LES SURVIVANTS
N’allez pas croire que j’en veuille au vignoble nantais en montrant les ruines du logis de la Bareille à Vertou. Voilà une image saisissante du vignoble à la fin des guerres de Vendée qui ravagèrent le pays dans les années 1795-1800, réduisant à l’état de ruines une centaine de châteaux, logis, pavillons de chasse, manoirs et autres demeures seigneuriales.
Peu après, un petit miracle s’est produit…
L’architecte sculpteur François Frédéric Lemot, avec le soutien des frères Cacault- l’un artiste et l’autre homme politique nantais – ont retroussé leurs manches pour reconstruire le pays à l’italienne : l’élégance toscane de Clisson, comme le souligne Julien Gracq.
Ce courant architectural ne s’est pas limité à la vallée de la Sèvre, il s’est étendu à tout le pays du vignoble touchant de sa grâce l’italianité des belles demeures, des chais et caveaux tout comme l’architecture villageoise.
Là où le temps n’a pas prise
Un exemple parmi cent autres, ce château de la Mercredière, propriété des frères Futeul, au charme immuable sur lequel le temps n’a pas prise ; son vignoble attenant de 40 ha atteste d’une magnificence un peu fanée.
Des formes végétales sombres de grande hauteur captent votre regard, en vous approchant vous longez un interminable mur de pierre, signe évident de la présence d’un grand domaine.
Les châteaux du vignoble ne s’imposent pas à la vue du visiteur, il faut en repérer les indices, questionner les villageois en général peu bavards et ne pas hésiter à pousser la grille, bien souvent ouverte, pour découvrir, là un joyau authentique ou ici une rénovation hasardeuse.
Châteaux et vin de comptoir
Le château entouré de vignes, propriété d’une riche famille nantaise était le modèle dominant de l’époque. Oh ! N’allez pas croire que le propriétaire buvait son vin ! Vignes et polyculture étaient d’un gros rapport et le muscadet, le champion des vins de comptoir.
Mon arrière-grand-père a été adjudicataire des vignes du château de la Bareille, il a pris le nom et dessiné le château sur l’étiquette, c’était bon pour les ventes, me dit Philippe Delaunay, vigneron à Vertou, domaine de la Bareille, avec son fils Antoine qui exploite 20 ha principalement en muscadet.
Difficile d’investir dans la cuverie et refaire en même temps la toiture du château, surtout quand le muscadet paie mal. Ah mon bon monsieur, ici on n’est pas en Médoc !
Un choix impossible
Beaucoup de châtelains vignerons ont dû se séparer de leurs vignes attenantes, par nécessité financière le plus souvent et aussi pour moderniser leurs dépendances afin d’accueillir les réceptions et mariages. La métropole est proche et la demande est forte. Les plus illustres d’entre eux – Château de Goulaine, du Coing, l’Oiselinière, la Cassemichère et la Gallissonnière ont d’ailleurs fait site commun : côtés châteaux.
Monsieur le Comte voudrait il goûter ce château de la Polissonnerie au bec si frais ? On imagine Jean Gabin humant son verre de muscadet dans une brasserie des Grands Boulevards. Nostalgie des années 50.
Les châteaux ont raté le coche du renouveau du muscadet incarné par des figures vigneronnes plus paysannes et aussi plus attentives à la qualité.
A quelques exceptions près notamment celle du château du Coing, un magnifique ensemble bâti à la confluence de la Sèvre et de la Maine propriété de Véronique Günther-Chereau avec sa fille Aurore qui élève ses muscadets en grand vin de Loire.
La mention « château » un label en désuétude ?
Quoi qu’on dise, le label « château » est toujours auréolé d’un prestige émotionnel qui remonte à nos racines et à notre éducation, même si aujourd’hui les labels AB, Demeter, Terra Vitis ou HVE le mettent progressivement sur la touche.
Il existe un tandem inconditionnel du prestige châtelain : Christian et Philippe Dumortier, propriétaires du château de la Preuille, un pied en Vendée, un pied en Loire-Atlantique, près de saint Lumine de Clisson.
la renaissance ?
Leur engagement depuis 1986 dans ce château féodal chargé d’histoire, entouré de 39 ha de vignes est sans compromis, comme en témoigne leur plaquette de présentation qui fleure bon le superlatif débridé : un terroir exceptionnel dans un cadre d’exception, une renommée internationale, un excellent rapport-qualité prix, le savoir-faire de onze générations de vignerons.
Christian Dumortier m’accueille avec amabilité, me fait visiter ses installations et son petit musée de la vigne.
Il y a un peu de monde l’été avec les autocaristes de Clisson ; nous sommes connus, vous savez, nos vins ont été servis sur les plus belles tables, celles du paquebot Jean Mermoz, des JO d’Albertville, du restaurant de la Tour Eiffel, de l’Elysée, de Matignon, des ambassades… me confie-il avant de me faire découvrir son « cru communal » issu d’une parcelle de 10ha de vieilles vignes sur granit schisteux affleurant. Le petit prix affiché de la bouteille contraste avec les mentions dithyrambiques et les commentaires pompeux de l’étiquette.
Elle me fait penser à la tunique d’un vieux grenadier de l’Empereur, auréolée de médailles et de croix d’honneur.
Difficile d’être et d’avoir été.
Jean Philippe