Depuis quelques années, l’offre de boissons dites « fun » a fortement augmenté de telle sorte qu’il devient difficile de faire la différence entre trois types de boissons fermentées, le vin, la bière et le cidre. En effet, il est possible de boire des vins de cerises, un co-ferment de bière et de jus de myrtille qui ont le goût d’un Lambrusco ou encore des cidres rosés croustillants aux saveurs de poires qui ont le goût d’un Prosecco. L’hybridation croissante du vin, de la bière et du cidre rend chaque boisson de plus en plus floue et redéfinit les lignes de concurrence entre les produits et les marchés.
Le vin, la bière et le cidre, comparés aux spiritueux, bénéficient d’un potentiel renouvelé et croissant auprès des jeunes consommateurs du monde entier. Toutefois, une analyse comparative des trois marchés montre que la consommation est fortement concentrée dans quelques pays. En effet, près de la moitié du marché est couverte par les quatre principaux pays consommateurs de vin (États-Unis, Italie, France et Allemagne) et de bière (États-Unis, Chine, Brésil et Allemagne). Le marché du cidre, moins volumineux, est concentré dans seulement trois pays (Royaume-Uni, Afrique du Sud, États-Unis).
La production de raisin, la latitude (autrement dit, le climat), la géologie et l’histoire expliquent traditionnellement la consommation relative de vin. Cependant, l’intégration économique mondiale a affaibli l’association entre production et consommation.
Pour expliquer la consommation de boissons dans le monde, de nombreuses études universitaires identifient les variables culturelles comme essentielles. L’environnement culturel, la dynamique démographique, l’éducation, les institutions et les réglementations gouvernementales par le biais du commerce influencent évidemment le comportement des consommateurs, l’impact sur le comportement d’achat, la prise de décision et les réponses aux aspects tarifaires.
Caractéristiques intrinsèques et extrinsèques
Ces trois marchés sont généralement étudiés séparément, bien qu’il semble exister des synergies et des complémentarités entre ces trois boissons. En effet, la fonction de demande pour ces boissons fermentées est dérivée de la maximisation de la fonction d’utilité du consommateur. Elle est dépendante du revenu, des prix et du comportement de consommation subjectif des consommateurs. La plupart des études constatent ainsi que les élasticités-revenu du vin sont considérablement plus élevées que celles de la bière ou du cidre.
Par conséquent, dans les pays où la bière est la boisson traditionnelle, les ménages peuvent déplacer leur consommation d’alcool vers les vins lorsqu’ils deviennent plus riches. L’impact de la culture dans l’explication du comportement des consommateurs permet donc de mieux comprendre les complémentarités entre les trois boissons fermentées.
En ce qui concerne le prix, le cadre hédonique a été largement utilisé dans les études universitaires pour saisir les variables qui ont un impact direct sur le prix, tels que les facteurs géographiques et viticoles, les facteurs temporels, l’information publique et les facteurs de productivité.
Les caractéristiques intrinsèques sont celles qui sont regroupées dans le bien et constituent l’essence du produit. Les caractéristiques extrinsèques sont celles qui influencent l’appréciation du bien par le consommateur mais qui n’appartiennent pas au produit lui-même. La classification des déterminants des prix proposée dans le tableau suivant est un cadre applicable aux trois catégories de boissons. Il contient cinq clusters, chacun d’eux étant trié selon l’état de la nature, c’est-à-dire fixe ou variable.
Il existe un grand nombre d’articles universitaires présentant des modèles hédoniques des déterminants du prix du vin par rapport au peu d’études sur la bière ou le cidre qui portent principalement sur des critères géographiques ou des facteurs agricoles. Les facteurs d’horizon temporel ne semblent pas pertinents pour ces deux dernières boissons fermentées.
Nombreuses opportunités
Le vin, la bière et le cidre sont des biens d’expérience, c’est-à-dire que leur qualité est incertaine et n’est connue qu’après consommation. Les consommateurs recherchent ainsi des informations sur la qualité, et le prix devient le résultat de signaux de qualité. Par conséquent, le marché des avis d’experts sur le vin est important et les consommateurs comptent sur cette information pour prendre leurs décisions d’achat. Le rôle des experts, bien que critiqué, a été reconnu pour réduire l’information asymétrique en fournissant des notations publiques et des évaluations de qualité.
C’est clairement une voie à suivre pour la bière et le cidre. Une analyse comparative des déterminants du prix du vin, de la bière et du cidre doit être développée pour analyser l’impact des facteurs géographiques, de l’information du public et des conditions d’approvisionnement.
Un certain nombre d’études récentes appliquent l’approche du consentement à payer aux boissons au sens donné par les économistes – le prix de réservation – c’est-à-dire la limite du prix d’un produit ou d’un service qu’un consommateur est capable ou disposé à payer. En appliquant cette approche, il peut être possible de comprendre si la culture, les attitudes, les us et coutumes ont un impact sur l’approche du consentement à payer une bouteille de vin, de bière, de cidre ou de toute nouvelle boisson « fun ».
Enfin, une interrogation liée au comportement des consommateurs et à l’approche du consentement à payer émerge des propriétés intrinsèques des produits. Une grande partie de l’innovation dans le secteur des boissons fermentées s’est concentrée sur la saveur, la couleur et les perceptions sensorielles. La recherche académique s’est pour l’instant essentiellement intéressée aux préférences de saveur de la bière et du cidre. Il reste donc de nombreuses opportunités de recherche sur les innovations dans le secteur des boissons fermentées.
L’accent mis sur l’aspect naturel de la boisson par rapport à d’autres produits concurrents pourrait être une question intéressante. Ainsi, des produits vins, bières ou cidres aux arômes nouveaux (vanille, cerise, fruits rouges, fruits de la passion, fruits exotiques) pourraient très bien être des produits à succès.
Cet article a été présenté lors de la première conférence de l’European Association of Wine Economists (EuAWE) en mai 2022 à Vila Real (Portugal), à la 7e conférence de la BeerOnomics en juin 2022 à Dublin (Irlande) et à la 5e conférence de l’Academy of Wine Business Research (AWBR) à Dijon (France) en juillet 2022.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.
Jean-François Outreville, Professeur émérite, Burgundy School of Business ; Éric Le Fur, Professeur, INSEEC Grande École; Lara Agnoli, Associate professor, Burgundy School of Business et Martin Cloutier, Professeur titulaire, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.