Chai urbain : quand le vin s’invite en ville

Angers, début février est une date à graver dans votre agenda pour le tir groupé d’une série d’événements normalement réservés aux professionnels qui font le bonheur des épicuriens malins. Angers Loire Tasting est devenu la nouvelle plate-forme pour les acheteurs, les négociants, les vignerons, les dégustateurs de tout poil, les consultants et chroniqueurs tous autant attirés par l’offre salivante que par le plaisir de se retrouver en joyeuse bande. Sans oublier le festival d’expérimentation gastronomique qui transforme la ville et son bras armé Food’Angers en ébullition culinaire.

UNE FEMME DU VIN

Mon ami jlpgoodwines et moi étions en train de bosser sur le programme des réjouissances quand nous découvrons une petite manifestation nommée Chai ! le salon des artisans-vinificateurs. Ça tombe bien, Jean-Luc voulait goûter ces vins de négoce revisités et débarrassés de leur traditionnelle gangue de médiocrité. Les chais urbains – urban cellars pour faire style- nourrissaient ma curiosité du moment, à laquelle s’ajoutait l’envie irrépressible de rencontrer Pauline Lair.

L’organisatrice du salon et fondatrice du négoce 1006 Vins de Loire est déjà dans l’œil des médias qui lui prédisent un avenir presque aussi radieux que celui de sa complice dans le vin et toute aussi angevine, Pascaline Lepeltier.

La maîtresse de maison étant extrêmement sollicitée, j’ai préféré prendre le temps de mieux la connaître via un remarquable podcast de RCF Anjou signé Patrick Château. Je suis négociatrice et vinificatrice, j’achète le meilleur raisin possible et j’en fais du vin. Pour arriver à formuler une telle synthèse, il faut beaucoup de métier acquis à l’école, à la vigne, au chai, au marketing, à l’international, aux ressources humaines, au management, etc.

Rajoutez y cette force puissante et mystérieuse qui vous pousse à revenir à l’endroit où vous avez grandi.

NÉS À SAN FRANCISCO

« Faire le vin là où il est bu, c’est pourquoi on se remet à faire du vin en ville » explique Florence Montferran, chroniqueuse des patrimoines viticoles, dans un article récent publié par Le Point.

Elle s’est intéressée à la tendance partie de San Francisco il y a une vingtaine d’années pour atteindre Londres, Bruxelles, Paris et s’étendre maintenant aux métropoles.

Elle y voit un phénomène sociologique qui retisse les liens entre la ville et la campagne : Dans le sillage des micro-brasseries, des laiteries, ces chais réintroduisent l’artisanat en ville…Le suivi des parcelles, de l’état sanitaire des raisins (bio) est encadré, les vendanges manuelles. La récolte est acheminée en ville sur-le-champ si elle n’est pas pressée sur place.

1006, le chai urbain de Pauline Lair, répond précisément à cette description. Des anciens locaux artisanaux, situés dans le quartier de la Baumette, bien connu des angevins pour ses équipements sportifs, ont été complètement transformés. L’espace de 500m2 accueille le matériel de cuverie, inox et béton ainsi qu’un bel alignement de barriques d’élevage, des espaces de réception, sans oublier la chambre froide pour stocker les raisins avant vinification. Ces aménagements flambant neuf attestent d’une belle confiance dans l’avenir et représenterait un investissement d’un million d’euros, selon Vitisphère.

LA LOIRE POUR TERRAIN DE JEU

Une douzaine d’artisans-vinificateurs venus de la France entière présentaient leurs cuvées surprenantes de savoir-faire et de créativité. On pouvait toutefois regretter un mélange des genres entre vinificateurs, négociants et vignerons. Pauline Lair, elle, a fait le choix de la Loire « irriguant de ses flots lents certaines des plus fameuses régions viticoles françaises ». Ah ! je vous laisse découvrir le pourquoi de 1006, le patronyme de son chai.

Elle va chercher des raisins du pays nantais (melon B) jusqu’au gamay saint romain en Côtes du Forez qui pousse à 450m d’altitude. Entre ces deux extrêmes on trouve du pinot gris, du chenin d’Anjou, du cabernet, du sauvignon de Touraine et d’autres. Avec la même conviction : j’établis un lien de confiance avec le viticulteur, je choisis mes parcelles et je m’efforce d’être présente pour les vendanges. Un détail atteste de sa volonté de coconstruire le vin avec ses partenaires : le nom du vigneron fournisseur du raisin figure toujours sur l’étiquette. L’occasion de saluer nos amis du domaine Merceron-Martin.

NÉO-CULTURE URBAINE

Bordeaux n’était pas en reste avec Les Chais du Port de la Lune. Une grosse affluence rendait difficile l’accès à Laurent Bordes et son équipe qui avaient fait le déplacement pour afficher la belle solidarité entre chais urbains.

Installé dans un ancien blockhaus réhabilité du quartier Bacalan, les Chais proposent des cuvées en vin de France, à l’assemblage « créatif- décoiffant » tout comme l’étiquetage signé par l’artiste.

Un mix de galerie d’art, de bar à vins, de scène musicale punk, de boutique d’artisan, de studio photo ou d’atelier design. Probablement un prototype hybride de cette néo-culture urbaine plébiscitée par les millennials.

ZE BULLE, VOUS CONNAISSEZ ?

Un personnage fascinant attirait les regards : Bruno Ciofi et son éternel béret vissé sur la tête qui lui inspira le nom de son négoce artisanal : Béret et Cie, basé à Savennières. Bruno, ex-vigneron du Jura est un vinificateur de grand talent, proche de Marc Angéli et de Virginie Joly et rompu depuis toujours à la biodynamie. Un personnage balzacien dont la revue Front Populaire a tiré un portrait savoureux.

Allez comprendre pourquoi il s’est pris de passion pour le travail d’un vigneron immensément respecté en Anjou-Saumur : Philippe Gourdon, ex-Château de la Tour Grise. On vous la fait brève : Gourdon a mis au point une méthode « révolutionnaire » de fabrication de vin effervescent qui consiste à utiliser le gaz naturel issu de la fermentation récupéré à l’aide d’un gros ballon, pour la réinjecter et produire la bulle.

Évidemment, il ne s’est pas fait que des amis dans le monde viticole… La page est tournée, il a pris sa retraite et légué son savoir à Bruno Ciofi, qui a pris le relai de la production du fameux effervescent : Ze Bulle. Les arômes issus de l’assemblage sont prisonniers dans le gaz carbonique capté ; une fois la vinification achevée, on les réintroduit de façon totalement naturelle dans le vin qui devient alors effervescent nous explique-t-il.

Les connaisseurs se pressaient pour déguster ce pétillant naturel angevin, à la robe rosée et au nez délicat de cerise et framboise écrasée, tout en finesse et fraîcheur. Assemblage de gamay, grolleau, cabernet en bio, Ze Bulle ne titre que 9°vol. sans excès de sucrosité. Une production artisanale quasiment introuvable – une seule bouteille (13€) sur le site de vente en ligne Idealwine !

FAIRE DU VIN AUTREMENT

La bande d’artisans-vinificateurs d’un genre nouveau réunie à Angers est porteuse de nombreuses promesses. La plus surprenante est certainement cette façon décomplexée de faire du vin autrement, en cassant les codes et les routines. Assistons-nous aux prémices d’un club, d’un groupement, d’un syndicat ? Trop tôt pour le dire, mais la belle énergie insufflée à produire des cuvées créatives au cœur des villes n’est pas prête de retomber.

Jean-Philippe

Image à la Une ©Angers Ma Ville

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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