Après la dégustation des experts, mon lendemain fut légèrement comateux, aussi j’ai laissé le volant de la Toyota à Denis – Denis Garret, mon guide- pour me faire promener dans une somptueuse vallée maraîchère, fruitière et viticole, the Elgin Valley à une heure de route de Cape Town. Saviez-vous que les pommes, les poires, les raisins de table, les fraises, les abricots d’Afrique du Sud inondent la planète entière ?
Mais revenons à notre sujet : le vignoble d’Afrique du Sud a la même superficie que le vignoble bordelais : 115 000 ha, exploités par 600 domaines alors qu’à Bordeaux il y en a près de 10 fois plus. La concentration de ces vignobles au nord et à l’est de la ville du Cap, les multiples panneaux publicitaires à la gloire des domaines viticoles renforcent cette impression d’omniprésence de la vigne et du vin. Oui, l’oenotourisme a le vent en poupe ici : 600 000 visiteurs en 2015 avec une proportion croissante de Français ; mais rassurez-vous, ce n’est pas encore l’invasion.
Tu ne vois ici qu’une infime partie de la production. La production industrielle est assurée par les caves coopératives qui fournissent les 2/3 du volume, le pays est le 9ème producteur mondial. Le vin est vendu en vrac sur le marché mondial, Chine en tête. Il est souvent embouteillé à Marseille et en final tu le trouves chez Lidl ou Tesco à 3-4€ la bouteille. Les circuits qualitatifs sont beaucoup plus rares, il y a moins de 10 importateurs pour la France ; tu peux trouver quand même de belles choses chez Lavinia ou Terroirs d’ailleurs.
La question sociale me préoccupe.
Les ouvriers agricoles – coloured people– sont partout dans les vignes, dans les pickups Toyota, sur le bord des routes. On a parlé de ce reportage d’Envoyé Spécial sur les Raisins de la honte, diffusée en 2014. Émotion chez les biens pensants, serait-on revenu au temps de l’apartheid ? Foutaises, me dit Denis, on est en Afrique ici. Les ouvriers agricoles sont mal payés, comme partout en pays émergents. Il faut voir les progrès, les gars deviennent contremaîtres ou chefs d’équipe ; c’est l’intérêt des propriétaires d’avoir des gens compétents.
Moi, je vois que mes amis vignerons en bio du Val de Loire peinent à recruter un ou deux collaborateurs, alors qu’ici ils auraient toute la main d’œuvre possible. Forcément, quand vous avez du monde dans la vigne et un bon chef de culture, vos raisins sont plus beaux.
Tu as vu que les grands domaines, comme Creation ou Rust En Vrede possèdent leur propre restaurant, souvent gastronomique et dirigé par un Chef reconnu.
Ici, le vin se boit au repas, il est associé à la viande – je vous conseille le filet de springbok ! – d’où l’importance du Bordeaux style. A l’apéritif, c’est plutôt long drinks et, pour les sorties entre potes, la bière.
Voilà qu’on tourne à droite et on embarque la Toyota sur une piste défoncée – j’avais oublié de vous dire que Denis a fait plusieurs Paris-Dakar à moto dont celui qui s’est terminé au Cap en 1992 – bref, la piste ça le connaît ! Et nous arrivons en haut d’une colline à Spioenkog Wines un petit domaine de 10ha- 50 000 bouteilles/an- propriété du flamand Koen Roese, qui travaille comme un damné sa terre de schistes ferrugineux.
Koen fait des vins extraordinaires à partir de très petits raisins, essentiellement des blancs secs : sauvignon, riesling et chenin. En bouche, ses vins développent une fraîcheur, une acidité, une salinité sans pareil – Ah si ! Peut-être un petit cousinage avec les explosifs alvarinho de Melgaço (Portugal) déjà présentés dans Génération Vignerons.
Koen parle de la vendange comme d’un accouchement
Tout le travail en amont pour aller à son terme. Il nous fait observer que ses feuilles jaunissent quelques jours après la vendange : la vigne a tout donné, elle a puisé ses ultimes réserves d’énergie pour donner le meilleur aux grappes, et là, elle est épuisée, signe que l’effort a été conduit à son maximum.
Koen me fait tellement penser à ces artisans -vignerons de l’Anjou qui travaillent en biodynamie, il est littéralement habité par ses vignes mais veut rester libre. En Afrique du Sud, les labels AB ou Demeter n’ont pas percé. Question d’éthique professionnelle, les vignerons ne veulent rien s’interdire si la maladie frappe. Et puis, il n’y a pas (encore) de marché pour les vins organic. Spioenkog Wines est toujours dans les meilleurs au Concours Mondial du Sauvignon et Denis pense qu’il obtiendra sous peu sa médaille d’or. Si vous voulez déguster leurs vins, sa charmante épouse sera présente à Prowein 2017.
Jean Philippe