Pénélope Foulier a un tempérament de nature à nous rassurer sur l’avenir de la viticulture. A 24 ans cette jeune femme multidiplômée cumule expériences et connaissances, en langues notamment, qui lui permettent de comprendre le monde. Et de choisir sa voie, celle de « responsable d’exploitation agricole spécialisée viticulture », un BP conduit en apprentissage au lycée de Kerplouz LaSalle à Auray et chez le vigneron Yannick Leblé, au domaine de la Chevrue, à Vertou. Je ne ferai pas le pari de la voir se fixer pour de bon dans notre vignoble national tant son incroyable aventure géorgienne doit lui donner des démangeaisons…..d’ailleurs !
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la vie d’après
Certains disent qu’il y a une vie avant et après avoir goûté au vin géorgien.
Je fais partie de ceux dont la vie a changé lorsque j’ai été embauchée en tant que guide touristique et sommelière trilingue – anglais, français et italien – au sein du domaine viticole Shumi Winery en Géorgie dans le cadre de mes études.
Avant cela, il me faut remonter en arrière jusqu’en septembre 2022 pour vous expliquer comment j’en suis arrivée là.
8000 millésimes au compteur
Alors inscrite en deuxième année de Master œnotourisme bilingue à l’Université Bordeaux Montaigne, j’étais à la recherche d’un stage de fin d’études de 6 mois. Désireuse de le réaliser à l’étranger, j’ai envoyé ma candidature aux quatre coins du monde en omettant la Géorgie. Fait étonnant car je savais de par mon père, fervent amateur de vin qui m’a transmis son attachement pour la culture géorgienne, qu’il s’agissait d’une référence dans le monde viticole avec ses 8 000 millésimes.
J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, notamment mon ancienne baby-sitter qui a vécu et travaillé en Géorgie et qui m’a aidé à entrer en contact avec Salome Lomsadze, cheffe de projet commercial du domaine Shumi, et son père, Temuri Lomsadze, propriétaire.
Cap à l’Est
Après un entretien d’embauche en anglais et à distance avec Salome, j’ai donc été embauchée. Je découvre alors l’entreprise dont le nom « Shumi » signifie en ancien géorgien « le vin pur de meilleure qualité ».
Le domaine se situe dans le village de Tsinandali où la viticulture géorgienne s’est largement modernisée pour la première fois au cours du 19e siècle grâce à Alexander Chavchavadze (1786- 1846), figure emblématique qui a couplé les méthodes traditionnelles avec de nouvelles technologies plus avancées.
Tsinandali se trouve dans la région de Kakheti ancrée à l’Est du pays et considérée comme la plus importante des régions viticoles de Géorgie. Emplacement donc stratégique pour Shumi qui y a planté environ 200 hectares de vignes donnant lieu à une production de deux millions de bouteilles par an.
Un domaine à mission
Ce domaine opère non seulement dans le secteur de la boisson par la production de vins mais aussi de l’alimentation en proposant un service de restauration sur place et ce depuis son établissement en 1997. À cela s’ajoute l’activité œnotouristique démarrée en 2002 comprenant la découverte de la cave mais aussi d’un musée du vin retraçant l’histoire de la Géorgie en tant que « berceau du vin ».
Histoire que l’on retrouve dans le logo du domaine qui représente un griffon du nom de « Phaskunji », une bête mystique mi-lion mi-aigle, tenant dans sa patte une grappe de raisin. Selon la mythologie géorgienne, c’est lui qui aurait apporté la toute première grappe de raisin sur terre et c’est à partir de cette même grappe que les Hommes auraient commencé à faire du vin.
Le but du domaine étant de transmettre son histoire, de la préserver mais aussi de la maintenir par le biais de son développement perpétuel.
Ce développement se traduit par les vins proposés au domaine vinifiés en partie à la manière traditionnelle en Qvevri, amphore en argile enterrée servant à la vinification, mais aussi élaborés en cuve inox, à la manière champenoise et/ou élevés en fût de chêne français.
Les cépages utilisés sont uniquement des cépages autochtones pour conserver la typicité du pays et ses racines.
Accords mets et vins géorgiens
Qui dit vin dit mets ! J’ai énoncé précédemment l’activité gastronomique de Shumi à laquelle je participais en conseillant les clients au sujet des accords mets et vins et par l’animation des masterclass culinaires.
Il s’agissait de stages de cuisine durant lesquels les touristes pouvaient apprendre à élaborer quelques mets locaux ou bien encore à distiller la cha-cha, sorte de grappa géorgienne. Il était également possible de réserver de grandes tablées pour célébrer divers événements justifiant un grand « supra ».
Ces festins durant lesquels il était possible de jouir du groupe personnel de chanteurs polyphoniques de Shumi et de s’adonner à l’art de porter des toasts et d’en devenir maître, soit un bon « tamada ».
Ces activités sont disponibles toute l’année auxquelles s’y ajoute une autre plus originale au moment des vendanges. Les visiteurs peuvent se rendre dans le vignoble pour vendanger eux- mêmes les raisins puis venir les fouler/écraser avec les pieds dans un tronc d’arbre creusé appelé « Satsnakheli » à la manière traditionnelle géorgienne.
Carrefour des nations
La clientèle se rendant au domaine était à la fois locale et multiculturelle induisant des échanges de la même teneur notamment vis-à-vis de la symbolique du vin. Les principaux visiteurs par ordre de plus forte affluence étaient d’origine russe et indienne.
En troisième position ex aequo nous retrouvons les touristes américains, dont l’envie d’expérimenter de nouvelles choses se faisait ressentir, et la clientèle française dont les connaissances étaient solides en matière de vinification mais le palais pas encore habitué à déguster des vins géorgiens plus marqués en bouche.
Il s’agissait la majeure partie du temps d’un public d’une trentaine d’années, en couple sans enfants ou en groupe d’amis en provenance de la région parisienne principalement et quelques autres grandes villes. L’offre de vins étrangers étant plus forte dans la capitale qu’en dehors, quelques amateurs de vins avaient donc entendu parler du vin géorgien ce qui les avait incité à venir.
Beaucoup toutefois se rendaient en Géorgie pour la randonnée et la nourriture en premier lieu. Le pays étant néanmoins connu pour le vin, ils ne pouvaient passer à côté d’une visite d’un domaine avant de partir. Les échanges avec les visiteurs français devenaient familiers assez rapidement du fait de nos origines communes.
Un intérêt certain pour la culture géorgienne, dont le vin fait partie à part entière, se faisait ressentir côté français mais pas encore assez pour que la Géorgie puisse pénétrer ce marché et, de manière plus large, celui européen comme elle le souhaite.
Les vins géorgiens méritent d’être reconnus à l’égal de ceux français.
Pour cela il ne nécessite pas grand-chose d’autre que de se rendre sur place et d’exporter cette culture dans nos bagages de retour, en plus de quelques bouteilles évidemment.
Les géorgiens eux-mêmes méritent d’être connus, l’hospitalité est un 7e sens chez eux que nous ne pouvons définitivement pas leur enlever.
Trois claques en une soirée
Comme je l’écris on pourrait croire que mon expérience sur place a été aisée, ce fut en réalité assez percutant dans le sens où je me suis pris plusieurs claques et ce dès ma première soirée dans le pays.
Le 1er mars 2023, 5h du matin j’arrive à l’aéroport de Tbilisi et le soir même à 20h environ j’étais déjà rendue au domaine Shumi où nous avions convenu de nous retrouver avec Salome pour manger ensemble.
Durant le repas il y avait Salome, Temuri et quelques grands managers du domaine parmi lesquels certains ne parlaient pas anglais. Il faut dire que la langue anglaise n’est pas majoritairement pratiquée en Géorgie, c’est une chose à laquelle il faut se préparer et c’est pourquoi je vous conseille de faire appel à un guide géorgien au vu d’un voyage là-bas.
Salome s’assurait de faire la traduction pour moi de ce que je pensais être du géorgien mais j’apprendrai plus tard qu’ils parlaient en réalité russe. C’est pour vous dire à quel point « j’atterrissais », sans mauvais jeu de mots. Ces nombreuses incompréhensions de ma part étaient à chaque fois pardonnées et je ne m’en trouvais pas honteuse car ils se sont eux-mêmes présentés comme des « cuckoo », soit des fous sur le ton de la rigolade. De quoi me mettre à l’aise.
L’atmosphère était en effet chaleureuse, nous sommes passés du vin au cognac au cha-cha,avec une certaine aisance.
La consommation de boissons alcoolisées qui peut sembler décadente n’en est rien, personne n’était éméché et cela suivait un tempo régulier et précis rythmé par les mets et par les toasts qui étaient portés durant le repas. Ces toasts traditionnels dont seuls les tamadas ont la maîtrise et dont la justesse des mots vous laisse sans voix. Ce qui veut en dire beaucoup. La relation vis-à-vis du vin est différente en Géorgie de celle que nous avons en France. Tandis que nous le considérons comme produit du Terroir, ils l’estiment comme produit de l’Homme. Tout le monde y a donc accès et c’est pourquoi 90 % de la population géorgienne en produit à domicile.
Ça et bien d’autres choses m’ont percuté durant ma parenthèse géorgienne. J’ai pris une première claque au niveau de la barrière de la langue ; la deuxième fut au niveau des mentalités, notamment de la vision portée sur le vin ; et la troisième au sujet de la culture autant géorgienne qu’internationale par la suite au travers de mon poste de guide. Trois claques pour deux joues cela fait beaucoup mais je ne peux blâmer personne car j’ai moi-même décider de tendre la joue en saisissant cette opportunité qui m’a été offerte.
Je comprends mieux aujourd’hui la signification de l’expression «la chance sourit aux audacieuses» et j’espère avoir réussi à vous faire sourire.
Pénélope