la 61ème clé : faut-il encore désalcooliser le vin ?

« Le vin : 60 clés pour comprendre l’œnologie » ? Voici le petit livre (152 pages) que Fabienne Remize et Véronique Cheynier, enseignants-chercheurs à l’INRAE ont publié récemment auxÉditions Quae, une maison d’édition scientifique et technique.

Génération Vignerons a adoré cet ouvrage compact, précis, argumenté et accessible, jamais pontifiant et joliment illustré. Le principe original des « clés pour comprendre » est de proposer au lecteur une approche non-linéaire d’un sujet- ici l’œnologie- sous le prisme de 60 clés ou questions, comme cette vidéo en donne un aperçu.

Y aurait-il une 61ème clé pour (mieux) comprendre l’œnologie ?  C’est la question que nous avons voulu poser et nous remercions vivement les autrices d’avoir accepté de relever le défi de la 61ème clé : Faut-il encore désalcooliser le vin ?


Fabienne Remize et Véronique Cheynier : Les signes avant-coureurs se manifestaient depuis quelque temps, mais l’année 2024 est bel et bien en effervescence autour de la question de la diminution du degré d’alcool dans les vins. Partout, tous n’ont que les mots no-low à la bouche. Dans la mouvance du Dry January qui connait un succès grandissant, ces boissons (no : sans alcool, low : à teneur réduite en alcool) ont le vent en poupe, notamment chez les jeunes. Le vin no-low ne représente que 10% de ces boissons, loin derrière la bière et les cocktails. Trois motivations principales ont été recensées par le baromètre Sowine 2024 chez ces consommateurs : réduction de sa consommation d’alcool, préservation de sa santé et, peut-être plus surprenant au regard de nos idées reçues, appréciation du goût de ces produits.

le low n’est pas no

Mais revenons au vin. Pour bien comprendre, les no font ici référence aux vins désalcoolisés, précisément lorsque le degré est inférieur à 0,5° alc. Les low sont des vins dont le degré est inférieur à 11° alc. et généralement supérieur à 8,5° alc. La croissance à deux chiffres du marché bouillonnant des no-low est le témoin le plus marquant de sa dynamique.

Mais partant de quasi-zéro, il convient toutefois de modérer notre enthousiasme.

La commercialisation des vins désalcoolisés date du début des années 1990 et ces boissons étaient alors jugées assez peu qualitatives. Depuis, les techniques se sont affinées pour mieux conserver les arômes.

Le marché mondial des vins no-low représente aujourd’hui environ 3,5% en valeur du marché des vins (11 milliards d’euros). A l’horizon 2030, on estime que les vins no-low atteindront 7% de parts de marché. Bien sûr, cela ne permettra pas de valoriser toute la production viticole mais pourrait contribuer à diversifier ses marchés.

UN SYSTÈME SOUS PRESSION

Brièvement, les no sont obtenus en réalisant une vinification tout à fait classique, en blanc, rosé ou rouge, puis en appliquant une technique de désalcoolisation de façon à éliminer spécifiquement l’alcool. Deux techniques sont principalement utilisées, la distillation à basse température et l’utilisation de membranes sélectives. Une mise sous vide partiel permet de pratiquer la distillation autour de 40°C plutôt que 78°C. Dans ces conditions, la température d’évaporation de l’alcool est abaissée et ce procédé basse température permet de minimiser la dégradation de composés du vin et les pertes d’arômes. D’autre part, les arômes qui sont évaporés en même temps que l’alcool peuvent en être séparés par une opération supplémentaire, puis être ré-injectés à la boisson désalcoolisée.

Les techniques membranaires font appel au procédé d’osmose inverse : dans un système sous pression, les membranes utilisées laissent traverser les composés de petite taille, qui comprennent l’eau et l’alcool, et retiennent le reste. Ensuite, eau et alcool sont séparés par distillation et l’eau est ré-introduite dans la fraction retenue par la membrane.

Si l’application de ces techniques conduit quand même à une perte aromatique, elle semble d’un niveau acceptable pour les militants du no. Toutefois, d’un point de vue sensoriel, les perceptions qui résultent d’une boisson sans alcool ne peuvent en aucun cas être comparées à celles d’un vin.

UN NŒUD DE CONTRADICTIONS POUR LE NO

Dans ces temps où l’impact environnemental des activités humaines doit impérativement être réduit, où chacun cherche à limiter l’usage des pesticides dans les vignes, du diesel pour les tracteurs, de l’électricité et de l’eau dans les chais et le poids de la bouteille, le silence autour de la question de l’impact environnemental des no est incroyablement étonnant. Il faudrait donc cultiver la vigne, récolter le raisin et le vinifier dans les règles de l’art et avec tous ses impacts, pour finalement désalcooliser le fruit de ce travail ?

Appliquer un traitement supplémentaire qui apporte sa propre contribution énergétique et sa propre consommation d’eau pour obtenir une boisson sans alcool, bien différente du jus initial ? Si l’intérêt des no pour tous ceux qui ont du mal à écouler leurs stocks de vins est bien compréhensible, la démarche n’en reste pas moins déstabilisante quand on est attaché à la tradition viti-vinicole et quand on tient à préserver notre environnement.

LE BIO DANS L’IMPASSE

Passons donc sans plus tarder aux low. Du fait du changement climatique, on observe une augmentation du degré d’alcool des vins de quasiment 1° alc. par décennie, c’est-à-dire près de 4° alc. depuis les années 80. Parallèlement, les consommateurs sont de plus en plus sensibilisés aux risques liés à la consommation d’alcool et à juste titre la tendance est à la diminution de l’alcool ingéré. Il parait donc logique de vouloir revenir à des vins à 12° alc. et moins. Bien entendu, on peut appliquer les techniques de désalcoolisation des no pour y arriver, avec les mêmes bémols environnementaux. On peut également, par des techniques membranaires notamment, éliminer une partie du sucre des moûts.

D’un point de vue réglementaire, si la baisse du degré par ces procédés est inférieure à 20%, l’appellation peut considérer qu’il s’agit d’une correction, et en conséquence, il n’est pas nécessaire de modifier le nom, ni d’indiquer par quel moyen ce vin a été obtenu. Exception faite des vins bio, bien entendu, qui n’autorisent ni les techniques membranaires, ni la distillation sous vide ! Le terme de vin sans autre mention ne peut s’appliquer que pour le produit de la fermentation du raisin et si la teneur en alcool est supérieure à 8,5°alc. Pour les degrés inférieurs, il faut obligatoirement indiquer vin désalcoolisé (moins de 0,5°alc) ou vin partiellement désalcoolisé. Notons que l’utilisation de la mention « vin sans alcool » n’est possible que si la teneur en alcool est inférieure à 0,1° alc.

COMME TOUJOURS OBSERVONS LA NATURE

D’autres possibilités d’obtenir des vins low alcool existent. Ce sont des méthodes plus sobres que les techniques de désalcoolisation, mais qui sont exigeantes. Elles demandent une grande maîtrise de la vinification et de savoir combiner plusieurs approches. Le premier levier est le choix d’un cépage ou d’une variété de vigne, qui cultivée dans certaines conditions de sol et de climat, va présenter une maturité tardive et régulière, ou alors qui produit naturellement moins de sucres. Dans le sud-ouest de la France, ce sera par exemple un riesling ou un ugni blanc.

Choisir un cépage est une démarche de long terme car la vigne est plantée pour des décennies. Une fois la vigne productive, il faut associer d’autres approches viticoles pour obtenir moins de sucre dans les baies. Par exemple, une réduction de la surface de feuilles va limiter la photosynthèse et donc l’accumulation des sucres pendant la maturation des raisins.

Au chai, un choix judicieux de levures de fermentation peut permettre de produire un peu moins d’alcool pour une même quantité de sucres. La levure Saccharomyces cerevisiae, la levure fermentaire par excellence, est très stable dans sa capacité à produire de l’alcool. Des approches de sélection et d’évolution ont permis de jouer sur environ 1° alc. On peut aussi travailler avec d’autres levures, présentes naturellement au début de la vinification, et qui vont convertir les sucres en différents composés non alcooliques. La maitrise de ces levures est encore balbutiante et la recherche mobilisée pour accompagner cette évolution. Enfin, l’étape de l’assemblage, qui consiste à mélanger les vins produits en cuves mono-cépages du même millésime, est cruciale. A cette étape, le vigneron peut assembler une cuvée aromatique à teneur en alcool élevée avec une cuvée pauvre en alcool et en arômes, de façon à obtenir un vin équilibré au plan aromatique et à teneur en alcool faible.

ET SI ON MOUILLAIT LE VIN ?

Reste un dernier levier, autorisé en Australie et aux Etats-Unis mais strictement interdit en France et en Europe, qui consiste à diluer le moût de raisin avec de l’eau. Cette pratique, appelée mouillage, diminue la teneur en sucres dans le moût. Elle conduit donc à des degrés alcooliques plus faibles après fermentation. Le XXe siècle a vu naitre les lois anti-fraude pour éviter la surproduction de vins et de produits abusivement appelés vins. C’est à cette époque que la pratique du mouillage a été interdite.

Cette méthode présente toutefois un intérêt environnemental évident, puisqu’elle permet simplement et sans consommation d’énergie ni d’eau supplémentaire pour le lavage, de diminuer le degré des vins. Avant d’envisager une évolution de la réglementation, il est d’abord essentiel de bien évaluer les conséquences de cette pratique sur le déroulement de la fermentation et sur les qualités sensorielles du vin obtenu. Actuellement, assez peu d’études sont disponibles, y compris à l’international, sur cette question. Il est possible d’espérer que mieux décrire et comprendre les conséquences de cette pratique permettra de proposer un cadre d’application.

Finalement, quel que soit l’engouement des consommateurs pour les vins désalcoolisés, il nous parait primordial que les vinificateurs interrogent les valeurs qu’ils projettent sur ce produit de tradition qu’est le vin et pour quelles raisons ils l’élaborent. Quel est le message qu’ils souhaitent transmettre avec les vins no ? La diminution du degré d’alcool qui conduit aux vins low nécessite quant à elle que la recherche scientifique apporte des réponses et des solutions applicables. A nos labos !

Fabienne et Véronique


Ingénieur en agroalimentaire, microbiologiste et professeur des universités, Fabienne Remize, dirige l’unité de recherche Sciences pour l’œnologie (INRAE, université de Montpellier et institut Agro Montpellier). Ses recherches portent sur les micro-organismes, notamment ceux du vin.

Ingénieur agronome et directrice de recherche INRAE, Véronique Cheynier a effectué sa carrière à l’unité de recherche Sciences pour l’œnologie à Montpellier où elle a mené des travaux sur les composés phénoliques du raisin et du vin, et leur impact sur la qualité.

Ecrit par Fabienne Remize et Véronique Cheynier

Commentaires:

  1. marc tomas dit :

    Merci pour cet article très clair sur le no-low. Mon expérience gustative est relativement mitigée, en particulier pour les rouges. Si l’alcool est la raison d’être, une consommation limitée me semble une solution alternative de valeur depuis que l’étude décrivant que le risque augmente dès un verre consommé a été revue et republiée

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