Le cliché un peu « suisse » d’un panorama de moyenne montagne, avec ses vaches paissant sur l’alpage parsemé de chalets devant une futaie d’épicéas et au loin les sommets enneigés n’a rien perdu de son attrait. Rajoutez-y sur le côté un vignoble bien enherbé avec quelquefois le vigneron au prise avec son cheval de trait, vous avez là l’image moderne et désirable de la moyenne montagne, comme en rêve le citadin épris d’un environnement préservé.
L’article « Savoie, l’avenir des vins de montagne » publié au printemps dernier par Génération Vignerons donnait le ton de l’énergie montagnarde de ces vignerons-vigneronnes héroïques qui relèvent sans cesse l’épuisant défi des fortes pentes.
Au-delà du cliché, il se pourrait que la science vienne au secours de cette tendance comme l’expriment les auteurs du livre « Quel vin pour demain ?, le vin face aux défis climatiques » (2024, Dunod Poche) Jérémy Cukierman Master of Wine, Hervé Quénol, climatologue, directeur de recherche au CNRS et Michelle Bouffard, sommelière, consultante et journaliste.
Un livre éclairé pour aider à motiver les changements sans pour autant céder au catastrophisme paralysant commente Pascaline Lepeltier, Meilleur Sommelier de France.
DÉPLACEMENT EN ALTITUDE
Le chapitre : « vers une nouvelle géographie viticole » atteste que le mouvement de migration des vignobles vers le nord est largement entamé, de même que le déplacement altitudinal. «..sachant qu’en théorie, la température moyenne diminue de 0,65°C tous les 100 mètres ». Tout est dit, les vignobles alpins connaissent des températures moyennes de 4 ou 5°C inférieures aux vignobles de plaine sans parler de l’amplitude thermique très favorable à la bonne maturité de la vigne.
Petite recherche sur les vignes poussant à plus de 1000 mètres. Dans un récent article publié par la RVF, le même Jérémy Cukierman MW nous cite le vignoble suisse de Visperterminen (1150m), l’Etna, Chypre, Ténérife, le Mont Pico sur des sols volcaniques et bien sûr l’Argentine avec le vignoble Bodega Colomé, province de Salta, à 3111m aujourd’hui battu par des vignes plantées au Tibet à plus de 3500m.
Il passe sous silence les blancs de Morgex et De La Salle en Val d’Aoste de longue tradition où les vignes souvent non greffées du cépage prié blanc sont parfois cultivées au-delà de 1000 mètres. Les vignobles de Savoie et de Haute-Savoie ne parviennent pas à atteindre cette altitude, à la différence du vignoble des Hautes-Alpes.
LA DURANCE SI GÉNÉREUSE
La découverte des Hautes-Alpes passe par la remontée du cours de la Durance, comme un salmonidé. Cette rivière se jette dans le Rhône en dessous d’Avignon après un parcours parfois chaotique de 305 km depuis sa source près de Montgenèvre à 2390 m d’altitude. La Durance est loin d’avoir la beauté fougueuse du Rhône.
La perception habituelle est plutôt celle d’un lit de galets gris d’où s’écoulent quelques filets d’eau verte zigzagant.
Merci à la Durance qui donne toute son eau, ou presque, à l’hydro-électricité et aux canaux d’irrigation de la plaine provençale.
Notre ami rédacteur Christophe Bondu a exploré les vignobles de la Moyenne Durance dans l’article Pierrevert, l’appellation cachée en remontant le « sublime » département des Alpes de Haute-Provence doté de vignes perchées entre 400 et 600 mètres.
Il nous reste à découvrir la Haute Durance : Sisteron (500m) ses fortifications Vauban, son piton rocheux et son fameux pont romain. Plus haut, l’immense lac (artificiel) de Serre-Ponçon, paradis des sports nautiques qui accueille 2 millions de visiteurs/an. Et juste en amont Embrun (870 m) surnommée « la Nice des Alpes » connue pour ses 3000h d’ensoleillement en moyenne annuelle et ….ses 1000mm de pluie, comme à Nice !
LES VIGNES DE L’EMBRUNAIS
France 3 Provence-Alpes-Côte-d’Azur annonce fièrement la couleur : Les Hautes-Alpes nouvel eldorado du vin français ? Voilà une question qui ne peut qu’exciter notre curiosité et donner l’envie d’en savoir plus. A la différence d’autres micro appellations, l’information est ici très accessible. Le vignoble haut-alpin, « micro vignoble d’exception » s’étend sur 130 hectares et compte une douzaine de domaines et une cave coopérative comme le précise le site Vins des Hautes Alpes IGP très documenté. On ne peut s’empêcher de penser que l’absence d’une AOP a certainement simplifié la vie des vignerons qui disposent d’une plus grande liberté dans le choix des cépages et des assemblages.
Zoom sur les quatre vignobles plantés sur les coteaux de la Durance, juste au-dessus d’Embrun dont l’altitude tutoie les mille mètres et qui se situent dans l’espace ou en bordure du Parc national des Écrins.
C’est Lucky le propriétaire de la Cave La Tonnelle, une institution à Embrun, qui m’apporte un éclairage sur cette communauté vigneronne. C’est une curiosité, ici, on a les vignes les plus hautes de France. Après, les clients goûtent et ils y reviennent souvent parce que les vignerons font quand même de belles choses. Attendez ! Si vous saviez les piquettes qu’on faisait ici il y a 30 ans.
JOFFREY, FILS DE PIONNIER
Joffrey Martin assure la continuité des générations en ayant repris en 2009 le domaine créé par son père et son oncle à Châteauroux-les-Alpes.
Les frères Martin furent les pionniers du renouveau de la viticulture du coin dans les années 80 avec l’aide du Parc national des Écrins. Joffrey « apporte un œil nouveau et expérimenté pour l’agrandissement et la modernisation du domaine ».
Il travaille notamment le Müller-Thurgau, un cépage blanc, bien acide, habituel en Valais suisse ou en Haute-Adige. Son pinot noir est régulièrement en rupture chez nous, me dit le caviste, normal, il goute bien!
L’ADRET, L’UBAC, L’EMBRUN DES CIMES
Angela et Maxime, après des études de management puis d’écologie se sont reconvertis dans la viticulture « pour le respect du vivant et l’amour du goût ». Après une première installation dans le Gard, ils choisissent en 2020 le massif de l’Embrunais pour y créer un domaine : les Raisins Suspendus, à partir de friches centenaires et de parcelles souvent laissées à l’abandon.
Nous avions hâte d’explorer ensemble le terroir haut-alpin et de le faire parler par le vin. Ces vignes complantées sont situés sur de magnifiques sols calcaires limoneux et alluviaux. Étendu à 3ha, le domaine bio s’agrandit avec la plantation de plusieurs cépages d’origine alpine comme la mondeuse blanche et le persan.
Et bien sûr le mollard, le cépage emblématique des Hautes-Alpes. Les premiers millésimes sont déjà disponibles, notamment l’Embrun des Cimes 2023 un rouge de montagne vif, gourmand et légèrement épicé titrant 11,5°vol. « une micro-cuvée de très vieilles vignes complantées de 32 cépages ».
JUSQU’EN CALIFORNIE !
Mickaël Olivon, nantais d’origine se présente comme « un vigneron de montagne » convaincu que la haute vallée de la Durance possède toutes les caractéristiques climatiques pour produire des vins de qualité. Je pose mes valises en 2017 entre Briançon et Embrun, récupère 2,5ha de terres louées et en 2019 je récolte mon premier millésime.
Le Domaine des Hauts Lieux a ainsi vu le jour avec la reprise partielle d’ une exploitation. Poète à ses heures, c’est-à-dire presque tout le temps, Mickaël signe une cuvée Hors-Piste, Mollard and Co en IGP : « Mollard ! c’est notre montagnard. Hors-Piste il se régale, gourmand comme une gamelle dans la poudre. Levures indigènes et forcément non filtré : qui a vu des chasse-neiges dans les forêts ? »
Par quel effet du hasard ce vin se retrouve-t-il en vente chez un prestigieux caviste californien : Kermit Lynch Wine Merchand à Berkeley ? Une maison fondée par Kermit Lynch, amoureux des vins français et auteur du best-seller «Mes aventures sur la route du vin » (Payot 1988) préfacé par Jim Harrison.
Va-t-il nous écrire quelque chose sur la route du vin des Hautes-Alpes ?
COUP DE CŒUR DU GUIDE HACHETTE
Protégés par la masse imposante du Mont-Guillaume (2542m) qui surplombe le lac de Serre-Ponçon, Delphine et Emmanuel Berteloot ont trouvé l’endroit ad-hoc pour installer leur cave à 900 m d’altitude, baptisée naturellement Domaine du Mont-Guillaume.
Bourguignon d’origine, lui qui a longtemps travaillé dans le monde du vin, a fait en 2016 le pari audacieux de réhabiliter le vignoble embrunais et de faire découvrir aux visiteurs les trésors de cette magnifique région. La vigne s’étend aujourd’hui sur 8ha de parcelles éparpillées en cépages souvent complantés.
Dans un podcast de l’Avinture, caviste à Beaune, Emmanuel s’exprime librement sur son aventure vigneronne : on a décidé de relancer ce vignoble, le plus haut de France, planté à l’origine par les évêques et les moines, évidemment en bio. Avec l’altitude on est plutôt à l’abri des maladies et on obtient des vins plus frais qui échappent à la montée des degrés d’alcool….Oui, le travail à la vigne est très difficile, tenez, on est obligé de mettre des filets, les oiseaux d’ici sont très gourmands ! A la cave, il y a bien sûr du fût bourguignon, c’est ma culture.
Ils sont fiers de leurs vins locaux à l’image des gens d’ici, de la nature et du climat, comme son Altitude 880 un IGP d’assemblage cabernet, mollard, gamay et syrah. La bonne nouvelle de l’année, c’est le Coup de Cœur 2 étoiles décerné par le guide Hachette 2025 pour sa syrah d’altitude « Entre lac et montagnes » 2023. Un vin déjà repéré par les sommeliers et par la marque Esprit Parc national. Une marque collective, trop méconnue qui fédère les activités économiques et touristiques respectueuses des chartes environnementales dans les onze Parcs nationaux de France.
QUEL VIN POUR DEMAIN ?
Cette poignée de vignerons, à laquelle s’ajoutent bien sûr le Domaine Allemand et ceux situés proche de Tallard, en aval du lac, est animée par une force mystérieuse qui s’appelait chez les premiers chrétiens la foi- celle qui transporte les montagnes. Pas de petits calculs, pas de gadgets inutiles, non, l’amour de la nature, du partage avec l’agriculture locale, du travail, encore et toujours. Avec une certitude chevillée au corps, celle que l’altitude est une barrière contre le dépérissement de la vigne.
Ils rejoignent une conclusion du livre Quel Vin Pour Demain ? Lorsque Les auteurs posent la question fondamentale : comment la vigne et le vin répondent-ils à l’évolution du climat ? « …Une avancée des stades phénologiques et une évolution significative de la composition des raisins correspondant à une augmentation de la teneur en sucre et du degré d’alcool, et une diminution de l’acidité dans les baies. » Glaçant.
Jean-Philippe
Image à la Une : Alpaddiction.com