Laura la jeune vigneronne saisit un grain de pinot noir, le porta à sa bouche en affichant un large sourire où je pouvais voir un pépin coincé entre ses dents : c’est mûr, le pépin doit être croquant sous la dent.
Méthode ancestrale pour déterminer la maturité optimale des raisins et par conséquent la date des vendanges, rarement contredite par les mesures effectuées au réfractomètre. Ce germe de vigne n’a plus d’usage pour la reproduction de vitis vinifera. On ne reproduit plus la vigne en plantant un grain en terre ; trop long, trop aléatoire. Les vignerons mettent en terre les clones des plants greffés. En 3 ans ils donneront leur première vendange.
S’INTÉRESSER AU MARC
Le pépin ne va pas se dissoudre lors de la fermentation du raisin, il restera bien ferme et constituera un part importante du marc, avec les peaux, les pédoncules et les bouts de rafles.
Le marc, voilà un mot qui évoque bien des histoires de comptoir : Y’reprendra ben une ti’te goutte de marc ! Comme dit Jean Gabin à Jean Paul Belmondo dans un Singe en Hiver.
Il s’agit là d’une eau-de-vie produite par distillation du marc de raisin que l’on trouve dans de nombreuses régions notamment en Bourgogne.
Le marc de raisin est constitué des résidus secs obtenus après pressurage et foulage, auxquelles s’ajoutent les bourbes et les lies de vins (levures mortes). Il se présente sous forme de galettes jaunes violettes, très odorantes qui émanent des vapeurs d’alcool dues à la fermentation toujours active. D’ailleurs vous ajoutez de l’eau et du sucre au marc de raisin et vous obtenez….de la piquette !
Longtemps stockés en tas à l’extérieur des domaines viticoles en attendant d’être embarqué par le distillateur, le marc occupe un gros volume pouvant peser plusieurs dizaines de tonnes. Ce sous-produit de l’activité viticole longtemps délaissé pour être simplement envoyé à la distillation, recyclé en compost ou épandu dans les vignes, recèle des trésors de santé mis au jour par les chercheurs de la cosmétologie et de la pharmacie.
A ne pas confondre avec la vinothérapie qui propose des soins à base de raisin non fermenté. Le château Smith Haut-Laffite, le pionnier, a largement diffusé ces savoirs avec sa marque Caudalie et ses fameux spas régénérateurs et antivieillissement.
QUE DEVIENT LE pépin ?
En balade dans les vignes de la Côte de Nuits, je me dis qu’un pépin de pinot noir ici, doit valoir beaucoup plus cher qu’un pépin d’un « vulgaire » carignan languedocien. En posant la question, je déclenche l’hilarité générale. Il est un peu givré, le citadin !
Ou peut-être trop en avance, car il y a des signaux faibles qui flèchent déjà la mise en valeur de l’huile de pépins de raisin. Bientôt l’huile miracle pour votre santé et votre beauté ?
FAIRE DE L’HUILE AVEC LES PÉPINS
Ce petit bout dur qui parvient à se loger entre les dents contient effectivement quelques milligrammes de lipide qu’il faudra isoler, triturer, clarifier, raffiner si on veut en faire quelque chose.
Et le travail ne manque pas quand on sait qu’il faut 7 kg de pépins, soit environ 600 kg de raisins pour produire un litre d’huile. Le raisin ayant déjà été amorti par la production du vin, le coût de la matière première « pépin » est du coup négligeable.
presser le pépin
Pour comprendre le voyage du pépin jusqu’à votre bouteille d’huile, il y a un acteur incontournable : l’Union des Distilleries de Méditerranée UDM, un groupe coopératif centenaire, premier distillateur français (50M€ de CA) dont l’activité est boostée par la production du bioéthanol qui entre dans le composition du carburant ED95, un carburant « presque 100% vert » pour les bus et camions.
UDM dispose de centres de traitement-distillation répartis dans les vignobles.
Ils récupèrent les marcs dans les domaines viticoles et coopératives et s’occupent de tout. Un peu comme le brocanteur qui vous « débarrasse » de vos vieux objets.
Même s’ils n’aiment pas être appelés recycleurs, ils jouent un rôle essentiel dans l’économie circulaire. Rien de se perd, rien ne se crée, tout se transforme, disait le chimiste Lavoisier.
Mon pépin avec ses millions de congénères va devoir être séparé des autres composants du marc. La distillerie Baron dans le vignoble nantais s’en est fait une spécialité. Ne me demandez pas comment on fait, c’est un secret de fabrication, me dit madame Baron, la fondatrice. Ces petits pépins bien propres sont vendus aux industriels pour l’extraction de l’huile et des polyphénols très recherchés.
COMMENT EXTRAIRE L’HUILE ?
Depuis l’antiquité on connaît les vertus de cette huile de pépins de raisin, tant en huile de massage, émolliente, nourrissante, anti-âge, qu’en huile alimentaire avec son point de fumée élevé. Vous prenez un marteau avec lequel vous écrasez le pépin et récoltez la mini-gouttelette d’huile produite. Aujourd’hui il n’existe plus de moulins à huile écrasant les pépins de manière naturelle. Le procédé qui s’est imposé relève de la chimie lourde, à base de solvants. La société Provence Huiles en est le principal producteur. Cette vidéo, de Provence huiles pleine de poésie vous met l’huile à la bouche, sauf qu’il y a un hic.
PAS TRÈS BIO, CETTE HUILE
Les industriels se frottent les mains, l’huile végétale de pépins de raisin à la cote en ce moment. En plus de ses vertus- réelles ou supposées- en matière de cosmétique naturelle, c’est surtout en nutrition qu’elle est jugée très prometteuse. Peu grasse, elle peut être chauffée sans dommage et son goût neutre la marie avec la plupart des accompagnements. Et surtout, elle contient un taux non négligeable de resvératrol aux vertus antioxydantes et anti-inflammatoires. Les exportations grimpent en flèche depuis une dizaine d’années vers le Japon et les USA ; évidemment les fraudes apparaissent comme le mélange avec l’huile de tournesol, trois fois moins cher à produire.
La gamme de prix commence à 5,45€ le litre chez Carrefour d’origine imprécise et au Nutri-Score détestable. Le prix moyen s’établi à 10-15€ les 50cl chez les huileries haut de gamme, comme La Tourangelle, Émile Noël, Richard, ou Jules Brochenin en Vaucluse.
Avez-vous de l’huile de pépins de raisin bio ? On fait mine de ne pas avoir compris la question en vous répondant que l’huile est 100% naturelle, parfaitement végétale, parfois vierge. On oublie le « bio », impossible à certifier Ecocert du fait du traitement chimique à base de solvants.
UN NOUVEL ELDORADO ?
Certaines huileries comme Émile Noël commercialise une huile prestige bio en format 10cl (90€ le litre) valable autant pour la cuisine que pour les soins- ne vous inquiétez pas, elle ne sent rien – importée d’Espagne. Bizarre quand même, le mot « bio » ne figure pas sur l’étiquette. Comment font-ils ? Le mystère demeure. Va-t-on revenir à la 1ère pression à froid avec un petit broyeur mécanique au fond du jardin ? Avis aux inventeurs de tous bords, la course à l’innovation est lancée.
L’un d’entre eux est l’entrepreneur Guillaume Devaux, fondateur de l’enseigne du Paradis du Thé, précurseur de la vente des thés sur internet. Il aurait découvert récemment lors d’un songe, comme on disait au Moyen Âge, les vertus quasi miraculeuses de l’huile de pépins de raisin. Il ne s’étend pas sur la question du bio. Ben voyons ! on va pas semer le doute.
Jean Philippe