On continue notre « 360 » sur les métiers de l’installation et aujourd’hui nous allons nous intéresser aux vendeurs de domaines et châteaux. Et on commence par cette mise en garde : n’imaginez pas acheter un vignoble comme ça. Non vous ne concrétiserez pas votre rêve de toujours sur un simple claquement de doigt. Même si vous avez eu le coup de coeur. Au mieux, il vous faudra un an :
« Entre le moment où l’acquéreur met le pied sur le vignoble, le temps de finaliser les négociations, d’établir un prévisionnel et une recherche de financement, la période de compromis et l’autorisation d’exploiter, ça peut se faire en un an. Mais dans ce cas il faut vraiment être réactif et bien suivre l’ordre des choses. » Celui qui parle c’est Alain Paineau, négociateur en domaines et châteaux viticoles sur la région Val de Loire au sein de l’agence Quatuor Vignobles
« On fait des projets sur le temps long ». Rien à voir avec l’image de l’agent immobilier qui cherche à vendre coûte que coûte ? « Ce n’est pas applicable à la reprise d’un domaine viticole. La particularité de notre agence c’est qu’on a une coloration « conseil agricole » très forte, on est pour la majorité de l’agence issus du conseil ou de la banque. »
tableau de chasse
« Des offres acceptées ? j’en suis à une quarantaine. » 40 installations et agrandissements, ça donne un peu de recul et une vision d’un marché. Alain Paineau : « le Val de Loire, c’est un marché de vignerons. » En majorité les vendeurs cèdent à un voisin ou à la famille et les acquéreurs soit sont des vignerons soit des néo-vignerons qui cherchent à s’installer. Contrairement à Bordeaux ou en Bourgogne « on n’a pas un marché de vignobles destiné aux étrangers ou aux institutionnels. Quand quelqu’un s’installe ici c’est pour en faire son métier. »
terrain de jeu
Il faut préciser que le Val de Loire est la troisième région de vins d’appellations de France, qu’il regroupe 51 appellations et 6 IGP sur 14 départements, de la Vendée au Puy-de-Dôme.
De sorte qu’ il y a beaucoup de configurations différentes qui peuvent être proposées « à des clients qui ne voudraient faire que des blancs, des clients qui ne voudraient faire que des rouges, des gens qui veulent être 100% export, d’autres qui ne veulent travailler qu’avec les caves coop. Ici il y a vraiment toutes les situations. »
pas d’acheteur sans vendeur
Quels profils trouve-t-on dans une transaction ? Ne pas oublier que dans cette situation s’il y a un acquéreur, il y a avant tout un vendeur. « Il y a ceux qui vendent pour cause de retraite, sans reprise familiale, généralement ce sont des domaines qui ont vécu sur leurs acquis et qui demandent à être relancés, ils ne sont pas représentatifs du dynamisme et de la diversité qu’on peut avoir en Val de Loire et il y a une autre catégorie de vignerons qui revend pour des questions de santé ou de reconversion professionnelle ».
Dans les deux cas l’objectif c’est de sortir du statut de vigneron.
Le plus vite possible ? Pas forcément, Alain Paineau conseille de prendre son temps, présenter son bien à l’avance pour mieux se faire une idée de sa valeur : « ce qui permet de refuser des offres qui seraient indécentes, de devoir faire des choix drastiques de liquidation foncière ou d’arrêt d’activité, autant le dire carrément. »
un acquéreur peut en cacher un autre
Et pour vendre il faut un acquéreur : Il semblerait qu’un profil se soit maintenu même après la crise du Covid. « Les reconversions en fin de carrière 5 ans avant ou après la retraite, des personnes qui ont plutôt le savoir faire de gestion d’entreprise.
Pas forcément du savoir-faire oenologique. Il ne leur viendrait même pas à l’idée de passer sans agence. Dans les transactions d’entreprise il y a toujours des agences… »
Une autre catégorie de clients ? « Oui les vignerons eux-mêmes qui ont cherché à s’agrandir mais n’ont pas trouvé tous seuls. Quand ils nous appellent ils ont déjà fait le tour des vignerons autour de chez eux.
Le gel de 2021 aurait-t-il boosté la demande ? Oui, ils cherchent à repositionner leur vignoble sur des terroirs qui sont moins gélifs. »
Eviter le face à face
« Quand les vignerons font entre eux des tentatives de négociation, ils ne sont pas toujours souples, ça reste de l’humain. Avoir un médiateur c’est quelque chose de très important pour la réussite du projet. On passe assez peu de temps à trouver un client. Ce qui demande le plus de travail c’est de finaliser un accord sur “la chose et sur le prix” et de le sécuriser. Ce qu’on amène vraiment à ces clients, c’est la méthodologie, l‘audit de départ, la négociation et la sécurisation de la trajectoire. »
J’ai envie de poser une question naïve mais dont j’entrevois la réponse : tous les projets aboutissent-ils ? « 95% des projets n’aboutiront jamais parce quand les clients nous appellent, ils ne savent pas tout ce qu’il y a derrière. Seule une petite partie ira jusqu’au bout du projet mais si précisément ils passent par des professionnels c’est pour avoir les tenants et les aboutissants de chacun des éléments. »
laissés pour compte ?
Alain Paineau regrette de ne pas toujours pouvoir satisfaire une autre partie de la clientèle : « ce sont les jeunes dont la vocation de départ est d’être vigneron. Aujourd’hui ils sont salariés viticoles ou oenologiques dans un domaine. La problématique de ces jeunes là ? des niveaux d’apports nécessaires pour pouvoir boucler un financement. »
Existe-t-il des seuils ou une part d’endettement à ne pas franchir ? « Il n’existe pas de ratio un peu comme il en existerait dans l’économie des fonds de commerce. Ca ne va pas être une fraction du Chiffre d’Affaires. On est plutôt sur la capacité d’emprunt du domaine et dans ce cas c’est le solde qui doit être apporté. »
Je vous donne un exemple : un domaine qui vaut 1M d’€ et qui permet d’emprunter 300k€, l’autofinancement devra être de 700k€. Et dans la commune d’â côté il y a un domaine qui fait 1,1Md’€ mais qui permet de financer 600k€, l’apport ici ne sera que de 500k€. »
Qu’est-ce qui justifierait une telle différence ? « L’historique d’organisation, l’historique des marchés, les débouchés… » Un immatériel pas forcément facile à évaluer au moment de l’acquisition et qui peut peser lourd dans la reprise.
Un schéma gagnant-gagnant
Parmi les néo-vignerons une configuration émerge : « il y a énormément de gens qui nous appellent et qui nous disent voila ma femme est infirmière, ma femme est clerc de notaire, je pense au dernier cas ma femme est pâtissière. Lui il va travailler sur le domaine et elle va chercher localement du travail. On n’est plus sur des domaines de couples gérés par des couples. »
Pas forcément le reflet de la situation du vendeur car « souvent quand le vigneron travaillait sur le domaine, son épouse faisait 3 jours d’administratif par semaine sans apparaitre dans les comptes ! » Un surcout à prendre en considération par les repreneurs…
Même les jeunes qui s’installent ont cette prudence : « les deux pourraient travailler sur l’entreprise mais ce sont des cas qui sont très rares car en terme de risque et de financement derrière on mettrait tous les oeufs dans le même panier. »
Le conjoint viendra alors le rejoindre au bout de 2 ou 3 ans quand ça marchera ? « Oui c’est quelque chose qui est relativement courant. »
la chose et le prix
Quand on est acquéreur qu’est-ce qu’on achète ? Alain Paineau : « le vendeur met en vente les actifs de son domaine. Il ne met pas en vente à 1500€ les parts sociales de son Eurl ! Il vend son tracteur au prix qu’il vaut, il met en vente son vignoble au prix qu’il vaut, il met en vente son bâtiment au prix qu’il vaut.
Et là dessus une fois que tout le monde est bien d’accord sur « la chose et sur le prix », on va se poser la question du montage juridique. On peut donner des suggestions mais généralement c’est le travail de l’expert-comptable ou du notaire. »
et la Safer dans tout ça ?
La Safer avec son droit de préemption reste un passage obligatoire ? « On présente à l’acquéreur un domaine, on fait la négociation, on rédige le compromis de vente on prévoit les reprises des marques de la clientèle des salariés, du matériel car on n’est pas sur de la vente immobilière pure. Le notaire transmet à la Safer qui a juste deux mois pour préempter : c’est à dire trouver quelqu’un qui va reprendre le matériel, les stocks, les salariés… ».
Y aurait-il des moyens de la contourner ? « Faire des montages compliqués ? Moi je ne le conseille pas : on n’est jamais gagnant à long terme. »
Quelle vision ?
Le Val de Loire offre-t-il un avenir aux repreneurs ?
« J’ai une vision plutôt optimiste de l’installation des repreneurs : ils sont orientés par les agences sur les bons emplacements, il y a donc une re-concentration sur les terres qui sont les moins gélives. Et tant pis pour les vendeurs…
Alain Paineau : « et les repreneurs ont plus d’atouts entre leurs mains que les vendeurs : quand on a 50 ans et qu’on possède le vignoble depuis cinq générations, on n’a pas toujours fait la démarche pour se projeter dans le e-commerce, développer l’export. Les repreneurs eux ont des projets assez forts ils peuvent aussi avoir les moyens à mettre en face. »
Je touche du bois, je n’ai jamais eu un repreneur qui a eu des soucis. »
François
Photo à la Une : ©Alain Paineau