Le rôle des tannins se retrouve aussi dans la régulation des microbes. Ils permettent d’éliminer des espèces indésirables que l’on peut retrouver dans la préparation des fromages. C’est pourquoi les traditions séculaires dans la préparation de fromages en contact avec du bois se perpétuent.
Sur le même sujet, la première partie de l'article : tanin ou tannin, ami ou ennemi ?
Ce n’est donc pas que du marketing de voir un emballage en bois pour le Mont d’or, des planches de bois pour le vieillissement des Roquefort, des seaux en bois pour la traite des vaches Salers et du Cantal.
Non ce n’est pas que du folklore si le fromage de Mothais est mis dans des feuilles de châtaignier très tannifères ou encore si le Livarot est cerclé de bandelettes de feuilles de massettes…
Il y a bien là une raison scientifique qui se cache derrière ces traditions. Nos anciens faisaient d’ailleurs la traite du lait dans… des pots en bois ! Rappelons-nous que les tannins sont des molécules aux propriétés antioxidantes et antibactériennes… Elles ont donc toute leur utilité à cotoyer les protéines lactiques de nos célèbres fromages français.
les couleurs des tannins en cuisine
Les tannins permettent aussi de jouer sur les couleurs de l’alimentation car ces derniers ont une telle sensibilité à l’acidité qu’ils varient en couleurs.
Observez les anglais qui ajoutent du citron dans leur thé qui ensuite pâlit ! Les tannins sont aussi présents dans les opérations de fumage ou de fumaison. Ils ont un rôle antioxydant pour mieux conserver les aliments.
Observez les pays nordiques, pays à climat froid qui cherchent à conserver leurs poissons pour la saison hivernale par des opérations de fumage tandis que les pays chauds n’auront pas ces pratiques face au risque de prolifération des microbes.
On optera plutôt pour les épices, riches en tannins dans la lutte contre les microbes dans les pays à proximité de l’équateur comme l’Inde où la température moyenne est de 27°C. Attention, préparez votre palais pour manger votre plat épicé… d’ailleurs, on ne vous sert pas de vin rouge tannique en Inde avec vos épices, mais… du lait fermenté, le fameux lassi! Les protéines de lait, cela vous rappelle quelque chose? Elles ont une belle affinité avec les tannins pour former un joli couple de molécules complexes, faisant diversion aux protéines de votre salive!
Selon Marc-André Selosse, les plats traditionnels à base de viande utiliseraient 31 fois plus d’épices en quantité moyenne qu’en Pologne (8°C).
et dans le vin ?
Les tannins sont fortement concentrés dans les vins rouges et si l’on passe au laboratoire pour comprendre ce que contient le verre de vin rouge, il présente une richesse en fer, solubilisé et stabilisé par les tannins qui interagissent avec les ions métalliques. Cette richesse en fer explique ainsi les problèmes d’accompagnement des plats de poissons et fruits de mer avec les vins rouges : un goût désagréable métallique est créé par l’accord des tannins riches en fer avec des poissons riches en acides gras insaturés, ce qui provoque un goût sanguin ! Le goût du sang, on aime ou on n’aime pas…
Les tannins dans le raisin : une note poivrée ?
« Votre Syrah de Côte Rotie a de fines notes poivrée ? » On retrouve cette note poivrée souvent sur des vignobles d’altitude. Le responsable en est la rotundone, un dérivé de tannins présent dans certains cépages seulement, et qui s’exprime en terroir frais.
Cette molécule abonde lorsque la vigne subit des nuits fraîches lors du développement des baies et à des températures inférieures à 25°C. La température de la fermentation aide à extraire les contenus cellulaires mais cette opération se réalise au sacrifice de certains arômes du fruit. Elle oxyde un peu les tannins ce qui permet de réduire son effet astringent.
Lors des opérations de macération et d’extraction, seuls un cinquième à un tiers des tannins seront extraits, le restant étant utilisé pour l’industrie. Les vins rouges contiennent 5 à 10 fois plus de tannins que les vins blancs (1 à 4 g/litre pour rouge vs 0,1 à 0,3 g/litre pour blanc), ce qui explique pourquoi nous avons la tradition de déguster le rouge après le blanc* (*Source : Marc-André Selosse).
Le French Paradox
Les Français sont connus pour ce fameux French Paradox : ils auraient en effet bien moins d’accidents cardio-vasculaires que les Américains malgré un régime alimentaire presque aussi riche notamment en cholestérol. Dans le Sud-Ouest, on consomme des plats riches en graisse et des vins rouges tanniques. Notre nourriture française reste végétale, variée et fraîche, au reflet de notre grand pays agricole : elle contient globalement plus de tannins antioxydants que celle des Américains (manger 5 fruits et légumes par jour, ça vous dit ?).
Cet effet antioxydant des tannins de notre alimentation serait corrélé avec un risque moindre de maladies cardiovasculaires. Nous avons appris à apprécier l’amertume des tannins par notre éducation. Dans la nature, notre instinct inné (c’est génétique) est de reconnaitre et rejeter l’amertume, signe de danger pour notre survie. Nous avons 25 récepteurs pour détecter l’amertume contre 1 récepteur pour les autres saveurs (sucré, salé, acidité, umami).
Pourquoi aimons-nous alors les aliments avec de l’astringence si notre corps est génétiquement programmé pour la rejeter ? Les bières Indian Pale Ale, les vins tanniques, les endives, les thés, les cafés, le chocolat noir, les épinards… Parce que nous avons appris à les aimer par habitude alimentaire, par éducation… Mais rappelez-vous de votre enfance : le café vous faisait-il envie ? Et les endives amères que vos parents vous poussaient à finir dans l’assiette ?
De plus, selon notre pays d’origine et notre culture alimentaire, nous n’avons pas développé la même éducation à l’astringence. Des études ont montré une grande variabilité d’appréciation de l’amertume d’un individu à l’autre d’un facteur 10 000 : alors chocolat noir ou lait avec votre verre de vin rouge ?
Audrey
Article rédigé sur base des travaux de recherche dans le cadre du Diplôme Universitaire « Vers le terroir viticole par la dégustation géosensorielle » (lors d’un cours animé par Gabriel Lepousez) et la lecture du livre de Marc-André Selosse « Le goût et les couleurs du monde ».
Photo à la Une : ©AOP Salers