Pique Russe, le passeur et le passionné

La vie est ainsi faite qu’on n’a pas le temps de suivre ceux qui nous intéressent : un jour vous rencontrez un vigneron passionné par son métier, plein de projets… Vous le voyez installé pour la vie, produisant chaque année des cuvées plus surprenantes les unes que les autres.  Une montée en gamme progressive doublée d’une maîtrise du métier qui s’affine. Et la fois d’après (il s’est écoulé plusieurs années mais elles n’ont représenté pour vous qu’à peine quelques mois),  il vous apprend qu’il a cherché à vendre pendant 3 ans et qu’enfin son projet s’est réalisé…

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Je parle ici d’Yves Lageat fondateur de Pique Russe, un domaine charentais au coeur des Fins Bois, l’une des six régions de production du Cognac, un domaine tellement atypique que la Safer avait tout de suite jeté l’éponge en affirmant qu’il ne trouverait jamais d’acquéreur…4 ha de vignes plantées en haute densité (12000 pieds/ha) pour en faible rendement avec comme défi : offrir un vin haut de gamme charentais.

Objectif atteint, la gamme Pique Russe figure en bonne place dans le Guide Hachette des Vins et sur les meilleures tables de la Nouvelle-Aquitaine. Sur un salon, il suffit de voir les curieux s’agglutiner autour du stand Pique Russe pour comprendre l’intérêt qu’il suscite !

A ce stade, Yves Lageat n’avait plus grand chose à apprendre mais tout à transmettre. Quand en plus on a atteint un âge raisonnable pour envisager de faire autre chose…

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Et c’est le pur hasard qui a mis Cyrille Cornerotte sur son chemin. Belge d’origine, le jeune étudiant en Sciences-Po avait découvert les vins du domaine lors d’un salon à Bruxelles en 2005. Il en avait gardé un souvenir ému et s’était dit que si jamais un jour il devait devenir vigneron, c’est bien des vins comme ceux de Pique Russe qu’il aimerait produire ! Son premier métier au Ministère de la Défense brusselois n’allait pas vraiment dans cette direction, sauf que, il fut un temps où Cyrille s’est interrogé sur son futur. Il était encore temps de tourner la page.

Cyrille : J’ai été apprenti dans les vignes bordelaises puis je me suis essayé au métier de caviste à Bordeaux, ensuite ouvrier chez un distillateur et pour finir j’ai été recruté par la toute jeune Maison des Vins Charentais à Cognac qui lui permet d’entrer en contact avec la plupart des vignerons de la région. Dont Yves Lageat, en quête d’un repreneur ! La boucle était enfin bouclée. Ils s’étaient trouvés, ils se sont tapé dans la main.

Tout aurait pu être difficile ou laborieux, mais l’envie de partager était forte et l’aspiration pour une transmission réussie a fait tomber toutes les obstacles.

Et un an plus tard après avoir purgé tous les délais et recours que seule l’administration française est capable d’imaginer, Cyrille Cornerotte 38 ans, sa famille et leur Scea entrent en possession de Pique Russe. Mais pour faire quoi ? La même chose ?

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Cyrille : Pas de changement radical mais plein de petites choses, en fonction du millésime…

Car Cyrille est un néo-vigneron bien de sa génération. S’il pense conserver la gamme des vins telle que l’a construite Yves Lageat, il envisage de faire des vins plus modernes et de faire évoluer les arômes vers un peu plus de fruits.

De l’avantage de ne pas être enfermé dans le cahier des charges d’une appellation. Yves Lageat : On a ce qu’on appelle en marketing une franchise qui s’appelle Sous la Couture, c’est un vin à dominante cabernet. Dans cette franchise, on fait le mieux qu’on peut dans l’année. Si on estime qu’avec un peu d’assemblage, de merlot, c’est mieux, on ne s’en prive pas, de même si on veut mettre plus ou moins de bois…

Les clients s’y retrouvent ? Cyrille : On leur fait gouter côte à côte le cabernet 2021, une année fraiche, élevé en amphore. Un vin typé cabernet ++ parce qu’on a tellement peu l’habitude d’un monocépage sans bois. Puis on leur fait gouter le 2020, une année solaire avec pas mal de grenache et un passage en barrique. Les clients se rendent compte qu’ils aiment les deux styles même ceux qui disent détester le bois…

Les petits volumes de la récolte de cette année incitent Cyrille à utiliser plus d’amphores. Yves Lageat ça permet aussi de faire le passage de génération, et faire des essais pour des vins plus modernes…

De fait Cyrille envisage l’arrivée au chai de nouvelles amphores, en grès celles là : c’est moins poreux, elle garde la tension des cépages, la typicité, l’amphore en grès va moins polir les tanins que celle en argile… 

Et le bois de disparaître ? On est en train de vinifier le Temps Volé, le haut de gamme de Pique Russe : c’est une sélection intraparcellaire de merlot, des zones où le calcaire est quasi affleurant. Une parcelle dans la parcelle ? Exactement, elles ont un système racinaire encore plus profond que les autres. Donc des baies très concentrées ?  Oui, ça nous donne des vins taillés pour la garde. On fait un élevage pour partie en amphore et pour partie en barrique. 

partager

Mais au delà de ces ajustements, Cyrille Cornerotte a une vision de son métier, née sans doute lors de son séjour à la Maison des Vins Charentais. Il a le sentiment qu’une nouvelle génération émerge dans la région. Un nouvel écosystème se met en place plus en phase avec la demande de la jeune clientèle. Alors il faut sortir de sa grotte, être à l’écoute et en aucun cas le métier de vigneron ne doit être un métier de solitaire. Les jeunes vignerons doivent se connaître, s’allier, partager leurs expériences.

Il imagine ainsi pouvoir développer des partenariats comme l’ont fait par exemple en Vendée Jérémie Mourat et Thierry Michon autour d’un chenin et d’un pinot noir à quatre mains.

Et pourquoi pas acheter du raisin à d’autres vignerons pour bénéficier d’une autre matière première ?  Comme le fait ce même Jérémie Mourat à travers son label Wine Trackers Terroirs Singuliers avec une cuvée à base d’assyrtiko provenant d’un domaine grec.

Et créer ainsi des cuvées d’exception pour relancer le gout du vin auprès d’une nouvelle génération avide d’expérience gustative.

En attendant, il lui reste aussi un hectare à planter : en chenin pourquoi pas ou un cépage méditerranéen…  Cyrille ne nous en dira pas plus !

François

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Réalisateur documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.

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