Avez-vous du Xérès dans votre cave ?

Ce panneau autoroutier à la sortie de Tavira en Algarve est une invitation au voyage.

On passe devant une fois, dix fois, et puis on se dit un jour : on y va !

L’Andalousie de l’ouest est séparée de l’Algarve par le très beau fleuve Guaiana. Même climat délicieux en automne, même villages mauresques haut perchés et blanchis à la chaux, même végétation méditerranéenne. Il faut juste s’habituer à dire muchas gracias au lieu d’obrigado.

Ah ! quand même un bon point pour l’Espagne : les autoroutes sont gratuites et l’essence 30 centimes moins cher.

JEREZ-XERES-SHERRY

L’amateur de virées viticoles n’a pas hésité longtemps sur la destination. Ça sera Jerez de la Frontera, à 250 km de la frontière avec un gros détour à l’est. Eh oui ! le premier pont sur le Guadalquivir est à Séville. A part peut-être Cognac, il n’y a pas de ville au monde qui incarne davantage une boisson alcoolisée dans la culture universelle : Would you enjoy a glass of sherry ? Voilà une invite qui fut proposée des milliards de fois dans les foyers de langue anglaise, des plus nobles aux plus populaires. Rappelons que sherry est une forme altérée de la prononciation de jerez ; nous Français l’appelons xérès.

Pourquoi cet engouement immodéré des britanniques pour le sherry ? Hugh Johnson, auteur de « l’histoire mondiale du vin » avance une explication. Au XVIème siècle les andalous avait acquis des Maures la maîtrise de la distillation du vin et de la fabrication de l’alcool- un mot dérivé de l’arabe al-khôl.

Le vin acide issu du cépage palomino ne supportait pas la traversée de Cadix à Southampton. Rajoutez-lui un peu d’eau-de-vie, le vin n’en sera que meilleur et en plus, il bonifiera avec le voyage en mer. Auraient-ils pompé l’idée aux maisons de vins de Porto ? Il y a controverse.

ON OUBLIE JEREZ

Ma déception à l’approche de Jerez fut à la hauteur de mes attentes. Une grosse ville ceinturée d’entrepôts plus ou moins désaffectés, une circulation intense et un centre-ville inaccessible. On oublie et on file vers la perle de la Costa de la Luz : Sanlucar de Barrameda.

OÙ SONT LES VIGNES ?

La trentaine de kilomètres qui séparent les deux villes offrent un spectacle mille fois photographié, celui des collines dénudées, d’une blancheur éclatante, les albarizas, très riches en calcaire qui reposent sur une couche argileuse.

Ce sol calcaire fonctionne comme une éponge en stockant l’eau nécessaire à la végétation. Il est souvent comparé à la Montagne de Reims par son aspect crayeux, mais la Champagne est couverte de vignes, alors qu’ici, le paysage est couvert d’éoliennes.

Finalement, je trouve une vigne de palomino, qui partage son terroir avec une plantation d’oliviers formatés pour la récolte mécanique. Loin de m’enthousiasmer cette vigne me désole plutôt. Elle venait d’être vendangée et il restait tous les stigmates qu’un vigneron de chez nous détesterait voir dans sa vigne.

SUR LES RIVES DU GUADALQUIVIR

Sanlucar est une « petite cité de caractère » millénaire, construite sur une colline à l’embouchure du majestueux Guadalquivir. Tout à la fois, port de pêche, ville de négoce et d’élevage viticole, station balnéaire, la cité exhibe fièrement ses vieilles maisons andalouses, son château médiéval, ses églises, ses rues animées et sa fierté locale : le manzanilla.

C'est quoi le manzanilla ?

C’est le nom d'un vin très pâle, léger au palais, sec et peu acide, au léger parfum de camomille, traduction du mot manzanilla. Ce vin à garder au frais se consomme pur ou allongé de limonade. Il est exclusivement produit à partir du cépage palomino à Sanlucar et dans les communes limitrophes. C’est l’opposé d’un vin de terroir. Ce n’est pas le sol qui fait le vin mais l’homme.

Son aboutissement repose sur l’ingéniosité humaine à lui faire subir plusieurs transformations réussies :

  • l’ajout très limité d’eau-de-vie au moment de sa fermentation
  • l’élevage en barrique sous voile de fleur (velo de flor) de 3 à 12 ans,
  • la régénération des levures par l’apport de vins jeunes entonnés dans les fûts selon la technique de la solera (voir plus loin)

L’aération et les vents marins jouent un rôle essentiel dans l’oxydation maîtrisée qui en développe des saveurs et arômes hors du commun (amande et noix, notamment). Les collègues-concurrents de Jerez ont développé un même vin appelé vino fino issu du même cépage mais sur une bien plus grande échelle. Les familles propriétaires de caves à Sanlucar considèrent bien sûr que le manzanilla est supérieur à l’« autre » grâce au microclimat particulier influencé par l’estuaire. On ne prendra pas parti.

PRISE DE TÊTE

L’ingéniosité humaine n’a cessé de tourner en multipliant les assemblages- les blends dont raffolent les Britanniques- les temps de vieillissement pour obtenir des vins plus doux, plus tranchants, plus complexes, plus chers, toujours sous le contrôle sourcilleux du Consejo regulador, le plus ancien d’Espagne. Du plus simple au plus complexe : il y a le manzanilla fina (3 ans de vieillissement), le manzanilla passada (vieilles vignes et 6 ans de fût), en rama (non filtré). Dans la famille des Jerez, on débute par le fino, l’amotillado, le palo cortado, l’oloroso, le pale cream, medium cream, les dulce naturales (Pedro Ximenez, Moscatel), et j’en oublie surement.  Pour en savoir davantage, La Passion du Vin a publié une note explicative claire et précise, idéale pour la préparation du WSET 3.

HOMMAGE À MAGELLAN

Petite ballade sur l’immense plage qui fait face au Parque National de Doñana, la fierté écologique de l’Andalousie. Un paradis de biodiversité inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO couvrant des milliers d’hectares de marais, plages, dunes et forêts. Nombreuses excursions à la journée en véhicule 4×4 au départ de Séville, si cela vous tente.

Ma préférence allait plutôt à la contemplation de l’embouchure du Guadalquivir. De cette plage il y a 500 ans, le portugais Fernando Magellan et ses compagnons s’embarquèrent pour l’incroyable exploit de la première circumnavigation. Magellan, lui, ne revint pas. C’est son second, le basque Juan Elcano, qui fit un retour triomphal à Séville, 3 ans plus tard, sur la  Victoria, seule caraque rescapée de l’expédition.

ŒNOTOURISME À L’ANCIENNE

Le vin m’appelle, alors ne soyons pas en retard pour la visite des Bodegas Barbadillo, la plus ancienne et la plus respectée des caves de Sanlucar. Le domaine s’étend sur plusieurs hectares au coeur de la ville, près du château mauresque. Un hall d’entrée en rotonde, surchargé de présentoirs de grande distribution vous conduit à l’accueil administratif : it’s 10 euros for the visit, with a tasting of 5 wines and a discount if you buy something. Je me souviens soudainement d’Hervé Novelli aux Trophées de l’œnotourisme, qui nous disait que nous étions en retard sur l’accueil en France…

Le groupe se forme, essentiellement des touristes venant d’Europe du Nord. Puis nous partons pour la visite sous la conduite de Peter, un jeune hollandais, plutôt connaisseur. Quelqu’un fait remarquer que les murs sont sales, the angels share précise le guide. Évidemment, je prends la parole et parle de Cognac, ce qui agace l’animateur.

La bodega catedral est surement le clou de la visite. Cet espace sombre, tout en hauteur abrite 5000 fûts de 500 l en chêne américain. Ils sont empilés sur 3 ou 4 niveaux car la solera fonctionne par gravitation.

C'est quoi la solera ?

Tout au presque a été écrit sur la technique multi-centenaire de la solera qui permet en théorie de faire vivre un vin….éternellement. Solera, c’est à la fois une technique de vieillissement du vin, un dispositif d’empilage de tonneaux et aussi une philosophie de la vie : «les vins les plus vieux éduquent les plus jeunes. » Le mot solera vient du mot sole pour exprimer ce qui touche terre. Le fût qui va livrer le vin à boire est celui qui touche terre. Il est aussi appelé saca (du verbe tirer, sortir) plus familièrement. Cela a plu aux Anglais qui l’ont A appelé sack. L’ensemble des fûts empilés au-dessus s’appelle la criadera (l’élevage).

Le principe est ainsi posé : on vide progressivement le fût d’en bas qui va retrouver son niveau avec le jus du fût d’au-dessus. Lui-même va ressentir un vide qui sera comblé par du vin tiré d’un fût placé plus haut encore. L’apport de vin nouveau se fait par les fûts situés tout en haut. C’est par gravitation que le vin s’écoule d’un fût à l’autre. Le technicien de cave s’occupant, lui, de placer ses tuyaux et de gérer les débits. En fait c’est plus compliqué que ça. A l’intérieur du fût, on trouve de l’air, pour un tiers. Une moitié de vin et le fond composé d’un tapis de lies et levures mortes. Une fine pellicule appelée voile de fleur composée de levures se forme à la surface du vin et le protège de l’oxydation. C’est un phénomène naturel qui apparaît spontanément et provoque la maladie de la fleur que les vignerons combattent par l’ouillage du vin. Là c’est le contraire,  quand le technicien va introduire son tuyau pour le remplissage ou la vidange, il devra casser très délicatement le voile de fleur et surtout ne pas mélanger l’ensemble.

Ces opérations sont aujourd’hui automatisées, au moyen d’un dispositif piloté par ordinateur qui comportent beaucoup de tuyaux- d’où son surnom « la pieuvre ». Le maître de chai fait tourner la solera 5 à 6 fois l’an, lorsqu’il souhaite mettre en bouteille son vin.

QUAND DÉMARRE UNE SOLERA ?

Le secret est bien gardé. On sait que certaines soleras toujours actives ont démarré au siècle dernier. Une solera va s’arrêter en cas de problèmes techniques, de fuites par exemple, ou lorsque les levures ne repartent plus en fermentation avec l’apport de vin plus jeune.  L’exemple de ce XP VORS de Lustau qu’on retrouvera en dégustation, indique : le cépage pedro ximenez, l’ancienneté de la solera : plus de 30 ans, et son label de prestige :Very Old Rare Sherry pour un prix de 65€ les 50cl.

L’immense avantage de la méthode solera, c’est qu’elle gomme l’effet millésime et les risques climatiques. Une année exceptionnelle peut succéder à une année médiocre, le résultat n’apparaîtra pas dans la solera qui offre un produit de qualité constante.

L’immense inconvénient de la méthode solera, c’est qu’elle passe à côté des millésimes exceptionnelles. Là où vous trouverez chez DrinkandCo par exemple, des dizaines de portos millésimés à plus de 1000 euros la bouteille, les sherries plafonnent eux à 150 -200 euros. Très loin des vins les plus prestigieux et les plus chers de la planète.

L’employé de cave mettait le tuyau dans la bonde du fût de dessous et laissait couler le jus. Aujourd’hui c’est la « pieuvre » qui fait le boulot, on devait la voir mais elle était en réparation. Si j’ai bien compris, Il s’agit d’une pompe pilotée par ordinateur avec des tuyaux dans tous les sens qui aspirent et recrachent au bon endroit.

OÙ EST LE MANZANILLA BIO ?

Et puis, vint la dégustation. Les deux premiers vins étaient des vins blancs secs (non mutés) que la maison essaie de mettre en avant. Mes préférences allèrent au Manzanilla pasada Pastora, pour son côté rancio puissant, son goût de noix qui tient en bouche. Et le cream, pour la mystérieuse Eva qui figure sur l’étiquette.

A ma question sur l’existence d’un manzanilla bio ou organique, il y a eu un trouble. Peter a été incapable de répondre. Un participant scandinave nous explique que bientôt, on ne pourrait plus exporter un vin en Suède, s’il n’est pas certifié bio à la norme européenne. Je devais voir le directeur marketing mais il n’était pas disponible, passons. On me montre le vin blanc de la tierra de Cadix « ecologico organic » produit la bodega, mais ce n’est pas le manzanilla.

Je quitte la bodega en me posant beaucoup de questions sur l’avenir de ces vins hors normes et hors du temps. Cette maison bicentenaire toujours aux mains de la même famille, pourrait-elle s’adapter aux changements ? Leur façon de pratiquer l’œnotourisme ne m’incite pas à l’optimisme. Le vin muté, enrichi, fortifié – appelons-le comme on veut – survivra-t-il à la demande croissante pour des vins plus naturels et moins alcoolisés ?   D’autres questionnements surgissent comme la multiplication des nuances et des appellations folkloriques si difficiles à comprendre que ça en devient décourageant.

RENCONTRE FRANCOPHONE

Mes pensées sombres furent rapidement balayées à mon arrivée à Bajo de Guia, sur la rive du Guadalquivir. Un petit quartier portuaire, authentique où débarque massivement un public andalou bruyant et amical à l’heure de l’aperitivo. Ici, c’est plutôt la bière qui trône sur les tables. Les occasions de parler français ne sont pas légions par ici, alors quand deux personnes- en l’occurrence belges – me proposèrent de partager un verre, je ne me fis pas prier. Ah ! vous écrivez sur le vin ? Avez-vous vu les vignes au moins ? Je lui fais part de ma déception.

Mon interlocuteur qui souhaite rester discret, je l’imagine en consultant international, m’explique : L’Andalousie de l’ouest est en train de devenir l’eldorado mondial des énergies renouvelables, avec 300 jours de soleil par an et son vent constant et régulier. Vous connaissez Siemens-Gamesa? C’est le plus gros fabricant d’aérogénérateurs et de panneaux solaires. Entre Cadix et ici, on ne reconnait plus le paysage, ils en installent partout. Alors les vignes de Jerez, pour ce que ça pèse économiquement….

UN PEDRO XIMENEZ, POR FAVOR

Ne voulant pas abuser de leur hospitalité, je m’installe à ma table solo et me fis servir en guise de dessert un PX VORS- Pedro Ximenez Very Old Rare Sherry de la maison Lustau. Le préféré de mon ami Eryck lorsqu’il dégaine un gros cigare. Un sirop de couleur acajou très sombre. Le nez est magnifiquement expressif : compote de figues, pruneau.

La bouche, presque huileuse, imprime une longueur si incroyable que vous avez envie de l’interrompre avec une gorgée d’eau. Sacrilège !

Ces vins hors norme, hors du temps ne peuvent disparaître. Ils vont se relancer et le plus tôt sera le mieux. Les compagnies d’énergies renouvelables en seront peut-être les nouveaux soutiens, comme il y a 50 ans les bodegas Osborne et Byass ont soutenu l’élevage des taureaux de combat dans la plaine du Guadalquivir, menacé de disparition.                   

 

ÉTERNELLE ANDALOUSIE

Comme souvent, les initiatives viennent des vignerons indépendants. A l’exemple de la  bodega Luis Perez, visitée par Jean-Luc en 2019 qui tente de réintroduire des cépages rouges traditionnels ou El Muelle qui vendange son palomino avec la méticulosité des anciens. Croyons en l’Andalousie éternelle :  celle du taureau, du cheval, du flamenco, des ferias et du Jerez….et de Carmen !

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

2 commentaires

  1. Ponseel dit :

    Excellent article à lire en écoutant « les lavandières du Portugal » chanté par Jacqueline François.

  2. Jean-Philippe RAFFARD dit :

    Tant qu’y aura du linge à laver
    On boira de la Manzanilla
    Tant qu’y aura du linge à laver
    Des hommes on pourra se passer
    Et tape, et tape, avec ton battoire
    Et tape, et tape

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