« On va déguster » le muscadet des néo-vignerons

Presque 2 millions d’auditeurs -podcasts inclus – ont suivi l’émission On va déguster, sur France Inter, ce dimanche de décembre.

L’équipe de François-Régis Gaudry avait fait le déplacement à Nantes, dans la salle Paul Fort qui jouxte le célèbre marché de Talensac. Ambiance joyeuse, électrique même, prises de parole très applaudies, parfois sifflées, on se serait cru en meeting électoral.

Retenons d’abord que Nantes est devenue « une destination gourmande qui fait la part belle aux produits locaux ». Dis-moi chérie, ça te dirait une petite bouffe à Nantes, ce week-end ? Il était temps car la concurrence de Food’Angers commençait à inquiéter.

ON DÉPOUSSIÈRE

La gastronomie nantaise a longtemps tourné autour de la sauce au beurre nantais et du gâteau nantais. Oubliez tout ça ! on dépoussière. La vague foodista a frappé la Cité des Ducs et l’a transformé en scène culinaire –comme on parle d’une scène musicale – avec ses lieux grouillants de vie, ses foules joyeuses, son agenda, ses évènements, ses vedettes, ses maraîchères, sa vache et sa mâche nantaise, sa criée du Croisic, ses copains du vignoble, ses talents authentiques, ses sans-grades, ses donneurs de leçons, bref tout ce qu’il faut pour faire un monde du bien manger.

Oui, mais à Nantes on revient aux racines, Notre-Dame des Landes n’est jamais très loin. «Un réveil agricole tourné vers le vivant et le naturel », « l’écologie au centre du jeu ». Les AMAPS sur le devant de la scène, tout comme le bouillon paysan, le marché paysan, le maraîchage paysan….Non, je ne suis pas labellisé bio, car je vise plus haut, entendu dans la salle.

Cette énergie du vivant, du naturel est née il y a 20 ans en Brière chez le restaurateur Éric Guérin, la Mare aux Oiseaux. Sa figure emblématique est aujourd’hui Alice Ménard, maraîchère bio à Saint-Julien de Concelles qui fournit, entre autres, deux jeunes cheffes remarquées  : Sarah Mainguy,Vacarme et Lucie Berthier Gembada, Sepia.

Tellement riche cette scène culinaire que le temps imparti à Dominique Hutin, chroniqueur vin de l’émission, fut réduit à peau de chagrin.

On a juste capté la créativité insoupçonnée du vignoble nantais, le muscadet (rouge) de Vincent Caillé et la chanson : « dans les frigos de Nantes, y a le muscadet qui chante ! » Caricature excessive car Dominique a fait un travail de bénédictins en recensant 140 cuvées du vignoble accessibles dans son carnet de vigne : Muscadet sur lit.

CRÉATIVITÉ INSOUPÇONNÉE

Ces cuvées couvrent toute la palette des muscadets. Hier le plus grand vignoble blanc de Loire est en train de casser la monotonie de sa couleur. Les cuvées rouges, les jus de raisins, l’effervescent, la bière, les rhums et les gins se révèlent. Si les grands noms, les piliers sont sortis renforcés des années noires du vignoble, à côté d’eux émergent les néo-vignerons.

L’un d’eux, Pierre Goiset, a été remarqué par Dominique Hutin pour son merlot Grande Falaise (13€) : « son registre fruit noir/toucher soyeux l’envoie sur la piste des vins-plaisir faciles à appréhender »

Pierre, je l’avais rencontré un peu avant quand il faisait tandem avec son ami Caradec Boscher, un jeune restaurateur de Saint Sébastien/ Loire. Restaurant bondé pour la circonstance en rapport avec une belle promo sur Facebook et leurs centaines de followers respectifs. Qu’on me pardonne cette digression, mais je souhaiterai reparler de l’é-paulée nantaise, une initiative qui vise à rapprocher les restaurateurs et les vignerons solidaires.

La recette ? Un chef compose un menu spécial, un vigneron local anime la soirée avec ses propres cuvées, le public qui réserve à l’avance et les bénéfices versés à un fonds de solidarité.

Un bel élan du cœur qui dure, porté une fois encore par l’efficacité du « jeu à la nantaise » avec ses partenariats, ses bénévoles, les médias et réseaux sociaux.

Le vigneron Pierre Goiset, un jeune dans le métier, fut longtemps caméraman et réalisateur vidéo dans une vie antérieure. « Un garçon fort sympathique qui apprend très vite », c’est le souvenir qu’il m’a laissé, il y a presque 20 ans, quand j’étais son professeur de médias à Audencia SciencesCom.

ON SE LANCE POUR DE VRAI

Des attaches familiales ont conduit Pierre du côté de Saint Étienne où il a entreprit sa reconversion pour le métier de vigneron. On reprend des études (bac pro CGEA), lui le diplômé Bac+ 5. Il se fait engager comme ouvrier viticole au domaine Pierre-Jean Villa en Rhône Nord pendant 2 ans. Et finalement, il décide de retourner au pays. J’ai récupéré quelques hectares de vignes par ici et un jour Marie me dit : allez on se lance pour de vrai ! J’ai embarqué toute la famille : ma femme et nos deux enfants et nous sommes venus nous installer dans le vignoble nantais.

Sur ses vieilles vignes vallonnées de Saint-Fiacre-sur-Maine, il travaille des cuvées parcellaires issues des terroirs de choix à base de gneiss, orthogneiss, granit et gabbro, en cépage melon B et merlot. Mon projet, c’est de tout faire moi-même, de maîtriser les choses et de tout réaliser à la main. De faire des vins les plus proches des raisins, en bio avec des préparations biodynamiques. J’ai eu l’envie de voir quel vin j’étais capable de faire.

Très étonnant ce défi lancé à lui-même, presqu’un propos d’aventurier du Vendée Globe. Avec un tel état d’esprit, Pierre affiche une grosse sérénité dans un monde cruel pour le viticulteur. Il n’a pas été épargné par un gel terrible qui a amputé la majeur partie de sa récolte.

Mais le vin est là, ce soir, chez Cara, et Pierre souhaite me faire déguster personnellement ses trois cuvées 2021. A Tâtons et La Mauguit en melon B et Grande Falaise en merlot.

C’est naissant, peut-être un peu gauche mais tellement plein d’espoir et de vie. Voir le résultat d’efforts si énormes est émouvant.

DÉGUSTATION ÉMOTIONNELLE

Mon verre reçoit ce vin, un petit peu trouble. Je le fixe des yeux tandis que mes oreilles captent La Mauguit provient de vieilles vignes des années 50, vinifiées en cuve fibre…Le nez fin et joli déploie de petits arômes aux parfums d’agrumes et de genêt. Nos yeux se croisent un bref instant. Je crois revoir l’étudiant qui me montrait son montage vidéo, en quête d’un regard approbateur. En bouche, une jolie rondeur salivante équilibre la tension du melon B. Pas besoin de mots, juste une grimace souriante qui va chercher en fond de bouche les dernières saveurs actives. Ça goûte bien, merci Pierre !

LA RELÈVE DES TALENTS

Évidemment des questions se posent sur la viabilité économique d’un tel projet. Trois cuvées, quelques milliers de bouteilles disponibles en Vins de France (13 à 16€) et encore, pas régulièrement. Certes l’épouse travaille, certes le vigneron peut raccrocher ponctuellement l’intermittence du spectacle, mais cela reste très fragile, du moins en apparence.

Pierre Goiset est loin d’être seul à assurer la relève en muscadet. Connaissez-vous Fermenterre (Victor Cossy) à Maisdon ? Les Arpentis, Guillaume Lavie, Stéphane Orieux, Christelle Pineau, Nicolas Suteau, la rhumerie Fontanel et tant d’autres. Ou encore ces ex-cavistes parisiens de Pétouin & Enragé – enragé c’est le petit nom du cépage folle blanche qui pouvait faire des dégâts dans la tête. 

Ces artisans vignerons tiennent des micro-salons, se serrent les coudes, partagent du vieux matos, parlent un jargon d’entre-potes et se retrouvent dans des bars à breuvages comme Vin te faire boire, route de Sainte Luce à Nantes. Un phénomène sociétal ? Une bataille des générations ? Simplement un renouveau comme la vigne au printemps.

Les néo-vignerons ont cette capacité d’écarter d’un revers de main les années noires du passé, le regard fixé sur l’avenir. Le foncier est devenu accessible, on peut encore dénicher des vieilles vignes. Le terroir est toujours le même, magnifique.

Et travailler le jeu collectif, la force de ces quadras qui la jouent solidaires, bien épaulés par les cavistes locaux/enligne comme WhyNat et Petites Caves ou le distributeur en vins bio-nature A La Source « dénicheur de vins d’auteur ».

Oh, là, là, on est loin de l’émission On va déguster. S’il vous plaît, revenez à Nantes, M. Gaudry vous serez toujours le bienvenu, mais prévoyez cette fois au moins deux heures de direct.

Jean-Philippe

Image à la Une : ©Le Voyage à Nantes

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

2 commentaires

  1. Jeanbono dit :

    Le muscadet ça déchire

  2. wine lover dit :

    Jamais sans un muscadet ! On adore

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