La résistance aux stress climatiques, à la maladie passe peut-être par une meilleure utilisation des cépages anciens. Sans attendre les retours de la science, il y a déjà quelques vignerons qui y ont recours…
Après la publication de l’article d’Audrey Delbarre sur les cépages modestes, nous avons reçu un message d’Annie Ligen, en charge des relations presse de la Tour Boisée :
« Connaissez-vous Plantation 1905 ? un vin issu de 23 cépages plantés ensemble en 1905! Ils se côtoient sur la même parcelle argilo-calcaire et quatre d’entre eux au moins sont inconnus des ampélographes qui n’ont su leur attribuer un nom. C’est dire si cette vigne remarquable d’1 ha 60 (sise à Laure Minervois), patrimoine historique de variétés à (re)découvrir, est aujourd’hui jalousement préservée, sauvée in extremis d’une mort certaine. Ne sachant qu’en faire, ses propriétaires avaient l’intention de la faire disparaître en l’arrachant… »
Pour être tout à fait honnêtes, nous n’avons pas l’habitude de reproduire les communiqués de presse : notre indépendance nous permet de privilégier les articles de fond rédigés par notre équipe ou par des professionnels reconnus. Mais dans ce cas particulier, le sujet nous paraissait unique et -pour une fois !- raconté dans un style tellement agréable, que nous sommes tombés sous le charme de ce texte : le portrait du vigneron est plutôt affuté et la dégustation de la cuvée carrément lyrique ! A vous de juger…
François
l’arrachage obligé
Cette vigne, ses propriétaires avaient l’intention de la faire disparaître en l’arrachant jusqu’à ce que Jean-Louis Poudou de La Tour Boisée s’en approche, s’interroge et fasse venir des spécialistes qui l’examinèrent de plus près, détectant de nombreux cépages complantés dont certains totalement inédits. Depuis 2002, La Tour Boisée exploite en fermage ce mini-musée à ciel ouvert, véritable réservoir ampélographique qu’elle cultive en bio, bichonne et protège de ses soins vigilants afin de produire Plantation 1905.
viser juste
Au sein de la parcelle, de ce petit joyau en terre languedocienne, des raisins aux noms mystérieux tels que varousset, aspiran, aubun, alicante bouschet, aramon, poussent aux côtés de cépages plus actuels tels que carignan, grenache noir, cinsault, terret noir, terret gris.
Il faudra ensuite toute la maîtrise, la connaissance du sol et de la vigne, le savoir-faire et l’instinct de Jean-Louis Poudou pour fixer la date de la cueillette qui se fait en une fois. Il faut en effet viser juste pour ramasser au même moment les cépages précoces (muscat de Hambourg) et tardifs (morrastel bouschet).
Dans la vigne, quelques raisins blancs jouent des coudes, la clairette et le bourboulenc, tandis que d’autres cépages noirs aussi insoupçonnés que les lladonner pellut, italia, cardinal et alponse lavallée parachèveront la composition énigmatique de Plantation 1905.
un classique du Minervois
La Tour Boisée est l’un des incontournables grands classiques de l’appellation Minervois. Le Domaine situé à 20 kilomètres à l’est de Carcassonne, se compose aujourd’hui de 35 hectares de vignoble et d’un millier d’oliviers, culture relancée en 1990. Il doit son nom à la Tour héritée de la fortification du village au XIIème siècle située à présent dans le jardin.
A la Tour Boisée c’est une communauté séculaire de vignerons qui est à l’ouvrage. Chaque vigneron doit faire part de ses observations, de ses sensations et de fait de ses suggestions. Elle accède à la modernité quand elle la juge intelligente !
Tout cela dans le cadre de la culture biologique qui fait le choix délibéré du vivant. Mais attention, NOTRE culture biologique, car nous refusons les cadres trop simples et caricaturaux qui ne correspondent pas à notre philosophie, et notre exigence ne s’arrête pas à l’obtention d’un label, puis nous puisons dans toutes les formes de cultures annexes qui sont souvent le fruit de connaissances ancestrales.
un domaine et un vigneron
Le vigneron, Jean-louis Poudou, appartient à une famille très largement impliquée dans le vignoble, « les Poudou » étant vignerons dans la région depuis 1793.
Très entrepreneur, Jean-Louis Poudou, installé à Laure-Minervois est avant tout un grand passionné qui a contribué activement à la reconnaissance du cru.
Il est sans langue de bois. Il aime à dire un vigneron se doit de parler de sa vigne et de son vin avec simplicité. Sa philosophie d’élaboration des vins : observation, intuition et expérience. Il garde précieusement sa ligne directrice : l’accent sur les cépages traditionnels, un travail essentiel sur les sols et, enfin, que d’un beau raisin, on peut se projeter sur un beau vin.
franc parler et parler franc
Qui connaît Jean-Louis Poudou sait qu’il a son franc-parler. Je ne fais pas de l’oenologie, je fais du vin, nom d’une pipe ! » Ou encore : Le chardonnay reste un cépage humble, et aussi, à propos de la syrah, on a fait dans le vulgaire, on a rajouté des cépages sans fondement historique alors que ce cépage a une capacité de garde énorme dans l’élégance…Et surtout : je sais ce que je veux faire dans mon chai.
Car Jean-Louis Poudou est un homme de bon sens, un homme de la terre et non un homme de laboratoire. IL élabore des vins de vigneron avec toute la créativité et le sens de la terre qu’il faut pour un vin de sève autant que d’originalité. Des vins francs, profonds, bons vivants, les pieds dans la terre et la tête dans les étoiles ! Car une certaine forme de rusticité ne nuit pas, bien au contraire.
Jean-Louis Poudou a-t-il laissé parlé son petit grain de folie devant cette parcelle mystérieuse abandonnée ? Sans aucun doute et Plantation 1905 lui donne raison.
plantation 1905 au verre
Très sombre, la robe se pare de reflets violines.
Floral, le nez évolue vers des notes de pruneau, d’herbes aromatiques et de pain d’épices, de cannelle notamment.
Le fruit explose en bouche, saisissant. Une vraie bombe de plaisir pur jus. Aux côtés de la cerise, de la myrtille et du cassis fraîchement écrasés on retrouve le pruneau et le pain d’épices qui nous ramène aux effluves flottant sur les marchés de Noël. Sensation régressive encore avec les notes délicates évoquant le Chamonix de Lu, ce fameux petit gâteau fourré à l’orange de notre enfance.
L’attaque est pleine, le milieu de bouche affûté, puissant et attrayant avec son joli corps finement musclé, sculpté par de jolis tanins crayeux et gourmands. Salivante, la finale tonique et charnue se prolonge par des notes florales, légèrement salines, un brin d’anis.
Tout est tellement bon dans ce vin magnifiquement équilibré entre rondeur et vivacité que l’on a envie d’y revenir inlassablement !
Annie
En vente au domaine ou à la Maison des vins du Minervois à 13,60€ la bouteille
Ecrit par Annie Ligen 
