Les historiens nous ont appris qu’il existe une Europe de la bière et une Europe du vin à l’origine de deux civilisations de nature bien différente. Moins connue est la distinction entre l’Europe du bois et celle de l’argile, autrement dit l’Europe de la barrique, celle des grandes forêts et l’Europe de l’amphore, celle de la méditerranée.
Justement l’Alentejo -cette région qui s’étend « sous le Tage » au milieu du Portugal- marque cette ligne de partage. Pour preuve, lorsque vous déambulez dans les ruelles d’Estremoz, Beja, ou Cuba, des gros bourgs viticoles, ce ne sont pas des barriques qui décorent l’entrée des tavernes mais bien des amphores.
Le vin d’amphore est à la mode depuis 2000 ans chez nous ! précise Catarina Vieira, vigneronne-propriétaire de l’Herdade do Rocim un domaine réputé pour ses vins vinifiés en amphore.
Une technique inventée par les Romains
L’œnologue Virgilio Loureiro, précise dans Nativa magazine que rien n’a changé ou presque depuis l’époque romaine. Même technique de fabrication des jarres : Il faut monter l’argile à la main, 4 mois sont nécessaires pour fabriquer une amphore, puis 4 mois de séchage avant le passage au four. Le raisin égrappé était versé dans l’amphore sans aucun ajout. A la date fatidique du 11 novembre – la Saint Martin- l’amphore était déclarée ouverte. Les taverniers, tout comme les familles qui produisaient leurs propres vins plongeaient directement les pichets dans la bouche de l’amphore pour servir le fameux Vinho de Talha.
Tout s’est accéléré à la fin du XXème siècle avec l’arrivée de la vigne moderne en Alentejo. Les subventions de Bruxelles ont favorisé l’installation des grands domaines avec leurs cuves inox géantes, au détriment des méthodes traditionnelles. Le Vinho de Talha allait il disparaître ?
Perpétuer la tradition
C’était sans compter sur l’engagement d’une poignée de vignerons, emmenée par Pedro Ribeiro, le mari de Catarina pour relever le défi. Nous avons la responsabilité de perpétuer la tradition.
Les autorités administratives ont défini une réglementation qui respecte en tout point le méthode traditionnelle pour qu’un vin puisse bénéficier de l’appellation Vinho de Talha avec la date symbolique du 11 novembre pour l’ouverture des jarres.
Les quantités produites sont infimes, autour de 1%, à un coût bien supérieur à la production des vins modernes, mais le vin d’amphore reste l’emblème des vins de l’Alentejo.
On trouve des variantes comme ces vins clay-aged- vieillis en jarre d’argile – sur une durée de 12 à 16 mois en remplacement de la barrique.
La fermentation s’étant déroulée en cuve béton ou inox, ces vins ne bénéficient pas de l’appellation protégée ; qu’importe, ils connaissent un succès grandissant.
Voilà l’état de nos émotions lorsque débuta la magnifique dégustation des vins d’amphore au domaine Rocim. Ici nous respectons la vocation naturelle du terroir, cultivé en bio, qui est de produire des vins frais, élégants et minéraux nous annonce en préambule Catarina ; plus tard, elle nous parlera avec passion de son vin préféré : le Puligny-Montrachet- Ah ! si vous envisagez un cadeau d’accueil.
Les vins d’amphore ont-ils un goût particulier ?
Difficile à dire, rien d’explosif en bouche, peut-être un peu plus de fraîcheur, de minéralité mais peu d’acidité. Ce manque de tension est compensé ici par de la rondeur et de l’amplitude en bouche. Ça peut surprendre pour les blancs si vous êtes habitués au muscadet ou au Vinho Verde.
De même qu’avec le temps notre bouche a appris à déceler le boisé et sa gamme d’arômes, il faudra déguster des dizaines et des dizaines de vins d’amphore pour identifier leur singularité.
A côté des perceptions sensorielles, il y a une donnée essentielle pour l’avenir de ces vins, c’est leur faible degré d’alcool. Pensez donc : 12° Vol. pour le blanc comme pour le rouge, un résultat impressionnant obtenu sous un climat méditerranéen. Comment s’y prennent-ils ? Mystère. Évidemment les perspectives commerciales sont immenses pour des vins qui arriveraient à « faire barrage » au réchauffement climatique.
Força portuguesa
Il n’a échappé à personne que les vins d’amphore, de dolia, terracotta, argile, grès, jarre, oeuf ou qvevri ont le vent en poupe. Le public a une vive curiosité pour ces contenants différents qui permettent des vinifications et des élevages différents. Les Portugais, en vin comme au futebol savent pratiquer le jeu offensif et veulent prendre le leadership de cette tendance. Comme les Arméniens et les Géorgiens, les Portugais ont la légitimité culturelle, la tradition millénaire pour eux, ce n’est pas le cas de la France qui a une tradition millénaire de la barrique.
Les Géorgiens ont une longueur d’avance avec l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, en 2013, de la méthode traditionnelle de vinification en qvevri.
Le Portugal a réagi en organisant les Amphora Wine Day, des rencontres internationales qui se sont déroulées à l’Herdade do Rocim, en 2018 et 2019, à la date symbolique de la saint Martin.
Un millier de professionnels et d’amateurs passionnés y participèrent. Rideau en 2020, le prochain rendez-vous est fixé en novembre 2021.
Une date à retenir dans l’agenda de Génération Vignerons.
Vins d’amphore : c’est le Far West !
Le mot amphore est en passe de devenir le mot magique, le sésame pour rendre un vin excellent encore meilleur et au passage doubler son prix de vente. Les vignerons français, par centaines, se sont précipités dans la brèche ouverte il y a moins de 10 ans pour afficher dans leur gamme une cuvée premium macérée, vinifiée ou élevée en amphore, parfois présentée en vin orange. Ce sont toujours les marchands de pelles et pioches qui sont les gagnants des ruées vers l’or ! Et là on est bien au Far West.
Patrick Lalanne, le fondateur de Vin&Terre premier distributeur français précise : les contenants en terre cuite ou en grès sont idéaux pour l’élevage des vins bios, naturels ou en biodynamie. La porosité de la terre cuite offre au moût et au vin une oxygénation régulière, comme la barrique de chêne, mais au contraire de cette dernière, ne lui apporte ni goût, ni odeur.
Le phénomène est trop récent pour que des études soient conduites sur la qualité des matériaux ou les bonnes pratiques. C’est la débrouille et l’échange d’expérience entre vignerons qui l’emportent, rappelant les débuts de la culture en biodynamie.
Avec quand même des ratés, comme la déconvenue de Sébastien David, vigneron en biodynamie à saint Nicolas de Bourgueil, qui, sur injonction du préfet d’Indre et Loire en juillet 2019 a dû écarter de la vente 2078 bouteilles de son « coef 2016 » élevé en amphore, les analyses ayant montré un taux d’acidité volatile supérieur à la norme autorisée.
L’INAO toujours prompt à réglementer le secteur viticole ne dit mot. L’établissement public renvoie aux cahiers des charges des appellations qui, surtout pour les Crus et Premiers Crus obligent le passage en fût de chêne. Les vignerons n’ont alors d’autre solution que de déclasser leur cuvée en Vin de France.
On est bien au Far West !
Jean Philippe
Photo à la Une : ©Adega José de Souza
Très intéressant de se pencher sur ce sujet ! Une technique millénaire qu’on apprend encore aujourd’hui à maîtriser c’est aussi cela qui rend le monde du vin passionnant !
Merci pour ce commentaire !