Sillonnons sur les petites routes sinueuses de campagne du sud-ouest.
tout plaquer
Je ne peux m’empêcher de faire un arrêt avant mon rendez-vous dans le célèbre village de Saint Emilion en plein cœur de l’hiver. Janvier, un froid sévit sur le bordelais, la brume camoufle à moitié les rangées de vignes qui forment ce joli paysage vallonné. Une humidité froide se fait sentir le long de ces murs de pierres calcaires. Je ne suis pas la seule à écrire sur la personne que je vais rencontrer. Nous sommes tous deux issus du Nord de la France. Il s’est construit tout seul, en autodidacte, tandis que je me suis construit par ma reconversion. J’ai tout plaqué, fuyant la situation confortable d’un job pour l’inconnu… et tout ça pour le même amour : l’amour du terroir, l’amour de la vigne et ses secrets, l’amour du vin ! Lui aussi a tout plaqué. Il était jeune. Il a fui Dunkerque, la ville la plus septentrionale du pays. Et il s’est reconstruit ici, dans le bordelais.
passeur de messages
Nous nous sommes rencontrés en Alsace, lors de ma formation à la dégustation géo-sensorielle au Diplôme Universitaire de Strasbourg pour approfondir ce lien entre les ressentis en bouche et le terroir, son sol, sa roche mère. Les exercices qu’ils nous a fait pratiquer m’ont bluffée. Il est un passeur de messages, ceux du terroir. J’ai voulu poursuivre nos échanges pour perpétuer cette ancienne méthode de dégustation pratiquée au Moyen-Âge. Cette rencontre, c’est avec Stéphane Derenoncourt.
Me voici en train de monter vers un village plein de charme au dénivelé surprenant (j’avoue que je ne m’y attendais pas). La vue est superbe. La nature règne tout autour de Sainte Colombe dans le Castillonais. Je passe un bâtiment nouvellement construit au panneau résumant l’histoire de ce self made man : Derenoncourt consultants. Puis, j’arrive à l’entrée d’une bâtisse en pierre. Une dame m’ouvre la porte avec une bienveillance profonde, et m’accueille tout sourire.
un nouveau monde
Stéphane arrive quelques minutes plus tard. Il m’offre son temps, si précieux. Merci. Chaque minute compte. Connu du monde entier, il a travaillé dans 17 pays pour conseiller les vignobles dans leur vinification et aussi leur lien au terroir. Il pourrait passer une heure avec quelqu’un d’autre bien plus célèbre. Mais non. Pas cette fois. La générosité est là, derrière sa discrétion Je suis dans son salon à l’ambiance chaleureuse. Nous partageons un café. Les mots fusent. Surtout de mon côté. Stéphane est peu bavard.
Stéphane a quitté une région triste à l’époque industrielle, le nord. Il a aussi fui une situation familiale compliquée. L’opportunité d’aller cueillir le raisin dans le bordelais s’est présentée grâce à l’ANPE de l’époque (agence nouvelle pour l’emploi). Une opportunité pour construire une nouvelle vie ? Il ne faut pas se poser la question et la saisir. Il enchaine les petits travaux manuels. Le travail dans la vigne est dur mais il s’accroche. Il n’aime pas forcément ces tâches.
Mais, ce lien à la nature est une révélation. Un rêve se profile : devenir vigneron. Sans connaissance technique, il découvre un nouveau monde et apprend par l’expérience sur le terrain. Couper le raisin pourtant, il détestait cela, me dit-il entre deux questions de ma part, piquée par la curiosité. Jusqu’à une rencontre.
des rencontres décisives
Un jour. Parfois, dans la vie, il suffit d’une rencontre pour tout changer. Un vigneron qui changera sa vision du monde viticole, et même au-delà : de la nature et de son lien avec les Hommes mais aussi de la force du collectif. Peut être une des raisons de son livre intitulé « Derenoncourt, un homme, un groupe » que je recommande vivement.
Paul Barre sera le vigneron qui fera découvrir à Stéphane l’univers de la biodynamie. Stéphane apprend sur le terrain et lit beaucoup. Sa bible ? Il me montre face à la cheminée majestueuse en pierre, une collection de livres sur le vin et notamment « Connaissance et travail du vin » d’Emile Peynaud. Justement, apprendre le vin, on en parle. J’apprends en lisant, en allant dans les vignobles, en me formant. Je suis une reconvertie tardive. J’aimerais reprendre des études d’œnologie mais une personne de l’université m’a découragée par ses mots : il faut reprendre tout à zéro et il y’en a pour au moins sept ans, Madame. A votre âge, c’est trop tard ! Stéphane me rassure. Il y a d’autres chemins pour apprendre… Rien ne vaut l’expérience du terrain, l’apprentissage par la pratique, par le toucher, par les mains. Et c’est bien là les fondamentaux de la dégustation géo-sensorielle: le toucher, le monde tactile!
A, tout simplement
En 2003, il a acheté une bâtisse du XVIIème siècle avec son épouse pour, dit-il, le « petit coin de paradis que cela procure ». Elle est perchée là sur le sommet d’un plateau avec une vue imprenable. C’est un régal de se lever chaque jour avec cette vue sur la nature et les arbres centenaires avoisinants. A deux, Stéphane et Christine ont progressivement restauré la propriété et acheté des hectares de vignes pour assouvir leur rêve de devenir vignerons d’un domaine de 12 hectares.
La propriété reflète leur savoir être : la simplicité. Il s’appelle « domaine de l’A ». A comme la première lettre de l’alphabet. A comme amour. A tout simplement (confidences). Les vignes sont familiales. Elles ont 55 ans. Aujourd’hui, Stéphane veut profiter de ce bout de paradis auprès des siens après des années à bourlinguer aux quatre coins du monde. Il a mis en place des parcelles expérimentales avec des plantes aromatiques pour observer la faune, la flore, les interactions avec les insectes, les graminées, les arbres, les plantes.
A plusieurs, ils étudient et observent les racines et leur évolution.
L’observation est un passage indispensable pour comprendre. Observer avant d’agir, avant de conclure, avant de modifier. Pourquoi ici ? Je suis loin du monde… et ici le terroir est magnifique. Ce calcaire, dans la continuité de Saint Emilion, donne des vins merveilleux. C’est un grand terroir pour des vins de lieu. L’émotion est là et redonne espoir à cette reconversion semée d’embuches.
Cette nature, cette terre, ces hommes passionnés sont là. Il faut persévérer. Stéphane rejoint d’ailleurs le cabinet pour une réunion et poursuivre sa mission de vie : « la transmission ».
Il a décroché mais pas tout à fait encore. Il reste le messager du vin sur quelques projets. Il a appliqué des années durant à ses équipes ce qu’il s’est appliqué à lui-même : le vin ne s’apprend pas que dans les livres et les grandes études mais il se vit et se pratique. Je prends des bouteilles avec moi pour repartir avec un morceau de « cette terre » et revivre cet instant d’émotions dans mon verre. MERCI, tout simplement.
Signé A, comme Audrey.
Bel article avec Stéphane D. Je n’ai pas encore lu les autres récents. Simplicité des mots tel Stéphane D. Bravo A.