qualité des vins parmi ce panel de 20 dégustateurs vignerons.
des virus vaccins ?
Les pieds sauvegardés seront ceux qui résistent mieux aux virus dans le futur. Aujourd’hui, 70 virus ont été identifiés dans les pieds de vignes sans compter les inconnus encore en cours d’exploration. « Pourtant, les pieds les plus qualitatifs sont ceux avec virus… ! » nous dit Christophe en faisant la comparaison avec nous, humains, qui résistons mieux lorsqu’on a déjà été porteur d’une maladie. Paradoxalement, les institutions déconseillent la reproduction sur pieds n’ayant pas passé le test de virus : y’aurait-il là le risque de perdre des pieds qualitatifs à long terme ?
Poursuivant sa quête de qualité, Christophe travaille en étroite collaboration avec des vignerons passionnés qui sélectionnent leurs meilleurs pieds et procèdent ensuite au greffage. Il a d’ailleurs inventé une pratique dite F2, une exclusivité de greffage pour laquelle la surface de greffe est plus importante et ne favorise pas une zone par rapport à l’autre.
Audrey
Photo à la Une : ©Maylis Ghorra extrait du reportage Du chardonnay à Giverny