Depuis longtemps je me disais qu’écrire sur les vignerons, parler du vin, sans avoir au moins une fois dans sa vie participé à la cérémonie des vendanges, c’était un peu comme suivre une messe papale sans comprendre le latin ou regarder Trainspotting le film culte de Danny Boyle sans avoir jamais fumé de joint !
Aussi lorsque j’ai reçu cette invitation d’Agnès et Pierre Antoine Giovannoni propriétaires du château de la Vaudière, j’ai sauté sur l’occasion de combler cette lacune qui assombrissait mon existence !
Ce petit matin brumeux de septembre, dans le Maine-et-Loire à Champ-sur-Layon, nous voilà une petite bande d’apprentis vendangeurs des deux sexes, des grands, des petits, des jeunes et des moins jeunes, des minces et des moins minces, des gens du Nord et des autochtones, dans des conditions physiques assez variables, mais tous à fond, cornaqués par la guide Valérie Aubergeon, qui nous initie aux gestes ancestraux, quasi bibliques, du vendangeur.
Vendanger c’est une vraie séance de fitness !
Avec un programme cuisse + abdo + fessiers complété par 5 relevés de buste et 10 rotations à la minute pour gommer ses poignées d’amour…Pourtant l’opération parait simple : sur une parcelle d’un hectare et demi, remplir délicatement une caisse de grappes de raisins de chenin blanc en ayant soin de distinguer ceux qui sont mûrs et pas malades.
18 kilos la caisse. Si j’avais été vendangeur professionnel, pour venir à bout de cette parcelle, j’aurai dû en remplir une petite dizaine. Ainsi avec 14 autres collègues, nous aurions rassemblé les 160 caisses qui iront remplir le pressoir du Domaine. Soit 8 à 9 heures de travail pour des saisonniers, vendangeurs confirmés. Une vraie promenade de santé…
Mais en temps qu’amateurs stagiaires, nous avons droit à un parcours allégé. Il s’agit plus d’une vendange « découverte » !
Pourtant le danger est partout…
A commencer par le sécateur de votre vis-à-vis qui curieusement a décidé de régler ce jour là un vieux compte avec vous : attention les doigts ! Le risque est aussi pour le raisin qui n’est pas à l’abri d’un coup de sécateur malheureux. Il faut dire qu’en respectant les cadences, il n’est pas évident d’arriver à distinguer sous le feuillage l’attache de la grappe, la couper net, en la soutenant dans la paume de la main pour qu’elle ne s’écrase pas au sol, sans la massacrer ou sans entamer le sarment ou la baguette…
Là pour le coup, je trouve nos hôtes bien décontractés par rapport aux risques que nous leur faisons encourir. D’accord, nous ne sommes pas un vol d’étourneaux qui s’abat sur leurs vignes mais 15 sécateurs en folie, ça peut faire des dégâts ! Et je passe sous silence les prélèvements spontanés d’échantillons sur le pied de vigne pour s’assurer que le raisin est vraiment, mais vraiment, tout à fait comestible.
Nouvelle rotation des lombaires pour déposer avec soin une grappe dans son écrin… mais qui donc a encore déplacé la caisse ?
Nous n’achèverons pas notre parcelle
Oui, nous sommes trop lents, trop distraits et…trop affamés : les pros sont sur nos talons car le chai n’attend pas. C’est là que nous nous retrouvons après un casse-croute vigneron bien mérité. Pierre Antoine Giovannoni est à la manoeuvre. Mais avant de presser le chenin blanc, Il faut d’abord nettoyer à fond le pressoir qui a servi le matin au cabernet sauvignon de l’Anjou rouge. Lavage à grande eau : l‘hygiène doit être absolue : pour faire un litre de vin, il nous faut 2 litres d’eau !
Puis les 160 caisses sont vidées dans la machine. Ce chenin va servir à produire le Crémant (pour 10% en assemblage avec du chardonnay). 7 heures de pressage dans des conditions de suivi et de contrôle permanent qu’on n’imagine même pas… Et il y a comme ça 3 séances de pressage par jour. On ne dort pas beaucoup à la Viaudière en septembre…
En attendant, moi je suis content, j’ai franchi ma ligne, mon équateur à moi.
François
Ah j’allais oublier ce petit détail cocasse car vous allez sûrement me poser la question : non, nous n’avons pas été rémunérés pour notre mission. Au contraire, nous avons dû nous acquitter de 14€ chacun. Mais c’était le prix à payer pour éviter que notre prestation puisse un jour être re-qualifiée en travail dissimulé. Ah, faire bouger le code du travail, y’a vraiment du boulot.