Bordeaux : qui fixe les prix ?

Une question revient fréquemment chez les amateurs de vins de Bordeaux : comment les châteaux fixent le prix de leurs bouteilles ? Qui ou quoi influence ce prix ?


La recherche économique a exploré cette question, en décortiquant les ressorts d’un marché complexe où qualité perçue, réputation historique et signaux critiques s’entremêlent. Cette question est d’autant plus pertinente que le vignoble bordelais traverse actuellement une crise profonde.

Réputation, classement, millésime et climat : le carré magique

Classement des vins de Bordeaux de 1855.
Wikimediacommons

Pour juger de la relation qualité-prix des vins de Bordeaux, les économistes Cardebat et Figuet ont appliqué la méthode dite « hédonique ». L’analyse relie le prix aux caractéristiques observables d’un vin : son millésime, son classement éventuel, son appellation, sa teneur en alcool, ses arômes, etc.

Les résultats sont frappants et convergents : la réputation du château et son classement officiel, notamment celui de 1855, sont des facteurs explicatifs du prix plus puissants que les caractéristiques gustatives et sensorielles. Autrement dit, un cru classé se vend nettement plus cher qu’un vin non classé à qualité gustative et sensorielle équivalente du fait du prestige de son étiquette.

L’économiste Ashenfelter montre que les conditions météorologiques d’un millésime – température, ensoleillement, précipitations – sont des prédicteurs de sa qualité et, donc de son prix. Un modèle simple, fondé uniquement sur des données climatiques, rivalise avec les jugements humains.

Parker et l’âge d’or des experts

Pendant plus de trente ans, Robert Parker a agité le marché bordelais. Ses célèbres notes sur 100, publiées dans The Wine Advocate, faisaient et défaisaient la cote des vins. L’économiste états-unien Ashton en a mesuré l’impact concret : un point de plus dans la note pouvait faire bondir le prix de 10 à 20 %.

Parker a été l’initiateur d’une tribu de « gourous », dont les notes structuraient toute la campagne des primeurs. Les châteaux ajustaient alors leurs prix en fonction de leurs évaluations, et les acheteurs suivaient, convaincus de la justesse de la note.

De gourous à geeks

Le paysage bordelais s’est transformé depuis la retraite de Parker en 2019. Les critiques sont toujours présents, mais leur influence s’est fragmentée. Aucun n’a repris le leadership de Parker sur le marché des vins de Bordeaux. Le consensus est désormais moins clair et les écarts de notation plus fréquents.

Un tournant plus profond encore est mis en évidence, lorsque l’on compare l’impact des notes d’experts et des notes de consommateurs – issues notamment de la plateforme Vivino – sur le prix des vins rouges français.

Le résultat est net : dans la majorité des cas, les notes des amateurs surpassent celles des professionnels pour expliquer les écarts de prix. Le marché est donc passé d’une logique de « gourous » à celle de « geeks », où l’intelligence collective des consommateurs connectés pèse désormais autant, voire plus, que les avis d’experts.

Bordeaux bashing

La campagne des primeurs, une singularité bordelaise, est un moment stratégique de la campagne de commercialisation. Les vins les plus prestigieux sont proposés, dix-huit mois avant leur mise en bouteille, souvent à un tarif supposé être inférieur à celui du marché futur. C’est l’occasion de faire de bonnes affaires ! Les travaux de Masset montrent que la majorité des châteaux surévaluent le prix des primeurs.

Par exemple, pour le millésime 2021, plus de 80 % des crus analysés affichaient un prix supérieur à leur « juste valeur » estimée par un modèle économétrique. Or, plus un vin est surévalué à sa sortie, moins il performe ensuite sur le marché secondaire. Ce décalage entre le prix demandé et la valeur perçue alimente le fameux Bordeaux bashing. Pourquoi ? Une désaffection envers ces vins jugés trop chers, trop complexes, trop austères et, finalement, en total décalage avec les attentes contemporaines ; celles des jeunes en particulier.

Un marché en mutation

Si le prix du vin de Bordeaux repose toujours sur sa qualité, son origine, sa météo, son classement, il dépend également de signaux critiques envoyés, certes par des experts, mais aussi par des consommateurs interconnectés. Ce glissement redéfinit les rapports de force dans le monde du vin.

La réputation se paie encore, mais le prestige ne suffit plus. La foule prend progressivement l’ascendant et, avec elle, une nouvelle forme de pouvoir sur les prix. Si Bordeaux veut sortir de la crise et reconquérir sa place, il lui faudra sans doute repenser la manière dont ses prix sont fixés et perçus.The Conversation

Jean-Marc Figuet, Professeur d’économie, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : JuanGarciaHinojosa/Shutterstock

Ecrit par Jean-Marc Figuet
Catégories : règles, certifications

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