Les vignerons du ciel, pour réveiller votre spiritualité ?

Voilà un livre à la fois fascinant et dérangeant qui aura toute sa place dans votre bibliothèque œnologique, mais l’amateur averti se grattera la tête avant de savoir où le placer.

Est-ce un livre religieux dont le but est de raffermir la foi du lecteur ? Non, quoique…. Est-ce un livre d’histoire ou un essai sur une période essentielle de la Chrétienté ? L’auteur, le général Marc Paitier n’est pas historien.

Ce militaire de carrière aujourd’hui à la retraite, est certainement un homme de foi, au sens de la foi qui transporte les montagnes. Il porte aussi une casquette de journaliste quand il enquête sur la renaissance de la viticulture monastique.

Et celle de critique quand il déguste leurs cuvées avec la précision d’un sommelier.

LE DÉCLIC                                                                                                                                         

Comme saint Paul, le général a connu sa conversion brutale sur son chemin de Damas à lui. Un converti à l’amour de la vigne et du vin, dit-il dans un entretien donné récemment à l’hebdo l’Éclaireur de Châteaubriant. Le déclic a eu lieu lorsque j’étais élève à Saint-Cyr, je devais avoir 21 ans. On était au restaurant avec 3, 4 camarades et nous avons commandé une bouteille de Pommard. Au moment de poser mon nez sur le verre, j’ai ressenti une émotion intense (…) C’était un vin charnel et spirituel, ça nous parlait de la terre et d’un vigneron qui avait surement une intention. Depuis, je n’ai jamais cessé de vouloir comprendre ce qu’était le vin.

UN TRAVAIL DE BÉNÉDICTINS

« Les Vignerons du ciel » est un livre généreux. Avec un contenu immensément travaillé, une couverture cartonnée, reliure dos cousu, 200 pages, une centaine de photos et d’illustrations couleur, le tout vendu au prix raisonnable de 29,90€. On voit tout de suite que l’éditeur Louis de Mareuil (Mareuil Éditions) a pris un sacré risque. La somme inédite et colossale du général l’a visiblement convaincu de se lancer dans ce travail de Bénédictins. Le résultat est là, à la hauteur des efforts consentis.

L’IVRESSE DE L’AMOUR

L’ouvrage débute par un tour de chauffe en remontant dans les temps lointains.  « Le vin et le Sacré » ne nous apprend pas grand-chose tant les sources sont rares et forcement reprises depuis longtemps par les historiens du vin et des religions comme Jean-Robert Pitte, Roger Dion ou Jean-Baptiste Noé. Un petit coup d’œil sur ce « Cantique des Cantiques, l’ivresse de l’amour » et ce dialogue troublant entre l’épouse et l’époux :

Qu’il me baise de baisers de sa bouche !

Car ton amour est meilleur que le vin ;

Mon bien-aimé est pour moi une grappe de Chypre.

L’auteur de préciser que le raisin de Chypre était réputé pour ses grappes énormes et sensuelles.

La courbure de tes reins est comme un collier,

Œuvre de mains habiles ;

Ton sein est une coupe arrondie

Remplie d’un vin aromatisé.

O TEMPORA, O MORES

Tout n’est pas que douceur et sensualité dans les textes sacrés, comme le montre la « parabole des vignerons homicides » tirée de l’Évangile selon saint Marc. En résumé, si les vignerons ne paient pas leurs loyers, malgré les rappels à l’ordre et le sacrifice de son fils unique, le maître les fera zigouiller.

Retenons enfin cette parole du Christ, rapportée par l’évangéliste saint Jean : je suis la vraie vigne et mon père est le vigneron qui permet de comprendre la suite, c’est-à-dire l’omniprésence de la vigne et du vin dans l’histoire de la Chrétienté.

ORA ET LABORA

Au Moyen-Âge, les valeurs de la civilisation trouvèrent refuge dans les monastères, cette citation d’Hugh Johnson tirée d’Une histoire mondiale du vin ouvre le cœur du livre, l’« histoire de la viticulture monastique ».

A quoi bon résumer ces 100 pages annotées au moins 100 fois ? Chacun y trouvera une petite réponse à ses propres questionnements spirituels- spiritueux ?

Tenez, cette fameuse Règle de saint Benoît, tellement emprunte de sagesse et de bon sens qu’elle est toujours en vigueur : Ora et Labora. L’auteur rappelle que la Règle fait grand ’place à la charité envers le prochain. Tous les hôtes qui se présentent au monastère sont reçus comme le Christ, afin qu’ils puissent dire J’ai demandé l’hospitalité et vous m’avez accueilli.

N’est-ce pas d’une actualité brûlante ?

DÉJÀ LA BOURGOGNE

Pour celui qui aurait tendance à s’y perdre entre Cluny, Cîteaux, Clairvaux, entre les Bénédictins, les Clunisiens et les Cisterciens, le livre apporte les repères nécessaires pour comprendre comment en ce début du deuxième millénaire, la Bourgogne a été le berceau du renouveau de la viticulture et de son extension dans l’Europe entière. Les moines de Saint-Vivant doivent être regardés, au même titre que les Cisterciens, comme les inventeurs de la notion de climat, fondatrice de notre modèle de viticulture bourguignonne note Aubert de Villaine, co-gérant du célébrissime domaine de la Romanée Conti.

Les moines ont-ils goûté la terre pour délimiter les terroirs viticoles ? La question fait débat que l’auteur se garde bien de trancher.

CHANGEMENT DE MAINS

Grandeur et décadence est le lot de toutes civilisations, chrétienne ou pas. Les épidémies, les guerres de Religion et les autres, l’extrême richesse de ces ordres monastiques qui n’encourageait plus à la vertu ont eu raison de ces édifices matériels et spirituels achevés par la Révolution.

Les vignes, patiemment plantées et entretenues ne furent pas perdues pour tout le monde.

L’indéfectible optimisme du général le conduit à titrer son dernier chapitre « La renaissance de la viticulture monastique ». Il pose indirectement la question qui brûle les lèvres de tout amateur : un vin élaboré par des moines ou des moniales est-il meilleur qu’un vin laïc ?

La photo de couverture donne un début de réponse, avec cette dédicace : En regardant le ciel, les moines ont dessiné les jardins de la terre. Plus concrètement, le travail des moines et des moniales vignerons est décrit comme un labeur d’humilité, fait de tâtonnements et d’obstination, sans guère de moyens mais encouragé par de grands esprits comme l’œnologue du Rhône-sud Philippe Cambie ou le paysan philosophe Pierre Rabhi.

ENTRE CIEL ET MER

L’abbaye de Lérins fait exception à la règle du dénuement.  Située sur l’île saint Honorat dans la baie de Cannes, c’est un lieu d’enchantement. Son vignoble, vieux de 1600 ans a connu une histoire tumultueuse et a bien failli disparaître dans les années 1980.

La renaissance qu’il connait aujourd’hui tient du miracle. Ses huit hectares cultivés sont un modèle de biodiversité et permettent une production d’environ 30 000 bouteilles, vinifiées et élevées dans l’île. Et exportées dans le monde entier.

On peut faire son marché au magasin du monastère : vins, liqueurs, eaux-de-vie, miel, etc. ou sur le site de l’Abbaye de Lérins. Ou encore sur le site des vins d’Abbayes. Les vins sont extrêmement qualitatifs. La cuvée préférée du général porte le nom de saint Lambert, 100% mourvèdre élaborée par frère Marie, maître de chais ; comptez 96€ quand même pour le millésime 2017, mais il y a des vins plus accessibles.

L’avenir de la vingtaine de moines vignerons cisterciens paraît assuré et il se dit qu’on se presserait au portillon ! La tradition de charité n’est pas oubliée pour autant avec les 500 bouteilles du clos de la Charité vendues aux enchères chaque année au profit d’associations caritatives.

ENTRE CIEL ET TERRE

Nous arrivons probablement aux plus belles pages du livre que l’auteur a dédiées à Dom Gérard, – le bénédictin Gérard Calvet – fondateur et premier abbé de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux. La description des lieux – entre mont Ventoux et dentelles de Montmirail vous donne envie d’y aller randonner illico.

Le projet vigneron de Via Caritatis possède un souffle qui le portera loin car les moines travaillent sur le temps long et veillent à y associer leurs voisins vignerons. Leur travail d’assemblage est unique comme le montre cette une vidéo très motivante pour passer à l’action-dégustation.

C’est chose faîte avec la cuvée Vox in Deserto du domaine Via Caritatis produit par les moines du Barroux, à Beaumont en Ventoux (Vaucluse), une bouteille à 10€ trouvée à l’Artisanat monastique de Nantes. 

Déjà le bouchon m’interpelle et c’est notre ami sommelier Jean-Michel Deluc, fondateur du site Petit Ballon qui a trouvé les mots justes : un vin juteux, fruité, frais, épicé, complexe. L’élevage est maîtrisé et offre un vin voluptueux plus que charitable. La bouteille fut ouverte sur le poulet rôti du dimanche. J’aurais aimé trinquer avec le général.

Jean Philippe

Image à la Une : ©aletia

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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