Rebondir face à l’arrachage

Voici une histoire démontrant notre capacité à rebondir en situation de crise : vive la résilience ! Car, c’est en cette période que l’on peut être surpris par notre capacité à réagir et être créatif.

Michel Vidal est viticulteur en Charente dans un des six crus de l’appellation Cognac : les Borderies. Il est né ici sur ces terres dans cette petite maison en pierre blanche, le célèbre calcaire du terroir cognaçais (bon sur les Borderies, le sol est plutôt argileux à silex).

En 1986, c’est la crise du Cognac sur les marchés et on propose aux viticulteurs des campagnes d’arrachage des vignes, comme celles dont on entend parler actuellement sur le vignoble voisin du bordelais. Michel Vidal se lance dans une idée folle…Il arrache son vignoble et plante 3000 noyers sur 20 hectares. Pourtant, il faut attendre 10 ans pour qu’un noyer produise… Ainsi, naît la Noyeraie des Borderies !

Aujourd’hui, les équipes taillent une fois par an les arbres, qui préfèrent les sols argileux et ont besoin de beaucoup d’eau, d’où une irrigation au tuyau relié à chaque arbre. Les noyers produisent jusqu’à leur 70 ans, avec quelques risques parfois de maladie, notamment les mouches du brou. C’est pourquoi on peut voir des plaquettes de phéromones pour combattre les mouches.

Les noix sont récoltées en octobre pendant 3 à 4 semaines. Côté production, après récolte, elles passent sur tapis roulant avec de l’eau pour être nettoyées. Puis, elles seront séchées pendant 24 heures. Le domaine, on peut le dire, produit 30 à 60 tonnes de noix par an.

Direction la vieille bâtisse charentaise où les équipes utilisent une table de tri à la main pour sélectionner les meilleures. Puis, une calibreuse permet de différencier les cerneaux selon les demandes des clients comme les boulangers qui souhaitent les cerneaux entiers pour leurs créations par exemple tandis que d’autres professionnels de la restauration préfèreront de plus petits formats.

D’autres noix sont séchées de l’autre côté de l’atelier pendant une heure à 50 degrés au séchoir. Le saviez-vous ? Pour 1 litre d’huile, il faut 1 kilogramme de noix !

Et ainsi, toute une gamme de produits peut être proposée à la boutique : de l’huile de noix, de la moutarde à la noix, des sablés sucrés et salés à la noix, des noix, des confitures…

Des noix mais pas que…

Savoir rebondir en période de crise et se diversifier, voilà une belle leçon de cette famille de viticulteurs à l’origine ! Et ici dans la région, il y en a eu des idées de diversification : Merlet a lancé la liqueur de cassis, tandis que d’autres ont planté des truffières… en période de campagnes d’arrachage de vignes.

Pour l’entreprise Merlet, aujourd’hui, le Cognac représente un tiers de l’activité, car elle produit aussi du vin, des liqueurs, et d’autres spiritueux.

En 1975, l’entreprise fait aussi face à cette crise majeure dans le monde du Cognac et opte pour la diversification en se positionnant sur les marchés du vin, des spiritueux, et notamment les liqueurs, en développant la culture du cassis, entrainant à sa suite d’autres viticulteurs, avec la reconnaissance par l’INAO d’une Indication Géographique (IG) cassis de Saintonge en 2015, après trente ans d’existence !

Et oui, la région des Charentes offre un climat doux, apportant un caractère unique aux fruits cultivés dans la région.

des crises en veux tu en voilà

La vie de vigneron n’est pas un long fleuve tranquille. Nous le constatons au quotidien au fil des saisons et les millésimes des vins sont bien là pour nous rappeler pourquoi ce métier nécessite une bonne résilience face aux surprises de dame nature : un beau millésime n’est jamais certain et se voit parfois suivi d’années médiocres ou… l’inverse ! Pour causes ? des aléas climatiques de plus en plus marqués : épisodes de grêle, de gel, pluies diluviennes suivies d’une canicule, maladies ravageuses…

Cette année encore, le vignoble de Bordeaux a souffert terriblement du mildiou avec des grappes totalement ravagées par le champignon se développant de manière exponentielle sous ce climat tropical de l’été.  De l’autre côté de la France, fin juillet, le sud de la Côte d’or en Bourgogne ou encore l’Ardèche ont subi des grêles violentes endommageant en l’espace de quelques minutes les belles grappes qui s’apprêtaient à offrir un beau millésime. Quelques minutes suffisent pour détruire une récolte, préparée depuis un an par vignerons et vigneronnes qui misent ces 12 mois de travail acharné pour une cuvée espérée, imaginée mais aussi appréhendée.

Il y a les aléas climatiques mais il y a aussi d’autres critères que les vignerons doivent prendre en compte dans leur métier : les rendements de récolte « dictés » par les interprofessions, calculés en fonction des besoins des marchés. Les consommations évoluent et parfois, certaines régions viticoles doivent faire face à des demandes en baisse, entrainant tout un secteur dans une crise.

Cognac pas épargné

Le vignoble de Cognac (et oui, le Cognac est bien produit à base de raisin, l’ugni blanc et d’ailleurs, l’appellation Cognac est le plus grand vignoble de raisin blanc de France !), a connu la terrible crise des années 1990 avec la chute du marché japonais, qui jusque-là était un grand consommateur de Cognac. En cause, l’affalement des prix, entrainant le blocus de 1998.

Une ville de Cognac devenue presque à feu et à sang : à cette époque, plus de 400 viticulteurs en colère avaient ceinturé la ville avec près d’une trentaine de barrages, témoin d’une manifestation assez violente. C’est une grande crise que la région charentaise n’a pas oubliée et redoute à chaque instant, à chaque signe précurseur d’une crise potentielle.

Cette crise de l’époque était tant conjoncturelle que structurelle, liée à une capacité de surproduction chronique. C’est toujours ces enjeux d’offres et de demandes qui perturbent les marchés : que faire quand le consommateur n’est plus là ?

Cette année encore, l’agence parisienne Sowine a publié des chiffres effrayants pour le monde viticole : pour la première fois, la consommation de bière devance celle du vin tandis que celle du vin rouge est en chute libre !

Dans les années 1990, c’est une crise profonde de surproduction qui touche l’ensemble de l’Europe. Mais pas que… aux Etats-Unis, marché numéro un de Cognac, les campagnes anti-alcool et ultra protectionnistes invitent à prospecter d’autres marchés, comme l’Asie et notamment le Japon. Sauf que quelques années plus tard, le Japon connait également une crise économique, voilà un marché nouveau qui s’effondre.

Bordeaux encore moins

C’est aussi ce qu’il se passe lorsqu’on mise sur un marché : des stocks qui s’accumulent face à des ventes en arrêt ! Alors que la production continue d’augmenter, les ventes chutent de leur côté. Cela nous fait étrangement penser à ce que vit le vignoble de Bordeaux actuellement. Le consommateur boude la région, une image de produit est à revoir et c’est déjà le cas avec des néo-vignerons. Changer une image auprès du consommateur prend des années…

Comme l’année 1976 à Cognac, une campagne d’arrachage débute à Bordeaux. Assortie de primes, celle-ci incite à la reconversion.

Ainsi, on peut lire cette année dans La tribune en avril dernier, que des vignerons troquent leurs vignes contre des oliviers, une réponse à la surproduction que connait le Bordelais. A Courpiac en Gironde, dans l’Entre-deux-mers, et entre deux rangs de cabernet sauvignon, ce sont des plants d’oliviers qui prennent racines, une solution pour diversifier les sources de revenus.

Le Conseil Interprofessionnel du vin de Bordeaux a validé un plan d’arrachage de milliers d’hectares de vignes. Des vignerons se mettent ainsi à planter des vergers ou encore des oliviers, toujours dans cet objectif d’être moins dépendants d’un marché.

Audrey

Image à la Une : crédit Aquitaine Viti Services

Ecrit par Audrey DELBARRE
--------------------------------------------------------------- Passionnée par l’écriture, Audrey est une amatrice de vin joviale et enthousiaste, guidée par la richesse du contact humain ! C’est à l’Académie du vin du Cap en Afrique du Sud qu’elle affine ses connaissances dans les vins puis développe son inspiration à partir de ses rencontres et voyages dans les vignobles du monde.... Titulaire du diplôme WSET 3, elle se consacre à l’organisation de séminaires et formations sur le développement des sens et des émotions grâce à l'œnologie.
Catégories : le métier

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