À qui profitent vraiment les foires aux vins ?

Chaque année en septembre, au moment des vendanges, la grande distribution propose pendant environ un mois une offre de vins massive à des prix attractifs. Selon les enseignes, ces foires représentent 10 à 25 % des ventes annuelles de vin, soit plus que celles enregistrées pour les fêtes de fin d’année. En 2022, elles ont représenté 17,4 % des ventes totales de la grande distribution dans ce rayon.

Dans un climat global de déconsommation, les foires aux vins revêtent un caractère de plus en plus stratégique. En effet, l’enjeu est d’attirer de nouveaux clients dans les enseignes. Car ces foires, lancées il y a 50 par les centres Leclerc en Bretagne et qui n’ont cessé de se développer depuis, représentent un formidable levier pour séduire le plus de clients possibles – qui vont généralement effectuer leurs courses alimentaires en parallèle de leurs recherches de bonnes affaires. Les marges faibles sur les vins sont donc plus que compensées par les ventes des autres produits.

Parfois, les enseignes proposent des vins haut de gamme, notamment de Bordeaux, que l’on ne trouve pas habituellement dans des supermarchés. Le gain d’image lié à une foire aux vins peut en effet être considérable. En 2015, l’enseigne Lidl l’avait bien compris en faisant un grand coup de « com » avec la vente de grands crus classés à des prix nettement inférieurs à ceux du marché, notamment l’iconique Château d’Yquem, propriété de LVMH. Toute la presse en avait parlé, créant un buzz conséquent.

On se dit dès lors que chacun a à gagner dans ces foires. Pourtant, loin s’en faut…

« Marché gris »

Les producteurs de vins très haut de gamme choisissent minutieusement leurs canaux de distribution. Ces derniers doivent correspondre à leur image luxueuse : présence dans les palaces, les restaurants étoilés, etc. Se retrouver en tête de gondole chez un hard discounter constitue donc une fâcheuse dissonance dans leur distribution élitiste. Or, cette situation reste possible en raison de l’existence d’un « marché gris » sur lequel s’alimentent certaines enseignes.

Ce marché est constitué de stocks rachetés à des restaurants ou des cavistes en difficulté ou en faillite, d’invendus d’importateurs, de grossistes ou de détaillants étrangers, notamment asiatiques, qui se débarrassent de leurs stocks. Or, sans même parler de vins de luxe, mais simplement de vignerons qui ne souhaitent pas être distribués en grande surface à prix cassés, ce marché gris pose un sérieux problème d’image pour toute la filière.

Pour les vignerons qui choisissent de participer aux foires aux vins, le risque de ne faire qu’un coup éphémère existe aussi. Car écouler en foires, c’est placer son vin à un prix bas qui pourra faire passer le prix « normal » dans les autres canaux de distribution comme trop élevé. Les acheteurs pourraient alors se détourner. Les prix des foires, reposant sur des marges de distribution plus faibles, brouillent la cohérence des prix tout au long de l’année et entre les canaux de distribution. Les vignerons peuvent alors entrer en conflit avec les autres distributeurs et se couper d’eux.

Premiers arrivés, premiers servis

Pour le client, si de bonnes affaires sont bien présentes, les risques liés au marché gris existent aussi. La conservation des produits sur ce marché étant notoirement aléatoire. Que sait-on des conditions de conservations de ces stocks d’invendus en Asie ? La probabilité de tomber sur une bouteille mal conservée et donc de mauvaise qualité est bien réelle. L’affaire n’aura pas été si bonne que ça, au final…

Mais le principal risque pour le client, c’est de rentrer très frustré d’une foire aux vins. En effet, les publicités avant les foires présentent traditionnellement de belles occasions. Mais les stocks sont souvent très limités, à quelques caisses pour les grands domaines. Premiers arrivés, premiers servis, et seule une poignée de clients pourra bénéficier de l’offre. Même si la loi encadre les foires aux vins pour limiter la communication excessive autour de vins en quantité extrêmement limitée, ce phénomène reste très prégnant.

Autre source de frustration pour les clients, le choix des vins s’avère très concentré. Au départ, quasiment seuls les Bordeaux puis les bouteilles de champagne étaient concernés. Si l’offre s’est étendue, elle reste un reflet très incomplet des différentes régions de France et du monde. De plus, le client aura du mal à retrouver dans l’enseigne le vin qu’il avait apprécié lors de la foire et qu’il voulait racheter. La frustration peut dès lors être double.

Le prix fort toute l’année

Enfin, pour la grande distribution elle-même, les foires aux vins sont une arme à double tranchant. Elles focalisent les ventes sur un court laps de temps. Après les foires, le rayon paraît bien morne et peu attirant pour les clients. Le risque est de dégrader la valeur perçue par le client du rayon vin le reste de l’année.

Les foires ancrent l’idée que ce n’est qu’à ce moment-là que l’on réalise de bonnes affaires. En creux, cela veut dire que le reste du temps on paie le prix fort. C’est dommageable pour les enseignes car, malgré tout, ce rayon occupe du linéaire toute l’année et représente un stock qu’il faut porter. On touche ici les limites de ces opérations.

Au bilan, pas sûr que ces foires soient aussi profitables pour les différents acteurs que ce l’on pense. En particulier, les efforts commerciaux lors des foires ne seraient-ils pas plus utiles pour animer le rayon vin tout au long de l’année ? Pour essayer de créer du lien entre les clients et des vignerons, pour tenter d’intéresser de nouveaux consommateurs, etc. Certaines enseignes le font, car les modes de ventes doivent changer pour enrayer leur baisse.


L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.

Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Prof. affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : © Maxppp – Valérie Vrel France Bleu

Ecrit par Jean-Marie Cardebat
Catégories : le métier

Commentaires:

  1. Raffard Jean-Philippe dit :

    On applaudit à deux mains, professeur J-M Cardebat, votre article qui dézingue avec classe et méthode les dérives des foires aux vins. Si celui-ci devait déclencher des torrents de haine sur les réseaux sociaux, sachez que vous pouvez compter sur le soutien de Générations Vignerons. Allez comprendre pourquoi tous les marchands de vin s’y mettent, tous les médias y vont de leur « sélection exclusive ». La force de l’habitude, sans doute. Cette force qui me fait acheter tous les ans le numéro « spécial Vins « du Point pour voir comment Jacques Dupont va s’en sortir pour redonner un peu d’espoir aux enseignes et aux annonceurs.

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