De retour de l’hémisphère Sud, une envie de voyage alliant dépaysement et proximité me saisit brutalement. Eh bien ! me croirez-vous, c’est à Cognac que j’ai trouvé cet « ailleurs ».
Mais pourquoi donc ?
Certainement ces noms à consonance étrangère qui expriment l’histoire internationale du négoce de l’eau-de-vie et ornent encore les façades des grandes maisons : Hennessy, Hine, Martell, Braastadt ou Vallein, Petit clin d’œil à Porto et aux grandes maisons de Vila Nova de Gaia.
Et puis ce sentiment étrange d’être sur un territoire totalement dédié à la mondialisation. Pensez-donc, 200 millions de bouteille vendues l’an passé (97% à l’export), un chiffre d’affaires supérieur à 3 milliards d’Euros. Hennessy peut s’offrir une pub hallucinante signée de l’iconique Ridley Scott et s’afficher dans les chansons planétaires de Marvin Gaye ou du rappeur Drake.
Enfin, le jargon anglo-saxon omniprésent dans le monde du spiritueux qui vous oblige à décoder les : VS, VSOP, XO, single estate, family reserve, et autre finishing.
La prospérité est là, sous vos yeux et certains signes ne trompent pas comme la concession Mercedes-Benz surdimensionnée.
vous avez dit spiritourisme ?
En préparant ce périple j’ai découvert le spiritourisme, autrement dit le voyage dans l’univers des spiritueux. Un concept défendu par Jean-Pierre Cointreau, pdg du Groupe Renaud Cointreau, un groupe discret qui possède des très belles marques comme le champagne Gosset, le cognac Frapin et quantité de marques traditionnelles de liqueurs et sirops. Nous y sommes !
Ma première expérience de spiritourisme débutera par la Maison Frapin – un propriétaire-viticulteur-distillateur-négociant- et pas des moindres, puisqu’elle vient de recevoir une double médaille d’Or au San Francisco World Spirits Competition et à l’Ultimate Spirit Challenge.
Thomas Soret, communication manager, nous accueille à Ségonzac, la « capitale » de la Grande Champagne et fief de la famille Frapin installée ici en vigneron et producteur d’eau-de-vie depuis 21 générations- la transmission par les filles a fait rentrer Jean-Pierre Cointreau aux commandes de l’entreprise à ne pas confondre avec Rémy Cointreau.
On parle de Grande Champagne car ici le sous-sol est composé de calcaires friables, très similaire à celui de la Champagne.
C’est le meilleur terroir pour le cépage ugni blanc, celui qui va être utilisé pour le vin destiné à produire l’eau-de-vie, nous précise Thomas.
l’esprit de la grande champagne
La vendange 2018 a été exceptionnelle en qualité comme en quantité avec 30 000 hectolitres produits.
Derrière les murs noircis par la « part des anges », les pressoirs géants Bucher Vaslin en imposent, même au repos. Les jus sont vinifiés pendant trois semaines dans des tours extérieures en acier inox, placées juste derrière, pour alimenter la distillerie à feu continu.
Double distillation sur lies, les connaisseurs apprécieront.
La campagne est plaisante avec ses flancs de collines plantés de vignes et ses vallons boisés. Le domaine viticole Frapin s’étend sur 240 hectares, le plus vaste de la Grande Champagne.
Nous ne faisons aucun achat extérieur ; une rareté, les grandes maisons achètent beaucoup d’eau-de-vie à des artisans distillateurs. Haute Valeur Environnementale – HVE niveau 3 – une rareté de plus, les autres ont pris du retard dans ce domaine. Je commence à comprendre que je suis tombé sur le premier de la classe !
Pour l’amateur de spiritourisme, une date à retenir en pays cognaçais, le 31 mars. Par décret, il est interdit de distiller après cette date. En ce début avril, la distillerie était impeccable, mais vide, sans bruit ni odeur.
Le plaisir de l’œil reste intact avec ses alambics à l’ancienne aux formes biscornues, là où le métal peint, le bronze, le cuivre et la brique vous offrent un décor de cinéma.
Enfin le bois apparaît, en majesté.
Patrice Piveteau, maître de chai de la maison Frapin, s’exprime ainsi dans le magazine Culture Cognac : Le chêne symbolise parfaitement l’histoire du cognac, la transmission du savoir-faire des eaux-de-vie de génération en génération. Il est notre arbre généalogique.
Cet arbre généalogique se traduit ici par une multitude de merranderies et tonnelleries, toujours proches des distillateurs, un sujet développé dans un prochain article.
Le fût de chêne est l’autre matière première d’une distillerie. Il y a les fûts neufs (1 à 5 ans), les fûts roux (5 à 15 ans) et les vieux fûts. L’eau-de-vie, transparente, se colore peu à peu d’un contenant à un autre pour devenir cognac.
Partout vous découvrez ces barriques enflées de 350 litres, en bas pour le chai humide, à l’étage pour le chai sec ; des barriques à la bonde scellée.
Les sceaux sont posés et enlevés par les inspecteurs du Bureau du Cognac pour certifier les années, nous dit Thomas en nous détaillant toute la complexité des assemblages pour maintenir un goût unique et constant, année après année.
Retour à Ségonzac au siège historique, rue Pierre Frapin derrière l’église, après un petit crochet par le château Fontpinot reconnaissable à ses trois tours élégamment rénovées pour recevoir les hôtes de marque ; la gamme Premium porte son nom.
Nous sommes au cœur du vieillissement, la poussière en est presque classée monument historique !
Aux foudres géants succèdent les dames-jeannes emmitouflées, des eaux-de-vie issues de raisins de l’époque pré-phylloxérique nous dit Thomas.
Nous nous inclinons respectueusement avant d’entrer dans la salle de dégustation, savant mélange de comptoir d’apothicaire et de marchand d’épices.
Les bouteilles en verre cristal aux formes ouvragées, sur socle métallisé ne demandent qu’à être prises en main, caressées, savourées dans une mise en scène bien décidée à vous faire succomber.
On dépasse parfois la barre des 1000€ la bouteille mais la clientèle internationale de collectionneurs hédonistes, d’amateurs aisés et aussi de spéculateurs ne regarde pas à la dépense, dès lors qu’on lui propose l’excellence.
La dégustation d’un spiritueux est un art
Des verres et des bouteilles entamées nous attendent. VSOP, XO, Cigar Blend. Une gradation en fonction de l’âge ; des arômes de plus en plus ronds, de plus en plus complexes, de plus en plus longs. J’arrête, La dégustation d’un spiritueux est un art dont je ne possède pas les codes d’accès. Désolé Thomas, je retiens que le voyage sensuel dans l’univers des spiritueux commence par une initiation à la dégustation.
Une soirée à Cognac se termine obligatoirement au bar Louise de l’hôtel François 1er, c’est là qu’on trouve les meilleurs DJ de la mixologie- l’art du cocktail, bien sûr !
Florian me trouve un peu dépité, je lui raconte ma « panne » chez Frapin. Vous pourriez peut-être essayer un Old Fashion, à l’origine c’est fait avec du bourbon, mais avec le cognac ça va très bien aussi.
Un VSOP relevé d’une pointe d’Angostura, un zeste d’orange et un gros glaçon à fonte ralentie. Les arômes et saveurs du cognac sont magnifiées : une pointe de vanille, du caramel, du pruneau, l’orange bien sûr, de la fraîcheur dans la rondeur. Initiation à la dégustation validée.
Jean Philippe