Parfois, il y a des articles qu’on n’a pas envie d’écrire, celui-là en fait partie. Lorsque nous avons entrepris cette série d’articles sur le Prix des Vignes il y a 8 ans, jamais nous n’aurions imaginé un tel retournement de situation ! L’installation et la production viticole paraissaient promises à un avenir radieux : un marché qui cartonne ! écrivions-nous encore en 2020…
Le changement climatique, la géopolitique et…les consommateurs en ont décidé autrement.
Les chiffres publiés par la FNSafer viennent donner un éclairage plus pointu à cette évolution. Précisons que si la publication annuelle des stats de la Safer en partenariat avec le Ministère de l’Agriculture est un moment toujours très attendu (ce sont elles qui révèlent les tendances du marché des vignes de l’année écoulée), elles ne restent que des statistiques, c’est à dire des moyennes souvent pondérées par des excès, à la hausse comme à la baisse. le contexte est connu
Il faut dire que la conjoncture n’est pas favorable : la récolte viticole française est en baisse de 24% par rapport à 2023 et atteint un niveau historiquement bas, impactée par des conditions météorologiques très défavorables et des pertes dues au mildiou.
Est-ce rassurant ? Ce recul est mondial selon l’OIV avec une baisse de la production de 2% soit l’un des niveaux les plus bas des 60 dernières années.
En France il est généralisé dans l’ensemble des bassins viticoles avec des baisses particulièrement marquées dans le Jura, en Champagne et en Bourgogne notamment.
On parle de production, mais côté ventes ça ne s’arrange pas : sur le marché intérieur, celles des vins tranquilles en grandes et moyennes surfaces poursuivent leur baisse :- 5%. Cette diminution concerne davantage les rouges (- 7 %) ou les rosés (- 6 %) que les vins blancs.
D’août à décembre 2024, les exportations de vins français, hors spiritueux, connaissent un léger rebond en volume et en valeur (+ 4 %) par rapport à la même période en 2023, portées par les vins sans IG et un regain de dynamisme du marché nord-américain. Un effet lié à la création de stocks par les importateurs avant la mise en place des taxes Trump ? Tout comme pour le cognac qui enregistre une hausse de 7 % du volume exporté.
À l’inverse, le volume exporté de champagne baisse de 1 %, retrouvant son niveau de 2020.
moins de transactions
Côté transactions, leur nombre baisse légèrement en 2024 (- 1,4 %), traduisant un ralentissement du repli amorcé en 2023. Mais il est important de distinguer les transactions de biens bâtis et non bâtis.
Le marché des biens non bâtis enregistre une baisse de 2,7 % en nombre et en surface, alors que les transactions de biens bâtis progressent significativement en nombre (+ 27,5 %) et en surface (+ 12 %), portées par la Vallée du Rhône-Provence (34,8 % des transactions).
La valeur globale des biens bâtis est toutefois en repli (- 18,9 %), du fait de baisses importantes en Bordeaux-Aquitaine et Languedoc-Roussillon. Mais, encore une fois, toutes ne sont pas logées à la même enseigne.
La baisse limitée du prix des vignes AOP en 2024 (- 1,1 %) masque des situations contrastées, entre une deuxième année de baisse dans trois bassins (Bordeaux-Aquitaine, Sud-Ouest et Languedoc-Roussillon) et une hausse marquée en Bourgogne- Beaujolais-Savoie-Jura. La baisse du prix des vignes à eaux-de-vie OP (VEDVAOP), amorcée en 2023 (- 6,4 %), s’accentue en 2024 (- 9,8 %). De même, le prix des vignes hors AOP cède 7 %, après un repli de 1,8 % en 2023.
La moitié Sud à la peine
En Bourgogne-Beaujolais-Savoie-Jura, la hausse de 11 % est soutenue par l’ensemble des appellations de la Côte-d’Or, en particulier les Premiers crus blancs (+ 13 %). Malgré une légère ouverture en 2024, le marché y reste très concurrentiel et les prix sont influencés par le marché sociétaire. Ailleurs dans le bassin, les appellations de l’Yonne participent également à la hausse, en particulier le Chablis premier cru (+ 25 %).
En Champagne, les conditions climatiques et la pression sanitaire ont impacté la récolte. Le recul des expéditions suscite la prudence. Pour autant, le prix moyen progresse de 1,7 %. Seule la Côte des Blancs cède 3 %, alors que des hausses sont enregistrées ailleurs dans la Marne ainsi que dans l’Aube et l’Aisne.
En Alsace-Est, la relative stabilité des prix masque des disparités selon les cépages et les terroirs. Si certains grands crus ou lieux-dits restent attractifs, d’autres secteurs moins réputés ou plus sensibles aux aléas climatiques ne trouvent plus preneur.
En Val de Loire-Centre, des baisses en Loir-et-Cher (Touraine) et Maine-et-Loire (Anjou et Saumur) entraînent le repli du prix moyen (- 2,2 %) tandis que certaines appellations continuent de progresser (Pouilly-Fumé, Reuilly).
Val de Loire-Centre | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Chinon | 25 000€ | 26 000€ | -4% |
Haut-Rhin | 90 000€ | 70 000€ | +29% |
La crise viticole se poursuit et la baisse du prix moyen du bassin Bordeaux-Aquitaine s’accélère en 2024 (- 18,4 %). Les Bordeaux et les Côtes de Bordeaux s’échangent désormais sur les mêmes bases de prix, à 8 000 euros/ha en moyenne. Les baisses des appellations intermédiaires se poursuivent également, telles que Saint-Emilion (qui avait déjà baissé de 10% en 2023). Les appellations communales les plus prestigieuses Pauillac et Margaux n’échappent plus à la tendance.
Bordeaux | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Saint-Emilion | 250 000€ | 270 000€ | -7% |
Pauillac | 2 500 000€ | 3 000 000€ | -17% |
Les excès d’eau et le mildiou dans le Sud-Ouest et la sécheresse dans le Languedoc-Roussillon s’ajoutent à la crise de commercialisation des vins rouges. Dans ces bassins viticoles où les prix chutent de 9,1 % et de 5,1 %, de nombreuses appellations sont en baisse alors que des campagnes d’arrachage ont débuté.
Languedoc-Roussillon | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Faugères | 14 000€ | 15 000€ | -7% |
Saint-Chinian | 10 000€ | 11 000€ | -9% |
En Vallée du Rhône-Provence, une situation contrastée mène à une quasi-stabilité du prix (- 0,5 %). La crise des Côtes du Rhône se renforce dans la Drôme et dans le Gard. À l’opposé, plusieurs appellations poursuivent leur ascension : Châteauneuf-du-Pape (+ 2 %), Saint-Joseph (+ 7 %). Dans le Var, malgré une conjoncture moins favorable pour le rosé, le prix des vignes se maintient.
Vallée-du-Rhône-Provence | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Costières de Nimes | 19 000€ | 15 000€ | +27% |
Côtes-du-Rhône Villages | 15 000€ | 16 000€ | -6% |
les vignes hors AOP font le yoyo
Pour la deuxième année consécutive le prix des vignes hors AOP baisse car il suit dans de nombreux bassins viticoles la tendance des vignes AOP. La baisse est de 7 % en moyenne et concerne presque tous les bassins, à l’exception de la Corse.
Hors AOP | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Vallée du Rhône-Provence (84) | 14 000€ | 15 000€ | -7% |
Val de Loire-Centre (44) | 9 000€ | 9 000€ | 0% |
Val de Loire-Centre (41) | 4 000€ | 5 000€ | -20% |
Sud-Ouest (82) | 6 000€ | 6 500€ | -8% |
Languedoc-Roussillon (34) | 14 000€ | 17 000€ | -7% |
Le prix des vignes hors AOP a diminué de 27 % en valeur constante entre 2000 et 2010, dans un contexte de crise aiguë du secteur. Quand on regarde l’évolution du prix de ces vignes on voit qu’entre 2010 et 2022, la tendance s’est inversée et le prix était en 2021 supérieur de 24 % à la valeur plancher de 2010. Cette tendance reflétait en particulier le regain d’activité du vignoble languedocien. Une baisse s’amorce toutefois en 2023, qui s’accentue en 2024, dans un contexte de difficulté de commercialisation, en particulier concernant les vins rouges.
Le cognac dans la tourmente
Les difficultés de la filière cognac se poursuivent en 2024. Les financements bancaires et la contractualisation avec les maisons de négoce sont difficiles à obtenir, et la demande de foncier diminue. Conséquence, le prix des vignes permettant la production d’eau-de-vie sous AOP baisse de 9,8 %. Malgré le redémarrage des exportations en fin d’année 2024, le contexte politique mondial et le volume actuel du stock, correspondant à onze années, ne laissent pas entrevoir une sortie de crise à court terme.
Charentes-Cognac | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Cognac Bons Bois(16) | 35 000€ | 40 000€ | -13% |
Cognac Petite Champagne (17) | 60 000€ | 62 500€ | -4% |
Pourquoi les moyennes sont faussées
Hormis deux inflexions en 2006 et 2013, le prix moyen national des vignes AOP a enregistré, en valeur constante, une hausse ininterrompue entre 1997 et 2018 et a été multiplié par 2,7 sur cette période. Cette évolution était notamment soutenue par la progression rapide du prix du Champagne, lui-même multiplié par 3,2 en 21 ans. La baisse des prix en Champagne entre 2018 et 2020 a ensuite stabilisé le prix moyen national. À partir de 2022, le prix diminue : la baisse est de 6,4 % en valeur constante entre 2022 et 2024.
Champagne | 2024 | 2023 | évolution 2024/2023 |
Côte des Blancs (51) | 1 631 711€ | 1 682 773€ | -3% |
Aube(10) | 950 256€ | 932 154€ | +2% |
Hors Champagne, après avoir enregistré une baisse de 13 % entre 2003 et 2006, le prix moyen a repris 69 % entre 2006 et 2022. Pendant ces sept années, la hausse de la valeur moyenne était tractée par la progression régulière des prix dans les appellations prestigieuses, qui bénéficient d’un attrait en tant que valeur refuge auprès d’investisseurs fortunés, telles que les Grands crus de Gironde ou de Côte-d’Or, le Sancerre dans le Cher ou le Châteauneuf-du-Pape dans le Vaucluse.
L’année 2022 marque le début d’un tassement, au moins dans le Bordelais, où ces appellations haut de gamme ne progressent plus.
En 2024, la divergence des évolutions se confirme : seules les appellations côte-d’oriennes poursuivent leur ascension, tandis que la stabilité prévaut sur les autres appellations prestigieuses et des baisses, parfois importantes, touchent de nombreuses appellations en rouge.
Mais il ne faut pas oublier que derrière ces transactions, il y a des femmes et des hommes, autant d’individualités qui se sont topées dans la main autour d’un prix convenu.
François
Tous les prix sont consultables sur le site le-prix-des-terres.fr
Toutes les données figurant dans cet article sont issues de l’analyse des marchés fonciers ruraux publiée par la FNSafer.
Image à la Une : FreeProd33 Shutterstock