Rivière largement méconnue des Français, elle prend sa source dans les Vosges pour confluer avec le Rhin à Coblence, 550 km plus au nord.
La Moselle est viticole sur la moitié de son cours : un tout petit peu en France, une quarantaine de kilomètres au Luxembourg et pour l’essentiel entre Trèves et Coblence dans le Land Rhénanie-Palatinat.
Là cet affluent du Rhin déroule majestueusement sa trentaine de méandres, sculptés dans le schiste et le granite.
Les éperons rocheux surmontés de forteresses en ruine, culminent à plus de 300 m.
Paysage grandiose de vignes à flanc de coteaux, de villages viticoles, de ponts, d’écluses et de péniches qui m’a tout de suite rappelé la vallée du Douro au Portugal.
Ici, la vigne comme les villes ont 2000 ans d’histoire, les Romains ayant fait de Trèves leur capitale du Nord.
Une ville à l’histoire mouvementée, inscrite aujourd’hui au patrimoine mondial de l’UNESCO qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte, ne serait-ce que pour son époustouflante Weinhaus !
Faut-il descendre ou remonter le cours de la Moselle ?
Ça se discute. Venant de Metz, une bien belle ville traversée aussi par la Moselle, j’ai mis le cap sur le Pays des trois frontières. Le terroir viticole de l’AOC Moselle couvre 75ha, bien petit en comparaison avec le Luxembourg (1300ha) et l’Allemagne (6000 ha), mais on revient de loin, il y a 50 ans, la vigne avait quasiment disparu ici.
Le vigneron indépendant Jean-Marie Leisen, président de l’AOC et producteur récoltant au Domaine du Stromberg m’accueille très amicalement tout en pilotant les opérations de pressurage- Eh oui, on est en pleine vendange et les remorques chargées de raisin n’attendent pas. Ambiance 100% vigneronne.
La saga Leisen est édifiante : le grand-père a créé une distillerie pour faire de l’eau de vin de grain. Ça marchait bien dans les aciéries et les mines où les gars appréciaient le chasse-bière. La distillerie marche toujours, on fait même un whisky mosellan ! Après on a planté des vignes en vins de Pays, et puis on s’est battu pour obtenir l’AOP en 2011. Aujourd’hui, avec mes deux associés on exploite 10 hectares de vigne, plantés principalement en auxerrois, pinot gris, pinot noir, muller-thurgau et des cépages complémentaires pour les assemblages.
Avec sa fille Sarah, œnologue, qui l’a rejoint au Domaine, Jean-Marie déborde de projets : production d’effervescents et de vendanges tardives, de cidre, exploitation de chênes mosellans pour la futaille, abandon de la cuverie inox pour des cuves ovoïdes en grès, etc. Ses vins fins ont obtenu un « coup de cœur » du guide Hachette et sont régulièrement récompensés. Belle rencontre.
Schengen au Pays des trois frontières
Je quitte à regret mon ambassadeur des vins de Moselle pour me rendre à Schengen, au cœur du Pays des trois frontières, côté luxembourgeois. Schengen est bien connu pour son espace européen, mais peut-être moins pour ses vins. La Cave Paul Legill a une solide réputation pour ses elbling, ses auxerrois et ses pinots gris et blanc, mais elle était fermée pour cause de vendanges.
Un peu plus au nord, à Ehnen, ne pas rater la Maison et le Musée du Vin. Deux charmantes dames vous accueilleront avec une extrême bienveillance et votre soif de connaissance sur le Grand-Duché en général et ses vins en particulier sera parfaitement assouvie. En deux mots : le Luxembourg, place financière de premier plan est bien décidé à faire de son AOP Moselle Luxembourgeoise contrôlée par l’Etat une étoile dans le panthéon des vins européens les plus réputés.
Les moyens investis sont considérables : en communication quadrilingues, en contrôles techniques, en recherche culturale, en bistrot high-tech et en architecture design. Ah ! petit dérapage ! Il faudrait cesser de montrer la vidéo avec l’hélicoptère qui asperge les vignes de produits phyto. L’agriculture biologique ne semble pas prioritaire, du moins pour l’instant.
Sont-ils bons ces vins du Luxembourg ?
La dégustation s’est déroulée au restaurant l’Écluse à Remich où Nelson, le sommelier portugais me présente 4 vins.
D’entrée le Crémant de Luxembourg Desom brut rosé tient ses promesses : fines bulles persistantes, fraîcheur cerise du pinot noir, multi-médaillé.
Le rivaner qui suivit est un vin frais et léger à 7-8 € la bouteille. L’auxerrois de Max Lahr et Fils est bien fait, fraîcheur matinée d’un peu de fût qui lui donne du corps.
Je passe le riesling Krier Welbes au nez un poil « pétroleux » mais bien aromatique pour conclure avec un pinot gris 2015 Krier Bisenius très réussi au joli bouquet de fleurs blanches.
Vite, je suis attendu à Trèves en Allemagne où le poids de l’histoire vous pèse sur les épaules, depuis la Porta Negra romaine, les thermes impériaux, la basilique Constantin, le palais de l’Archevêque Électeur et une foultitude d’églises romane, gothique ou baroque. Cela manque un peu de modernité…
mais ici, on n’est pas à Stuttgart !
Heureusement, il y a Das Weinhaus Trier situé juste en face de la maison natale de Karl Marx. Là, vous achetez du vin, la plus grande sélection de vins de Moselle, vous dégustez et vous dînez modestement si le cœur vous en dit.
Johanna, la responsable de salle a compris ma demande exprimée en anglais, et m’a préparé une sélection de cinq rieslings allant crescendo qui valait presque un cours d’œnologie d’Emmanuel Delmas.
En voilà les points essentiels :
- trocken qui veut dire sec, n’est pas très adapté au riesling mosellan,
- spätlese pour un vin à vendange plus tardive, un peu plus doux,
- auslese, encore plus tardif, parcelles sélectionnées, un poil moelleux,
- beerenauslese, les grains sont desséchés, carrément moelleux,
- eiswein, connu de tous.
Le secret d’un grand riesling repose sur l’équilibre sucre-acidité, quand il est atteint, le riesling délivre une onctuosité et une partition d’arômes en touches légères, florales, qui gagnent en intensité en fonction des terroirs et du vieillissement.
Nous irons droit sur le meilleur : un Spätlese 2008 de la Weingut Joh. Jos. Prüm qui réunit toute les qualités d’un immense riesling pour 12€ le verre (ou moitié moins pour des verres dégustation remplis à 5cl).
Il est temps de descendre la Moselle jusqu’à sa confluence avec le Rhin, au cœur de l’appellation Mosel-Saar-Ruwer dont les vignes escarpées ou en terrasse font une haie d’honneur aux méandres de la rivière.
Vous avez le choix du moyen de transport : auto, bus, train, vélo ou bateau.
Le vélo est très prisé, car les pistes cyclables sont toujours séparées de la chaussée ; une route des vins dont la vitesse est limitée à 70 km/h.
Un arrêt casse-croûte à Traben-Trabach sur une terrasse ensoleillée où l’on me sert un verre de federweisser – vin nouveau en cours de fermentation– avec une tarte à l’oignon revigorante.
L’étape de Cochem est incontournable, la visite du château médiéval haut perché procurant un bon exercice physique, mais arrêtons-là car nous quittons l’oenotourisme.
La Moselle à la fois si proche de nous géographiquement mais si éloignée par la culture et la langue, procure de belles émotions, esthétiques et gustatives, on aurait tort de passer à côté !
Jean Philippe
photo à la Une : ©
PS : Génération Vignerons est prêt à tous les sacrifices pour satisfaire ses lecteurs (NDLR).