Charbonnay, le vin des terrils

Direction la France septentrionale pour ce reportage… plus précisément dans une région autrefois connue comme le grenier à grains du pays et aussi le fournisseur de charbon extrait des mines à l’ère industrielle : nous voici dans les Hauts-de-France, sur un terril.

Autour de cette montagne noire créée au fil des années par accumulation des résidus miniers lors de l’extraction de charbon, se trouvent des vignes. Oui, des vignes ! Car ici, Olivier Pucek a eu l’idée de faire revenir le vignoble dans la région.

Autrefois, les vignes existaient dans le Nord de la France car comme le rappellait l’historien Roger Dion, au XIIe siècle, Laon était une « capitale du vin », tirant parti de sa proximité avec les amateurs du Nord dont la consommation annuelle de vin par habitant montait à 35 litres en 1352.

Des vestiges de vignobles au Moyen Age dans la région de Valenciennes sont partagés par quelques historiens.

la France coupée en deux

Puis, pour des enjeux économiques et politiques, il a fallu faire un choix pour nourrir le pays, scindant la France en deux parties : la production céréalière au nord, suivie de l’exploitation industrielle (dont les mines) et les vignobles au sud.

le vigneron du Nord

Olivier Pucek est né à Bruay-la-Buissière dans le Pas du Calais. Il s’est ensuite installé en Charente en 1990. A la cinquantaine, cet urbaniste de formation, a eu envie de monter un projet personnel.

Passionné d’agriculture et d’horticulture, il fait alors la rencontre d'Henri Jammet, créateur du Guimbelot, vin blanc charentais haut de gamme. Olivier décide de créer son propre vignoble à Saint Sornin en 2009, avec une densité de 10 000 pieds à l’hectare de gamay, pinot noir, comme en Bourgogne.

Avec Henri, ils sont deux précurseurs dans cette région à planter à un tel niveau de densité pour produire des vins de qualité.

En 2009, retour aux sources. Olivier Pucek emmène Henri Jammet dans sa région d’origine pour lui faire découvrir un terroir particulier : un terril, et notamment celui d’Haillicourt. Tous deux se faufilent entre les barbelés pour parcourir les pentes de charbon. Ils repartent convaincus qu’il y a quelque chose à faire. Ils contactent alors l’établissement public foncier régional auquel le terril appartient pour lui proposer un projet fou de création de vignoble.

Leur dossier est validé : un hectare leur sera octroyé pour expérimenter la culture de la vigne. Ils se retrouvent ainsi co-producteurs de vin et la ville d’Haillicourt récupère de son côté un tiers de la récolte. En 2011, les premières plantations sont autorisées selon un droit de plantation expérimental car les zones ne sont pas viticoles et normalement interdites à toute plantation. 33 ares sont plantés au début du projet pour atteindre un peu moins d’un hectare aujourd’hui. Une première récolte a eu lieu dès 2013.

Le terril se révèle rapidement être un terroir exceptionnel : avec sa très forte pente (taux de 70 à 80%), il offre un ensoleillement maximal sur son sol noir qui emmagasine la chaleur le jour et la restitue la nuit.

Le sol est pauvre, permettant à la vigne de développer sa vigueur en allant chercher en profondeur les nutriments dont elle a besoin pour sa croissance.

Les petits raisins murissent facilement et s’avèrent très concentrés. Avec les schistes et grès du carbonifère de type ardoise, il y a peu de rétention d’eau, la vigne développe ainsi sa complexité. Olivier est persuadé que la qualité sera au rendez-vous car le désavantage du climat nordiste (frais et humide) sera compensé par ce terroir unique.

prêt pour le réchauffement climatique

Rapidement, le duo crée une société, Les vins Audacieux, que quatre associés rejoignent pour financer le projet. L’équipe a vite été gênée par l’interdiction de commercialisation des vins qui étaient produits.

Heureusement, elle a bénéficié du changement de législation européenne qui autorise de planter dans les régions non viticoles pour y commercialiser un vin.

Elle se retrouve ainsi pionnière dans la commercialisation de vin du Nord avec la sortie du Charbonnay en catégorie Vin de France, un jeu de mots subtil entre le charbon du terroir et le cépage chardonnay, valorisé ici.

Aujourd’hui, 10 hectolitres sont produits, soit environ 1300 bouteilles dont les deux tiers sont mis en vente et partent souvent en primeur grâce à la communication locale.

Un tiers de la production revient à la ville d’Haillicourt pour ses évènements (banquets, mariages…). L’objectif de l’équipe de vendre 1000 bouteilles est vite dépassé.

un deuxième vignoble pas-de-calaisien

Elle poursuit ses idées de faire revenir la vigne dans le Nord avec la création d’un second vignoble près du parc de loisirs d’Olhain sur un sol calcaire à silex donnant sur le château d’Olhain.

Avec un peu plus d’un hectare déjà planté en chardonnay et pinot gris, l’équipe en est à sa deuxième récolte cette année et sa première cuvée de Cotolhain : une production de 50 hectolitres.

Olivier Pucek, toujours plein d’idées en tête, partage ses envies de créer d’autres cuvées à venir et avec d’autres assemblages. Ce Cotolhain offre un style différent du Charbonnay, qui lui affiche un style bourguignon très classique avec beaucoup de matière, peu d’acidité et quelques notes d’élevage. Le terroir d’Olhain permet de créer un style proche d’un vin de Chablis, mais avec beaucoup plus de tension. Nous sommes très fiers d’avoir été les premiers à ramener la vigne dans les Hauts-de-France. On ne vit pas sur nos acquis et on souhaite aller plus loin dans le développement des vins tranquilles pour faire perdurer ce projet par la transmission ! conclut Olivier.

terre de biodiversité

Sur le terrain, c’est Johann Cordonnier qui s’occupe de l’entretien du terril. Depuis 10 ans, il a accompagné les premières plantations de vignes qu’il soigne au quotidien.

Employé par la mairie d’Haillicourt, il est affecté à 100% aux vignes, un métier unique dans la région. Chaque jour, il a l’énergie de surmonter deux fois les 80 mètres pentus de cette terre noire. Parfois, il croise les chèvres mises en place par Eden 62, le syndicat mixte départemental de protection et de défense des espaces naturels.

Pour Johann, la faune environnante constitue ses collègues de travail : les buses le soutiennent pour empêcher les étourneaux de s’attaquer aux vignes, les chèvres l’accueillent en chemin, quelques renards se faufilent entre les rangs tandis qu’il se trouve bien souvent entouré par une ribambelle de lézards des murailles.

Aujourd’hui, Johann affronte les vents forts pour terminer la taille des deux dernières rangées de vignes avant de s’attaquer aux 500 nouveaux pieds plantés il y a quatre ans. Les bourgeons font seulement leur apparition en ce début avril alors que les vignobles du Sud présentent déjà de belles feuilles, écart de climat oblige.

Pour comble d’ironie, le grand-père de Johann était mineur. Ce dernier ne supportait pas l’idée d’exploiter ces mines de charbon, patrimoine de l’histoire des mineurs. Mon grand-père ne soutenait pas ce projet de vignes, il aurait préféré préserver le charbon,  jusqu’au jour où il a gouté le vin que j’ai produit. Et là il a vite changé d’avis.

combustion spontanée

Johann observe le sol : ici, la terre est légère, un mélange de charbon et de schistes qui a la particularité de brûler encore à certains endroits, transformant le schiste noir en schiste rouge, convoité pour les terrains de tennis.

Au cœur du terril, un phénomène de combustion spontanée se produit, pouvant atteindre 500°C en profondeur et relâchant en surface des vapeurs de plus de 40°C et de l’acide sulfurique. Nous posons la main sur une des cheminées apparaissant : il est agréable sous ce vent d’apprécier cette vapeur chaude. Johann explique que cela peut apparaitre à n’importe quel endroit. Une année, une partie des vignes ont certainement souffert de ce phénomène car elles n’ont rien produit.

Difficile de marcher entre les rangs de vignes si pentus, Johann redouble constamment de vigilance pour ne pas tomber. C’est un véritable travail d’équilibre au point que des caissettes spéciales en aluminium de 20 kg ont été créées pour les vendangeurs bénévoles. Les vents permettent d’assécher la vigne et les protéger des maladies comme le mildiou, ce qui réduit nos traitements naturels car nous produisons de manière biologique.

style bourguignon

La vinification est aussi entre les mains de Johann, qui l’a apprise aux côtés d’Henri Jammet. Il nous emmène dans le presbytère de la ville, ancien garage du curé pour découvrir les cuves de fermentation tout en inox puis le chai à barriques installé dans une cave en pierre qu’il tourne une fois par semaine et bâtonne chaque mois.

Une belle cuvée au style bourguignon à déguster en pensant aux nombreux pas effectués quotidiennement par Johann sur cette montagne noire.

Audrey

Image à la Une : crédit Oncle Bacchus

Ecrit par Audrey DELBARRE
--------------------------------------------------------------- Passionnée par l’écriture, Audrey est une amatrice de vin joviale et enthousiaste, guidée par la richesse du contact humain ! C’est à l’Académie du vin du Cap en Afrique du Sud qu’elle affine ses connaissances dans les vins puis développe son inspiration à partir de ses rencontres et voyages dans les vignobles du monde.... Titulaire du diplôme WSET 3, elle se consacre à l’organisation de séminaires et formations sur le développement des sens et des émotions grâce à l'œnologie.
Catégories : cépages et terroirs

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